L Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde
50 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde , livre ebook

-
traduit par

50 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Lors d'une promenade nocturne dans les rues brumeuses de Londres, Utterson, notaire de son état, apprend que son vieil ami le Dr Jekyll a signé un chèque de dédommagement à la place d'un certain Mr Hyde qui avait bousculé une jeune fille. Troublé par cette nouvelle, Utterson se plonge dans le testament de son ancien camarade d'études qui stipule qu'en cas de décès ou de disparition d'une durée supérieure à trois mois, tous ses biens devront aller à son " ami et bienfaiteur Edward Hyde ". Ce document inquiète le notaire. D'abord parce qu'il ignore tout de ce Mr Hyde, ensuite parce que ce dernier commence à être associé à un monstre imprévisible et répugnant. Utterson va alors enquêter sur le lien qui peut unir le Dr Jekyll et Mr Hyde. Mais il est loin d'imaginer les révélations macabres qui l'attendent. Ce roman sur le dédoublement de personnalité et sur notre rapport paradoxal au mal fut publié en 1886. Magnétique et emblématique, il étonne encore aujourd'hui par son audace et sa modernité.


" Une intrigue merveilleuse d'inventivité. " Henry James





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 janvier 2016
Nombre de lectures 50
EAN13 9782221192238
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

couverture
pagetitre

Robert Louis Stevenson

Robert Louis Stevenson naît à Édimbourg en 1850. Il est de santé fragile, ce qui ne l’empêchera ni d’écrire – il est très tôt convaincu qu’il sera écrivain – ni de parcourir le monde, son autre passion. En août 1876, il rencontre Fanny Van de Grift, déjà mère de deux enfants et séparée de son époux. Ils se marieront dès le divorce prononcé, quatre ans plus tard. C’est à ce moment-là que Stevenson commence vraiment à écrire. L’Île au trésor paraît en 1883, suivie en 1886 par L’Étrange Cas du Dr Jekyll et Mr Hyde, qui reçoit un accueil triomphal, de même que, la même année, Enlevé ! ou les Aventures de David Balfour, son premier roman écossais. En 1887, les époux Stevenson quittent l’Angleterre – l’écrivain n’y reviendra pas. Ils se rendent d’abord aux États-Unis avant de partir pour les îles du Pacifique : Tahiti, Hawaii puis l’archipel de Samoa où ils se font construire une propriété qu’ils baptisent Vailima, la « maison des cinq rivières ». C’est une période très prolifique pour Stevenson qui écrit entre autres Catriona, la suite d’Enlevé ! Il meurt en 1884 et est enterré, selon son souhait, en haut du mont Vaea.

Suivez toute l’actualité des Éditions Robert Laffont sur

www.laffont.fr

 

 

images

images

I

Histoire de la porte

Mr Utterson, notaire, avait un air rébarbatif que n’éclairait jamais le moindre sourire. Il parlait avec une concision froide, et sans aisance ; ses sentiments étaient lents à s’extérioriser ; efflanqué, long, poussiéreux, triste, il savait néanmoins se rendre sympathique. Dans des réunions d’amis, et quand le vin lui plaisait, ses yeux rayonnaient de quelque chose d’éminemment humain ; ce quelque chose, s’il ne le traduisait jamais par des mots, s’exprimait du moins non seulement par ces symboles muets que l’on lit sur un visage après un bon dîner, mais aussi (et plus souvent, plus positivement) par les actes de sa vie. Il était sévère pour lui-même, buvait du gin quand il était seul afin de mortifier son penchant pour les grands crus, aimait le théâtre bien que depuis vingt ans il n’y fût pas allé une fois. Mais à l’égard d’autrui il manifestait une tolérance éprouvée ; il s’émerveillait parfois, presque avec envie, de l’ardeur et de l’entrain dépensés dans un méfait ; en règle générale il se sentait plus disposé à secourir qu’à condamner. « J’incline à l’hérésie de Caïn », disait-il assez bizarrement. « Je laisse mon frère aller au diable par ses propres voies. » Ce trait de son caractère lui valut d’être fréquemment la dernière relation honorable d’hommes en train de sombrer, voire la dernière bonne influence qu’ils reçurent ; envers ceux-ci, tant qu’ils venaient le voir, il ne modifiait en rien son comportement habituel.

