Chronique des années de plomb
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Chronique des années de plomb , livre ebook

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Description

A partir de nombreux témoignages et de patientes recherches, Jacky Laurent, Chambérien de souche et de cœur malgré un bail de 31 ans avec la Marine Nationale, s’est efforcé de reconstituer un pan trop souvent méconnu de la petite et de la grande histoire du bassin chambérien. Avant que le temps n’altère certains épisodes survenus dans le contexte de la guerre, de l’occupation et de la libération, et en hommage à ceux qui en furent les héros, notamment les frères Hermann, Raymond Bellinguier dit « Lavapeur », et Martin Mouhicat dit « Michel », il a jugé utile de retracer l’itinéraire périlleux de ces irréductibles chambériens. Rédigé dans un style alerte et précis, jalonné d’anecdotes inédites, de photographies exclusives et de témoignages poignants, ce récit relate la plupart des événements qui ont défrayé la chronique du bassin chambérien entre 1940 et 1944, des premiersd frémissements lycéens d’octobre 1940 à la libération de Chambéry et de Montmélian d’août 1944, en passant par l’occupation italienne, puis allemande. Sont aussi évoqués le bombardement américain du 26 mai 1944, les différents coups de boutoir contre les Bauges, sans oublier les multiples tragédies collectives ou individuelles.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 8
EAN13 9782813815217
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0055€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ES FERMENTS L DE LINSOUMISSION
Mai-juin 1940. Dans la mémoire collective des peuples d’Europe occidentale, l’évocation de ces mois résonne comme un glas, et le message de Churchill promettant des années de larmes, de sueur et de sang s’avérera d’autant plus prophétique que dans l’esprit de quelques-uns, l’amertume de la défaite suscite une viscérale volonté de revanche. Dès lors, le destin de millions d’hommes est scellé et pour certains, jetés sur les chemins hasardeux de l’honneur, le voyage sera sans retour. Acquis aux dépens de démocraties vermoulues, les spectacu-laires succès nazis ont fait l’effet d’un électrochoc. En quelques jours, le temps pour les panzers de franchir la Meuse, la France est à genoux. Si, pour les Allemands, cette « campagne éclair» se solde par un triomphe, pour les Français, la stupéfaction a cédé le pas au renoncement.
Après cet incroyable désastre militaire et tout au long des années 1940-41, la France est anéantie dans tous les sens du terme. A Chambéry et en Savoie (demeurées en zone libre), comme partout ailleurs, il n’y a guère de velléités de résistance. On peut néanmoins observer, çà et là, quelques signes avant-coureurs. Bien qu’encore balbutiantes, ces marques de refus sont fortement encouragées par Londres où un certain De Gaulle exalte avec passion, via la
BBC, l’esprit de lutte de ses concitoyens.
CHRONIQUE DES ANNÉES DE PLOMB- CHAMBÉRY1940-1944
Les lycéens au créneau
Voici comment, dès les premiers jours d’octobre 1940, des élèves du lycée de Chambéry, soutenus par une poignée de parents et d’enseignants, commencent à se manifester. Parmi eux, Pierre Dumas, futur sénateur-maire de la ville (qui sera aussi ministre du général De Gaulle), mais aussi les frères Desroches, les frères Rozier, le jeune Hritodoulovitch, les professeurs Mery et Bariolade... Le groupe a décidé de suivre les consignes de Radio-Londres (les Français parlent aux Français) et sa première initiative est de participer à la campagne de graffitis lancée par les gaullistes. Il s’agit d’inscrire un peu partout sur les murs de la cité la lettreV, pour victoire : «Sur les murs, sur les pavés, faites des V !» scandait alors la BBC. Bientôt, cesVsont accompagnés d’un autre symbole puissant : la croix de Lorraine. Pour les lycéens chambériens, comme pour leurs émules d’autres localités, cette campagne est une guerre psychologique larvée livrée à l’occupant et à ses partisans. Incessante et insidieuse, elle exaspère les autorités de Vichy qui pourchassent sans répit les frondeurs. Né spontanément, par refus de la honte et du déshonneur, le groupuscule lycéen de Chambéry deviendra une pépinière de cadres pour la future Armée Secrète (AS).
Promu responsable d’une « trentaine » au groupe Franc Libération en 1941, l’un de ces jeunes, Yves Hritodoulovitch, est arrêté par laGestapoen 1943 au cours d’une action menée avec des groupes lyonnais. Torturé et déporté, il meurt d’épuisement à Mauthausen le 10 février 1945, à l’âge de 19 ans (3).
(3) Le lycée de Chambéry. C’est là que tout commence...
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LES FERMENTS DE LINSOUMISSION
Plus tard, sous l’occupation italienne, puis allemande, et au prix de bien des périls, les lycéens chambériens distribuent aussi des tracts. L’opinion publique est d’autant plus sensible à ces messages de révolte et d’espoir que la politique de collaboration et le comportement de l’occupant se durcissent.
