Années 1950 - Grandir en Bourgogne
178 pages
Français

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Années 1950 - Grandir en Bourgogne , livre ebook

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Description

Les années 1950 ouvrirent de nouvelles perspectives. Le progrès scientifique et technologique laissait entrevoir ce que serait le monde « de demain ». 1954. En Bourgogne, dans la ferme de ses parents, un petit garçon grandit dans une société qui se transforme, oscillant entre tradition et modernité.
Au rythme des saisons, il nous raconte moissons et vendanges d’autrefois, nous décrit le spectacle constamment renouvelé de la nature. Curieux de tout, il assiste à sa première séance de cinéma, se familiarise avec le théâtre, découvre les joies du cirque et des premières excursions. L’école, mais aussi les jeux avec ses camarades, les fêtes familiales, les coutumes locales sont autant de passerelles qui vont lui permettre de trouver sa place dans le monde qui l’entoure. Nous partageons ses joies, ses peines, ses questions, ses découvertes.
Et, au fil des pages, nous retrouvons les souvenirs de toute une génération. Jean-Pierre Balloux, fils d’agriculteur, a vécu son enfance dans un petit village de Côte-d’Or.
Si ses fonctions de sous-préfet l’ont conduit dans d’autres régions françaises, il est toujours resté attaché à sa Bourgogne natale et au monde rural. Il évoque ici les années d’après guerre avec son regard d’enfant et d’adolescent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2014
Nombre de lectures 10
EAN13 9782813816047
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PREMîERŝ SouVENIRŝ
Mes premiers souvenirs se situent aux environs de 1947. Nous ne possédons pas encore d’automobile et, pour nous rendre dans les villes les plus proches, nous empruntons l’autocar qui assure trois liaisons chaque jour entre Dijon et Avallon.  Ce matinlà, nous nous sommes levés tôt pour ne pas rater l’autobus. Ma mère et moi allons à Avallon, petite ville de l’Yonne située à une vingtaine de kilo mètres de chez nous, pour m’acheter des vêtements « du dimanche ».  Nous marchons jusqu’au bourg voisin pour prendre le car. C’est la première fois que je m’éloigne autant de la maison familiale. Nous sommes au printemps, la douceur et les premières lueurs de l’aube me pro curent un réel bienêtre. Lorsqu’apparaît l’autocar, le jour s’est enfin levé et la journée promet d’être belle. Je contemple ce gros véhicule à l’intérieur duquel nous pénétrons ; je m’installe près d’une vitre pour ne rien perdre du paysage. Je découvre pour la pre mière fois le bonheur de voyager, de m’extraire de mon quotidien.
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Après une demiheure de trajet, nous voilà au cœur de la ville, place Vauban. C’est jour de marché, quelle animation ! Une foule importante et bigarrée forme une marée humaine, son mouvement rappe lant celui des vagues.  Les couleurs vives et variées des parasols des forains, rehaussées par le soleil et le bleu du ciel com posent un beau tableau. Mais ce qui se passe à l’inté rieur même du marché est encore plus étonnant. Les étals proposent une variété de produits des plus divers. Les camelots, avec un talent inégalé, vendent aux ménagères toutes sortes d’ustensiles de cuisine, de vaisselle et autres objets dont ils vantent avec humour et efficacité les aspects novateurs ainsi que la solidité. A l’énoncé du prix s’engage avec les clientes ou les clients potentiels un véritable marchandage qui devient une attraction. Sur ce marché, on trouve aussi de l’outillage, des jouets, de la papeterie, des produits de parfumerie, des vêtements. Sous le mar ché couvert, ce sont les produits alimentaires qui dégagent de bonnes odeurs et offrent des nuances de coloris attirant la convoitise des visiteurs. Les cafés de la ville sont pleins et l’ambiance est celle des jours de grande activité.  Nous ne nous attardons pas trop. Ma mère tient à me faire découvrir le centre historique de cette belle cité, une des portes du Morvan. Nous empruntons la Grande rue qui nous conduit, en passant sous la e tour de l’horloge datant du XV siècle, à la collégiale
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e SaintLazare, magnifique édifice élevé au XII siècle. Pour moi, qui ne connais que la petite église de mon village, la vision est saisissante. A l’intérieur, une fraîcheur bienfaisante contraste avec la chaleur du dehors. L’imposante nef, les vitraux aux couleurs vives offrent un spectacle grandiose. La lumière compose un clairobscur qui met en relief l’architec ture. En sortant, nous sommes surpris par la lumière éblouissante du soleil et par les bruits de la cité livrée à ses occupations habituelles. Nous découvrons aussi la place avec, en toile de fond, la façade majestueuse de l’église, la maison des Sires de Domecy avec sa tourelle et en face le palais de justice.  Nous poursuivons notre flânerie, nous découvrons les remparts, leurs tours et les bastions ainsi que la vue sur la vallée du Cousin. L’ensemble forme un paysage harmonieux qui constitue un véritable ravis sement et rappelle le passé prestigieux de la ville. Le temps avance et il nous faut songer à retourner vers les quartiers commerçants pour effectuer nos achats. Sur notre parcours, nous admirons les belles maisons e à colombages datant du XVI siècle, les hôtels parti culiers qui témoignent de l’influence d’Avallon.  De retour vers les nombreux magasins ou bou tiques, nous sommes attirés par les produits proposés dans les vitrines. Nous entrons dans le plus grand magasin de vêtements de l’époque, les établisse ments VaretPoivret. L’espace me semble immense, l’agencement luxueux et les éclairages dégagent une
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certaine magie. Je suis intimidé par tout ce monde qui s’agite dans ce magasin réparti sur plusieurs niveaux. La quantité de vêtements pour femmes, hommes et enfants m’étonne, la diversité des matières et des coloris retient mon attention. De nombreux ven deurs et vendeuses s’affairent autour de nous et me donnent l’impression d’être l’objet de toutes les sol licitudes, ce qui est plutôt agréable et rassurant.  Je suis content de porter des vêtements neufs, mais l’essentiel demeure la découverte d’un monde et d’un environnement qui m’étaient jusquelà inconnus. Je repars avec des images plein les yeux et des souve nirs qui vont contribuer à nourrir mon imagination. Cette première sortie, même si je n’en avais alors pas conscience, m’a permis de me familiariser avec l’his toire et la beauté de l’architecture de notre région.