Sans doute Mr Utterson n’avait-il guère à se forcer puisque avec ses meilleurs amis il n’était pas expansif et que son amitié passait pour l’effet d’un éclectisme accommodant. Un homme modeste se reconnaît notamment au fait qu’il accepte les amis que lui envoient les circonstances : le notaire était, sur ce plan, un modeste. Il avait pour amis des parents de son sang ou de très anciens camarades ; ses attachements, comme le lierre, poussaient avec le temps : ils n’impliquaient pas d’affinité avec leur objet. De là, probablement, le lien qui l’unissait à Mr Richard Enfield, cousin éloigné et homme en vue dans la capitale. Bien des gens se demandaient ce qu’ils pouvaient trouver l’un dans l’autre, et quels sujets de conversation ils avaient en commun. Ceux qui les rencontraient au cours de leurs promenades dominicales racontaient qu’ils n’échangeaient pas un mot, qu’ils paraissaient s’ennuyer fort et qu’ils saluaient avec un soulagement empressé l’apparition d’un ami. N’empêche qu’ils attachaient tous deux un très grand prix à ces promenades : elles couronnaient leur semaine ; afin de pouvoir en jouir régulièrement ils leur sacrifiaient plaisirs mondains et visites d’affaires.

L’une de leurs randonnées les mena par hasard dans une petite rue d’un quartier commercial de Londres ; paisible le dimanche, elle était très mouvementée en semaine ; ses habitants semblaient prospères ; l’émulation les poussant sans doute à vouloir accroître encore leur prospérité, ils consacraient leurs super-bénéfices à la coquetterie, si bien que les façades des magasins ressemblaient à deux rangées de jolies vendeuses souriantes et avaient l’air d’inviter le chaland. Même le dimanche, alors qu’elle voilait ses charmes les plus appétissants et que la circulation y était presque nulle, la petite rue brillait d’un tel contraste avec le reste du quartier qu’elle faisait penser à l’éclat d’un feu dans une forêt sombre ; le passant ne pouvait qu’être séduit par ses volets fraîchement peints, ses cuivres bien astiqués, sa propreté d’ensemble, sa note de gaieté.

À deux portes d’un croisement, sur le côté gauche en allant vers l’est, l’alignement était rompu par une impasse ; et à l’entrée de l’impasse, un bâtiment sinistre poussait son pignon au-dessus de la petite rue ; le mur nu de cette maison à un étage, complètement dépourvue de fenêtres, n’était percé que par une porte, au rez-de-chaussée, et présentait tous les signes extérieur d’une négligence prolongée. La porte, qui n’avait ni sonnette ni heurtoir, était couverte de taches et sa peinture se boursouflait par endroits. Des vagabonds se traînaient dans le rentrant du mur pour gratter des allumettes contre les panneaux ; des gamins tenaient boutique sur les marches ; des écoliers avaient essayé le fil de leurs canifs sur les moulures ; depuis longtemps personne n’était apparu pour chasser ces visiteurs de hasard ou pour réparer leurs dégâts.

Mr Enfield et le notaire marchaient sur l’autre trottoir ; mais quand ils arrivèrent en face de l’impasse, le premier leva sa canne et l’agita.

— Aviez-vous déjà remarqué cette porte ?… demanda-t-il.

Et quand son compagnon lui eut répondu affirmativement, il ajouta :

— … Elle est liée dans ma mémoire à une histoire bien étrange !

— Vraiment ? dit Mr Utterson d’une voix légèrement changée. Et quelle histoire ?