Presse clandestine
Dans la capitale savoyarde, ce harcèlement juvénile se voit bientôt conforté et amplifié par celui de distributeurs de presse clandestine parmi lesquels Paul Hartmann, Albert Fontaine et Pierre Mantello. A l’époque, les deux derniers sont respectivement préparateur et coursier à la grande pharmacie Tercinet (4). A l’insu de leur employeur, les deux hommes ont transformé le sous-sol de l’en-treprise en dépôt de journaux illégaux. Plus tard, des armes y seront aussi cachées.
Pour diffuser cette presse interdite, Paul Hartmann, éditeur d’origine alsacienne, utilise un véhicule difficilement soupçonnable : la voiture hippomobile du Secours national, institution caritative vichyssoise. Ainsi, jour après jour, doté d’un brassard tricolore, Paul mène sa charrette dans les rues de Chambéry. Vieux papiers, liasses de journaux officiels et colis pour prisonniers recouvrent les éditions subversives deVérité, Liberté, Franc-Tireur, Combat, Libérationet autreTémoignage Chrétien. Seul mouvement à ne pas profiter de l’aubaine, le parti communiste qui dispose de son propre réseau de distribution. L’Humanitéclandestine,la Voix du Peupleetle Travailleur Alpinsont exclusive-ment transportés et diffusés par des militants.
(4) La pharmacie Tercinet servait de dépôt de presse clandestine.
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CHRONIQUE DES ANNÉES DE PLOMB- CHAMBÉRY1940-1944
La grande manifestation patriotique
Le mardi 14 juillet 1942, répondant à l’appel de Maurice Schumann, porte-parole de la France Libre à Radio-Londres, les Chambériens décident de célébrer la fête nationale à leur manière. A cet effet, un rassemblement est prévu à 18 h 30 sur le boulevard de Savoie. Une circonstance spécifiquement cham-bérienne contribue fortement au succès de la manifestation : l’enlèvement, quelques semaines plus tôt, de la Sasson, statue de bronze représentant une Savoyarde farouche et vigoureuse étreignant un drapeau français (5).
Erigée au cœur de la cité des ducs pour rappeler le plébiscite savoyard en faveur de la France, cette statue réalisée par Falquière représente beaucoup plus qu’un symbole. Or, sur injonction des Allemands (les « Boches ») et des Italiens (les « Piafs »), soucieux de récupérer les métaux pour leur industrie de guerre, toutes les statues de bronze ont été déboulonnées.
Ressenti comme le pire des affronts, le rapt de la Sasson laisse aussi craindre l’annexion pure et simple de la Savoie par Mussolini. Une prétention intolérable ! Si bien qu’à l’heure dite, au pied du socle vide, ils sont des milliers à se rassembler, gerbes, bouquets et drapeaux en main. Bien relayé par les tracts des lycéens et d’autres organisa-tions clandestines, l’appel de la BBC a été entendu au-delà de toute attente. Pour la petite histoire, précisons que la Sasson a été retrouvée intacte en Allemagne au lendemain de la guerre. Elle se trouvait, avec d’autres statues, sur la plate-forme d’un wagon garé en rase campagne.
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(5) La Sasson... Plus qu’un symbole pour les Savoyards !
Victoire psychologique
LES FERMENTS DE LINSOUMISSION
Deux jours après la grande manifestation chambérienne, la radio gaulliste peut pavoiser en ces termes :
« Communiqué de la France combattante, Front de la France non-occupée. Chambéry 14 juillet 1942. Toute la journée des gerbes tricolores ont été déposées sur l’emplacement de la Sasson, la statue qui commémorait le ratta-chement volontaire de la Savoie à la France, et que les valets de Vichy ont fait abattre sur ordre des maîtres de Rome et de Berlin. Par milliers, les Savoyards ne cessèrent de défiler en criant : “La Savoie à la France ! Vive la Liberté ! Vive la France ! ”Quelques membres du Service d’ordre légionnaire -encore eux, toujours eux- tentèrent de crier : “Vive Pétain ! Vive Laval ! ”. Sévèrement tancés par la foule, ils essayèrent de se former en cortège.
L’indignation populaire fut telle que la police dut intervenir et les mener au poste pour les protéger. Mais la foule se porta devant le poste de police pour attendre leur sortie et ils durent s’échapper par derrière.
Le trait le plus émouvant de la manifestation chambérienne est sans doute celui-ci : les patriotes savoyards reconnurent dans leurs rangs un certain nombre d’Alsaciens-Lorrains chassés de leurs foyers par l’envahisseur ; alors, spontané-ment, ils interrompirent le “Chant des Allobroges” pour entonner le fameux refrain “Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ”.
Ainsi se manifesta la solidarité vivante des provinces martyres qu’a volées à la mère Patrie la victoire provisoire de l’ennemi, et des provinces menacées que lui arracherait sa victoire définitive. Ainsi s’est affirmée l’union de la France indivisible, dans la fierté, la fureur et l’espoir ! »
Au récit de l’événement, l’émotion des Savoyards est immense et des larmes de joie coulent sur bien des joues. Moins de quatre mois plus tard, hélas, le destin de la province et de sa capitale va encore s’assombrir...