Ue ENface ruRae
Ls pOMMîERŝ SoNt En lEuRŝ
Les longs mois d’hiver gris et humides s’éloignent, avril est là, le printemps triomphe. Les jours deviennent plus longs, le fond de l’air s’est adouci, le soleil fait plus souvent son apparition et apporte une lumière plus vive.  C’est l’époque où la nature s’éveille, les prairies ont retrouvé leur couleur verte, l’herbe est parsemée de boutons d’or, de violettes au parfum si délicat, de primevères et de jonquilles composant des mosaïques aux couleurs multiples.  Les oiseaux pour qui c’est la période des accou plements saluent l’arrivée du printemps par leurs gazouillis joyeux ; dans les ruisseaux, l’eau vive qui coule émet un chant mélodieux annonçant le retour des beaux jours.  Le spectacle dont nous profitons le plus est celui offert par les pommiers et les autres arbres fruitiers en fleurs. Le paysage a un aspect bocager avec ses prairies entourées de haies destinées à l’élevage des bovins, ses bosquets et ses grands arbres isolés. Mais
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la partie bâtie est aussi très verte et arborée, presque chaque maison possède un jardin et un verger.  Les coteaux qui surplombent le village sont recou verts d’arbres fruitiers et de vignes. Ainsi, lorsque les arbres sont en fleurs, nous bénéficions d’un panorama magnifique. Les pommiers nombreux nous laissent contempler leur floraison blanche et rose, épaisse et abondante. C’est une des plus belles périodes de l’année, la nature est en fête et elle nous invite à partager son triomphe.  Je me sens revivre, j’ai envie de courir à travers champs et prairies, l’hiver nous contraint à rester le plus souvent à la maison, l’arrivée des beaux jours a comme un parfum de liberté. Avec les copains, quand nous ne sommes pas à l’école ou occupés par les travaux agricoles, nous aimons flâner du côté des coteaux où nous pouvons nous libérer complètement en poussant des cris de Sioux, en courant à travers les vignes et les arbres, en imaginant toutes sortes de jeux au milieu des vergers en fleurs. Nous ne nous lassons pas du paysage féerique qui nous entoure. Nous voulons en profiter au maximum, parce que nous savons que les pommiers, les pruniers et les cerisiers en fleurs ne garderont pas bien longtemps leurs parures qui illuminent l’horizon.  Nos pensées vagabondent, nous sommes heureux parce que nous entamons la période qui nous conduit vers l’été et vers les grandes vacances.