— Je vais vous la conter, reprit Mr Enfield. Je rentrais chez moi de quelque endroit au bout du monde, vers trois heures du matin par une froide nuit d’hiver. Mon chemin m’a conduit à travers toute une partie de la ville où il n’y avait à voir absolument rien d’autre que des réverbères. Rue après rue, tout le monde dormait. Rue après rue, les réverbères étaient allumés comme pour un défilé, mais toutes les rues étaient aussi vides qu’une église. Je me suis trouvé finalement dans cet état d’esprit du passant qui tend l’oreille, sursaute au moindre bruit et voudrait bien apercevoir un policeman. Tout à coup j’ai vu deux personnes ; l’une était un homme de petite taille qui trottinait d’un pas décidé en se dirigeant vers l’est ; l’autre était une fillette qui pouvait avoir huit ou dix ans et qui courait de toute la vitesse de ses jambes en débouchant d’une rue transversale. Eh bien, Monsieur, ils se sont tamponnés juste à l’angle ! Mais voici le détail horrible de l’affaire : l’homme a tranquillement piétiné le corps de la fillette et s’est éloigné en la laissant à terre ; vous devinez les hurlements qu’elle a poussés ! Entendre le récit n’est rien, mais la scène était abominable. Je n’ai fait ni une ni deux : je me suis précipité, j’ai rattrapé mon gentleman, je l’ai empoigné par le col de son manteau, et je l’ai ramené à l’endroit où déjà un attroupement s’était formé autour de l’enfant qui pleurait et criait toujours. Parfaitement imperturbable, il ne m’a opposé aucune résistance ; cependant il m’a lancé un regard si vilain que je me suis mis à suer comme si j’avais couru un marathon. Les gens qui s’étaient attroupés étaient les membres de la famille de la fillette ; le médecin, que justement elle venait d’aller quérir pour je ne sais quel voisin, est arrivé presque aussitôt et il a diagnostiqué qu’elle avait eu plus de peur que de mal. Vous croyez peut-être que mon histoire est finie ? Non. Il faut que j’ajoute un détail curieux. Mon gentleman m’avait, tout de suite, inspiré une violente répulsion ; que la famille de l’enfant l’ait partagée, rien de plus naturel, n’est-ce pas ? Mais la réaction du médecin m’a intéressé. C’était, vous le voyez d’ici, le praticien classique, sans âge ni couleur, avec un fort accent d’Édimbourg, et pas plus émotif qu’une cornemuse… Eh bien, Monsieur, il était aussi enragé que nous ! Chaque fois qu’il regardait mon prisonnier, il avait envie de le tuer : c’était visible… Tuer étant hors de question, nous avons opté pour la solution immédiatement après la plus satisfaisante. Nous avons dit à ce gentleman que nous pouvions déclencher et que nous déclencherions effectivement un scandale qui soulèverait sur son nom la réprobation de Londres ; que nous veillerions à ce qu’il perdît à la fois ses amis et son crédit. Pendant que nous tirions ainsi sur lui à boulets rouges, nous faisions de notre mieux pour éloigner les femmes qui se déchaînaient comme des harpies. J’ai rarement vu un cercle de visages respirant une telle haine. Au centre du cercle, l’homme leur opposait une sorte de flegme plus ou moins ricaneur, non exempt de frayeur à mon avis, mais il y mettait le panache, Monsieur, de Satan en personne ! « Si vous êtes résolus à divulguer cet incident », nous a-t-il dit, « je n’y puis rien, naturellement. Mais comme aucun gentleman ne souhaiterait d’être éclaboussé par un scandale, fixez-moi votre chiffre. » Ma foi, nous lui avons extorqué une promesse de cent livres pour la famille de la petite fille ! Il aurait volontiers continué à bomber le torse si, dans le groupe qui l’entourait, certains n’avaient manifesté le désir de lui faire un mauvais parti ; alors il a consenti à amener son pavillon. Que nous restait-il à faire, sinon à percevoir les dommages-intérêts ? Eh bien, il nous a conduits ici, juste à cette porte que vous voyez ! Il a tiré une clef de sa poche, il est entré, et quelques instants plus tard il est ressorti avec la bagatelle de dix livres en or et un chèque pour le reste, tiré sur Coutt’s, payable au porteur et signé d’un nom… Je ne puis le citer, bien qu’il soit l’un des points importants de mon histoire, mais il est vraiment trop connu, trop souvent imprimé. Le chiffre était salé, mais la signature, si elle était authentique, pouvait répondre du paiement. J’ai pris la liberté d’indiquer à mon gentleman que je soupçonnais un faux, que dans la vie quotidienne un homme n’ouvrait pas à quatre heures du matin la porte d’une cave pour réapparaître avec un chèque de près de cent livres signé de quelqu’un d’autre. Mais il s’est montré très conciliant. « Soyez tranquille », m’a-t-il répondu, « je resterai avec vous jusqu’à l’ouverture des guichets et j’encaisserai le chèque moi-même. » Alors nous sommes partis, le médecin, le père de la petite fille, notre ami et moi-même, et nous avons passé le reste de la nuit dans mon appartement ; après avoir pris le petit déjeuner, nous nous sommes présentés à la banque. J’ai déposé le chèque personnellement, en ajoutant que j’avais de fortes raisons de soupçonner un faux. Pas du tout. Le chèque était authentique.

— Tut-tut ! fit Mr Utterson.

— Je vois que vous êtes de mon avis, reprit Mr Enfield. Oui, c’est une triste histoire. Car mon gentleman était un individu répugnant, absolument pas recommandable, tandis que le tireur du chèque est la correction faite homme, un personnage dont la réputation est inattaquable et, ce qui est encore pire, l’un de ces gens qui font ce que l’on appelle du bien. Chantage, je suppose ; un honnête homme se fait mener par le bout du nez et paie pour quelque folie de jeunesse. Depuis, j’appelle cette maison-là avec cette porte, le Palais du Chantage. Ce qui est loin, malgré tout, d’expliquer l’essentiel !