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ESITALIENS AUX D ALLEMANDS
Le 11 novembre 1942, en réplique à l’opérationTorchqui voit débarquer 75 000 Américains au Maroc et en Algérie trois jours plus tôt, succède l’opération Anton, autrement dit l’envahissement de la zone libre par les troupes de l’Axe (6). Quelques 6 000 soldats italiens vont s’installer en Savoie jusqu’en septembre 1943. L’arrivée desAlpinietBersaglieriavec mulets et bicyclettes n’est pas très glorieuse. Les Chambériens la jugent d’autant plus misérable qu’ils arrivent dans le sillage d’Allemands autrement plus martiaux et impression-nants.
Dans son savoureux roman autobiographique «Madame l’Etoile», le grand reporter de TF1 Jean Bertolino, alors enfant, est témoin de l’arrivée des Allemands à Chambéry :
« Ce sont des moteurs qui approchent, de gros, de lourds moteurs que l’on entend venir de loin ; des bourdonnements, des ronflements mêlés à des chants aux intonations gutturales. Je me précipite comme tout le monde vers la nouvelle entrée du château, à l’angle de la place Caffe, pour mieux observer le convoi qui freinera obligatoirement au rond-point (7). Des combattants debout sur des camions militaires passent, les yeux fixés droit devant. »
Et le petit Jeannot s’écrie à l’adresse de sa sœur qui écarquille les yeux : «Ce sont des “ Boches ” Paulette, des “ Boches ” j’te dis !»
CHRONIQUE DES ANNÉES DE PLOMB- CHAMBÉRY1940-1944
(6) L’opérationTorch voit débarquer 75 000 GI’sen Algérie et au Maroc.
(7) L’entrée du château à l’angle de la place Caffe, du boulevard de Bellevue et de la route de Lyon...
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Premiers réseaux
DESITALIENS AUXALLEMANDS
Heureusement, avec les Italiens qui les remplacent bientôt, et même si les choses ne sont pas toujours faciles, notamment avec l’OVRA, équivalent fasciste de la Gestapo, elles ne prennent jamais la tournure effrayante qu’elles auront quelques mois plus tard avec le retour en force des Allemands... Avec eux, personne ne se serait permis cette facétie à la mode qui consiste à couper subrepticement, chaque fois que possible,la piuma al capello(la plume au chapeau) desAlpini.
C’est à cette époque qu’à travers tout le département, et en région chambé-rienne, prennent forme les premiers réseaux clandestins dont le grand souci est la collecte et la dissimulation d’armes, munitions et autres équipements.
Située à mi-chemin entre les quartiers de Bellevue et des Charmettes, non loin de la route conduisant au massif de la Chartreuse via le col du Granier, la ferme Laurent, propriété de Charles Laurent, épicier à Bellevue, et habitée par la famille de son fils Fleury, dit « Rara », agent de police, devint rapidement l’un de ces dépôts. A la fois isolée et mitoyenne d’un épais petit bois, elle aurait pu aussi constituer une planque idéale pour les résistants si les militaires ennemis, Italiens d’abord, Allemands ensuite, n’avaient transformé la zone en terrain de manœuvre. Il ne leur est cependant jamais venu à l’idée que la maison dressée au cœur du dispositif puisse receler un arsenal.
Si ce n’étaient les courses intempestives du chien « Sultan » poursuivant les troupiers hérissés de branchages (combien de fois ses maîtres ont-ils tremblé pour lui ?), il leur était difficile de trouver à redire à cette paisible demeure habitée, de surcroît, par un policier. C’est pourtant un miracle si rien n’a été détecté. Sous le plancher du galetas, revolvers, fusils, mitraillettes, caisses de munitions, pièces d’uniforme et autres postes radio attendaient preneurs (8).
(8) Paradoxalement, bien qu’implantée en zone d’en-traînement ennemie, la maison Laurent abritait une cache d’armes pour la Résistance.
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Naturellement, les mouvements se déroulaient de nuit, après le départ des fantassins ennemis vers la caserne Curial. Ils étaient entourés de mille précautions. Une femme connue du voisinage passait d’abord en éclaireur. Puis un groupe d’inconnus venait prendre livraison de la marchandise dans un véhicule à gazogène. Pendant que les uns restaient postés alentour, pistolet au poing, les autres chargeaient le véhicule aussi vite que possible. Ces furtifs visiteurs ne venaient que très rarement. Le seul que « Rara » ait un jour reconnu fut son propre beau-frère, le cheminot Pierre Hermann, dont il sera question plus loin.
Changement de donne
Le mercredi 8 septembre 1943, les habitants de Bellevue et des Charmettes sont réveillés en sursaut par une fusillade nourrie. De toute évidence, les coups de feu proviennent de la caserne Curial occupée par les Italiens. A vol d’oiseau celle-ci se trouve à environ un kilomètre. S’estimant trahis par leurs alliés, qui ont signé un armistice séparé la veille en Italie, les Allemands (infiltrés dans la région depuis quelques heures) ont entrepris de désarmer la garnison italienne pour lui succéder (9). Quelques heures plus tôt, le colonel Fraghi, commandant
(9) La caserne Curial changera de mains sans coup férir.
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