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Ls gRads vàcacs, mOiŝSoNŝ T baàgs
Les vacances d’été nous offrent deux mois et demi de liberté. Cependant, comme la majorité de mes camarades issus du monde paysan, je ne passerai pas cette période de congés au bord de la mer ou à la montagne, mais participerai aux travaux des champs qui atteignent leur point culminant. C’est en effet la saison des fenaisons et des moissons.  Nous entrons dans la période la plus chaude de l’année, les jours sont longs, le soleil très présent réchauffe l’atmosphère de ses rayons ardents. La nature est en pleine ébullition, la vie se manifeste partout, on entend le chant des grillons et celui des oiseaux. Le paysage qui nous entoure a pris les cou leurs de l’été. Comment ne pas éprouver un certain bonheur au milieu d’un tel foisonnement de nuances ? La légère brise qui rafraîchit le fond de l’air caresse mes jambes et mes bras nus, c’est bien agréable.  C’est dans une ambiance presque euphorique que nous entreprenons les grands travaux de la saison haute. Vient d’abord le temps de la fenaison ; les machines agricoles font leur apparition et rendent le travail moins pénible ; même si je ne suis pas insen sible à la beauté des attelages formés par les chevaux de trait et leur machine, j’éprouve une curiosité parti culière et un attrait pour la nouveauté ; et cette nou veauté, après les années de pénurie, c’est le tracteur !  L’apparition de ces premiers engins est très remar quée, peu d’agriculteurs en possèdent en raison du
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coût d’acquisition ou par méfiance envers les tech nologies nouvelles. Mon père, bien qu’il soit un petit exploitant, est l’un des premiers au village à faire l’achat d’un tracteur d’occasion : il s’agit d’un Ford Ferguson que l’on appelle plus communément « le petit gris » qui connaîtra un énorme succès. Je prends plaisir à regarder évoluer dans la prairie le tracteur qui entraîne derrière lui la faucheuse servant à abattre sous ses lames les hautes herbes destinées à la nourriture hivernale des bovins.  Le soir, lorsque la nuit est tombée, que l’on entend le coassement des grenouilles et que l’on profite de la douceur qui s’étend après la chaleur écrasante du jour, je respire la bonne odeur de l’herbe fraîchement coupée qui va se transformer en foin.  Après un sommeil réparateur, je me lève tôt, nous devons retourner à la prairie pour effectuer le fanage du foin qui consiste à retourner à l’aide d’une fourche l’herbe pour qu’elle puisse sécher sur son autre face. Ce travail est très physique ; pour éviter les grandes cha leurs, il est préférable d’accomplir cette tâche de bon matin. Bien reposés, nous attaquons cette besogne de bonne humeur, les conversations s’engagent et l’espace s’anime accompagné par les bruits de la nature. Les prés voisins sont également occupés, je peux observer cette grande animation qui ressemble à un ballet bien ordonnancé.  En milieu de matinée, alors que les premiers signes de la fatigue commencent à se manifester,
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nous observons la pause cassecroûte : après l’effort le réconfort. Nous nous installons à l’ombre des haies ou des grands arbres, assis sur l’herbe pour mordre à pleines dents notre « goûter » de la matinée com posé de charcuterie, de fromage et de fruits. Ma mère a tenu au frais les boissons dans des linges humides déposés dans le ruisseau qui sert d’abreuvoir au bétail. Après nous être restaurés, nous reprenons assez rapi dement le cours de nos travaux pour éviter que nos muscles s’engourdissent et que la reprise sous l’effet des courbatures ne devienne plus difficile.  Pour effectuer ce travail, les agriculteurs les plus aisés possèdent une machine appelée faneuse montée sur de grandes roues et munie de fourches actionnées par des leviers commandés par le conducteur ins tallé sur un siège disposé en son centre. Les fourches effectuent un vaetvient qui permet de retourner l’herbe coupée. Ensuite, entre en action la râteleuse qui ressemble à la faneuse, sauf que les fourches sont remplacées par de grandes dents métalliques qui rassemblent en andains le foin en vue de faciliter sa mise en tas avant de le transporter sur les lieux de stockage. Cette opération étant mécanisée, elle requiert seulement la présence de deux personnes, le conducteur du tracteur et l’utilisateur de la râteleuse. Je me porte souvent volontaire pour accompagner mes parents et j’en profite pour observer le paysage, le mouvement du tracteur et de sa machine, ou le ciel. Lorsqu’il se peuple de cumulus, je m’amuse à
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comparer ces nuages aux formes diverses à des ani maux ou à des reliefs montagneux et invente toutes sortes d’histoires. Au pied des haies, je ramasse de petits escargots dont les coquilles colorées présentent plusieurs dessins. Je les ramène chez moi et les nour ris avec quelques feuilles de salade, m’imaginant éle veur comme mon père.  N’ayant pas de presse pour mettre le foin en balles compactes, nous devons le rassembler en tas de forme conique. J’attends avec impatience l’instant de l’enlèvement du foin car, pour ne pas perdre de temps, pendant que mon père dépose le foin sur la charrette et que ma mère le range, c’est moi qui suis chargé de faire avancer très lentement le tracteur entre les différents tas. Je ne suis pas peu fier. Ensuite, il faut décharger ce foin en vrac pour l’entreposer sur les fenils. Cette dernière phase est de loin la plus pénible, elle requiert un minimum de trois per sonnes ; le meilleur poste se trouve sur la charrette pour placer le foin sur un montecharge ou pour l’introduire dans une lucarne. C’est souvent ma mère qui accomplit cette tâche, les hommes se trouvent sous les toits où il n’est pas rare que la chaleur de ce milieu confiné dépasse les 60°C.  Le travail consiste à ranger le foin dans cet espace et à le tasser avec les pieds. A la chaleur insuppor table s’ajoute la poussière qui rend l’air irrespirable. Cette corvée ne dure qu’une demiheure, mais semble interminable. C’est un véritable enfer.
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