Et sur ces mots il tomba dans une sorte de rêverie d’où le tira une question soudaine de Mr Utterson.

— Et vous ne savez pas si le tireur du chèque habite ici ?

— Joli endroit, n’est-ce pas ? ironisa Mr Enfield. Non, j’ai appris par hasard son adresse : il habite dans tel ou tel square.

— Et vous n’avez jamais cherché à vous renseigner au sujet de… cette maison avec la porte ?

— Non, Monsieur ; j’ai eu un scrupule, répondit Mr Enfield. Je déteste poser des questions ; cela s’apparenterait un peu trop au style du jour du Jugement. Vous commencez par une question ? C’est comme si vous mettiez une pierre en mouvement. Vous êtes tranquillement assis au sommet d’une colline, et la pierre s’ébranle, tombe et en entraîne d’autres ; et bientôt un pauvre vieux type (le dernier auquel vous auriez pensé) en reçoit une sur la tête dans son petit jardin, et sa famille est obligée de changer de nom. Non, Monsieur, j’en ai fait une règle : plus ça me paraît louche, moins j’interroge.

— Une très bonne règle ! approuva Mr Utterson.

— Mais j’ai étudié l’endroit pour mon compte, continua Mr Enfield. On dirait à peine une maison. Il n’y a pas d’autre porte, et personne n’entre ni ne sort sauf, une fois par hasard, le gentleman de mon aventure. Au premier étage, trois fenêtres donnent sur l’impasse ; aucune au rez-de-chaussée ; les fenêtres sont toujours fermées, mais elles sont propres. Et il y a une cheminée qui émet de la fumée. Quelqu’un doit donc habiter ici. Et pourtant je n’en suis pas tellement sûr, car les bâtiments à l’entrée de cette impasse sont si enchevêtrés les uns dans les autres qu’il est difficile de dire où commence l’un et où finit l’autre.

Les deux hommes reprirent leur promenade et marchèrent quelques instants en silence, puis Mr Utterson murmura :

— C’est une très bonne règle, Enfield, que vous vous êtes faite.

— Oui, répondit Enfield. Je crois qu’elle est bonne.

— Mais cependant, reprit le notaire, je voudrais vous poser une question. Je désirerais connaître le nom de l’individu qui a piétiné la petite fille.

— Ma foi, dit Mr Enfield, je ne vois pas pourquoi je ne vous le répéterais pas. Il s’appelait Hyde.

— H’m ! fit Mr Utterson. Et quel genre d’homme est-il physiquement ?

— Il est difficile à décrire. Il y a dans son allure quelque chose qui choque, qui déplaît, qui le rend même haïssable. Jamais un être humain ne m’a inspiré une répulsion aussi instinctive ; et cependant je me demande encore pourquoi. Il doit être atteint d’une difformité quelconque ; il donne, il impose le sentiment qu’il est difforme, bien que je ne puisse pas affirmer qu’il le soit réellement. Il a un extérieur bizarre, extraordinaire, mais je serais incapable de vous mentionner avec précision un détail anormal. Non, Monsieur, rien à faire : je ne saurais vous le décrire. Et n’en accusez pas ma mémoire : car je vous jure qu’en ce moment même, je le revois nettement.

Mr Utterson fit quelques pas en silence, mais visiblement il réfléchissait.

— Vous êtes sûr qu’il s’est servi d’une clef ? interrogea-t-il enfin.

— Mon cher ami… commença Enfield décontenancé.

— Oui, oui ! dit Utterson. Je sais que ma question doit vous paraître étrange. En réalité, si je ne vous demande pas le nom du tireur, c’est parce que je le connais déjà. Vous voyez, Richard, vous n’avez pas raconté votre histoire pour rien. Mais si vous avez commis la moindre inexactitude, vous feriez bien de la rectifier.

— Vous auriez pu m’avertir ! répliqua Enfield un peu vexé. Mais j’ai été d’une exactitude pédantesque. L’individu en question avait une clef ; pour être plus précis, il l’a encore : je l’ai vu s’en servir, voilà moins d’une semaine…

Mr Utterson laissa échapper un profond soupir. Son jeune cousin reprit alors :

— … C’est une nouvelle leçon pour se taire ! J’ai honte d’avoir eu la langue trop longue. Convenons de ne plus jamais reparler de cette affaire, si vous voulez bien.

— De tout mon cœur je le veux ! dit le notaire. Et voici ma main en gage, Richard.

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents