L habit d or
84 pages
Français

L'habit d'or , livre ebook

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84 pages
Français

Description

Cherchant un habit d'apparat, l'auteur perd la tête et se dénude
Envoyé en Amazonie péruvienne, l'auteur, un phytochimiste, doit mener un travail de terrain sur l'usage et l'efficacité des plantes pouvant avoir un effet sur le système nerveux central. Pour cela, il se fait cobaye. Il absorbe l'ayahuasca.
EXTRAIT
Je n'avais jamais bu une chose aussi amère. J'en avais pris une pleine calebasse, tout autant que Nete Vita et ses deux disciples sinon plus, pour que l'expérience soit réussie, valable sur le plan scientifique. J'avais hésité à boire. Le docteur m'avait alors foudroyé du regard. Bois ! Un coup de coude dans les côtes m'avait décidé à avaler le liquide.
Assis à même le plancher, nous formons un demi-cercle, face à Nete Vita et ses disciples. Au milieu, le malade, à demi-prostré. La cabane est éclairée par une lampe à pétrole. Les ombres dansent, et dansent autour d'elles les hémiptères. Je les vois tourner, se poser sur moi depuis un certain temps, mais je ne sens pas leurs piqûres. Je me gratte. Je ne sens pas ma peau sous mes doigts. Je me pince. Rien. Je ne sens pas mes oreilles mais j'entends… un chant aigu de femme, une voix soprano ; pourtant il n'y a que des hommes dans la cabane. Je lève les yeux sur Nete Vita. Ses lèvres remuent. Il chante. Une voix de haute-contre, technique vocale des onanya et des meraya, ceux qui voient et ceux qui rencontrent, en langue shipibo.Que voit-il, qui rencontre-t-il ?
- Savez-vous, Docteur, que sous l'effet de l'hallucinogène, Nete Vita voit une autre réalité, des esprits, les esprits des plantes, me souffle le docteur Ulises. Ces dessins, ces lignes qui ornent les céramiques et les toiles shipibo que vous admirez tant, avec l'ayahuasca, Nete Vita les voit sur les corps de ses patients, comme une deuxième peau. Sur des corps sains elles sont nettes, bien dessinées. Sur ceux des individus malades, elles sont brouillées, n'obéissent pas aux lois de la symétrie.
Sur la façade de l'Eglise, à droite du porche, se dresse un Conquistador. Un sarment de vigne grimpe sur les bottes, évite l'épée, s'entortille autour des cuisses puis des cuirasses, et atteint son pourpoint. La liane sacrée des Espagnols déploie ses pampres, ses feuilles s'ouvrent, ses grappes cherchent le visage du saint, elles s'inclinent vers sa bouche. Il va boire la boisson sacrée, celle qui se transforme en sang, celui de l'Homme dieu. Le vin s'écoule dans la bouche. Le miracle a lieu. Paysans et Indiens tombent à genoux aux pieds de l'homme à l'armure dorée, murmurent une prière, l'implorent.
Un coup de fouet claque.
Le carrosse d'or de Ferdinand, vice-roi du Pérou, accompagné de Camilla, sa nouvelle maîtresse, favorite de la troupe de comédiens arrivée dans cette riche et lointaine colonie espagnole après un voyage dans les deux océans,arrive de la grande Place d'Armes au galop de ses quatre chevaux ébouriffés. Face au miracle, les chevaux se cabrent, effrayés. Ferdinand se jette sur Camilla, la saisit, la retient, l'étreint, lui évite la chute. L'éclair d'un embrassement. Les écailles d'or du pourpoint du saint pleuvent sur les mendiants. Les Indiens s'émerveillent, se signent. La foule accourt de toutes parts. C'est le miracle de la liane sacrée des Espagnols. Ferdinand, en pourpoint éclatant d'or lui aussi, caresse de ses yeux sa plus belle conquête. Il lui faisait l'honneur d'une visite de Lima au grand scandale du haut clergé et de la noblesse espagnole. Le carrosse est couvert de sculptures baroques où apparaissaient des angelots, leurs visages bouffis et leurs ailes avortées. Les indiens qui les avaient peints leur avaient fait des joues roses, des yeux bleus et des chairs très blanches. Etait-ce pour plaire aux Espagnols, par esprit courtisan, ou par ironie pour se moquer de leurs maîtres dont la presque absence de mélanine semblait ridicule et sujet de moqueries à ces gens à la peau mate. C'étaient des albinos, des fantômes.
- Te mareaste Tonon ?
Le curandero me fit sortir de ma contemplation de cette vision du vice-roi du Pérou, parée d'or, et de sa Camilla, pour retrouver la demi-obscurité de la cabane.
- Te mareaste Tonon ?
Le goût amer de l'ayahuasca avait disparu. Une petite heure auparavant j'avais ingurgité ce liquide épais et violemment vomitif qu'il m'avait servi. J'avais hésité longtemps avant d'absorber l'ayahuasca, par peur de l'inconnu et de toutes ces visions qui affolent les locaux, métis hispanophones et indigènes riverains. Visions de serpents ouvrant des bouches armées de crocs venimeux, de boas géants s'approchant et s'enroulant autour de leurs corps pour les étouffer. L'amertume de l'ayahuasca s'étant dissipé, je me félicite d'avoir essayé ce breuvage, il m'offre de belles images, en rien effrayantes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2009
Nombre de lectures 60
EAN13 9782296298385
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait


ISBN 978-2-916903-04-0 Janvier 2009 © MOKEDDEM L'HABIT D'OR
Jacques TOURNON
J.i;„,„7,h 'église de la Vierge de la Miséricorde est à
deux rues de la place d'Armes de Lima.
De toutes ses chapelles latérales, la plus
belle est celle de la Mère de Dieu, les
autres sont dédiées à divers saints
espagnols alourdis d'or et d'argent. Dans
chaque chapelle un ange, grand, déjà t adulte, habillé de bleu clair avec deux
grandes ailes blanches, agenouillé devant la
Madone et des saints à longue barbe. Les angelots,
eux, ont une bouche souriante et des joues roses
desquelles partent deux petites ailes. Accrochés à
des colonnes dorées, droites ou torsadées, enfermés
derrière des grilles en fer forgé, ils ne connaissent
d'autre lumière que celle des cierges des fidèles.
Sur la façade de l'église, à droite du porche, se
dresse un conquistador. Un sarment de vigne grimpe
sur les bottes, évite l'épée, s'entortille autour des
cuisses et de la cuirasse, s'agrippe au pourpoint. La
liane sacrée des Espagnols déploie ses pampres, ses
feuilles s'ouvrent, ses grappes cherchent le visage
du saint, s'inclinent vers sa bouche, il va boire la
boisson sacrée, celle qui se transforme en sang,
celui de l'Homme-Dieu. Le vin s'écoule dans la
bouche, le miracle a lieu, paysans et Indiens tombent
à genoux aux pieds de l'homme à l'armure dorée,
murmurent une prière, l'implorent.
Un coup de fouet claque...
Le carrosse de Ferdinand, vice-roi du Pérou,
accompagné de Camilla, sa nouvelle maîtresse,
favorite de la troupe de comédiens arrivés dans cette
riche et lointaine colonie espagnole après un voyage
dans les deux océans, surgit de la grande Place
d'Armes. Face au miracle, effrayés, les quatre
chevaux se cabrent. Ferdinand se jette sur Camilla, la Jacques Tournon
saisit, la retient, l'étreint, lui évite la chute. L'éclair
d'un embrassement. Les écailles d'or du pourpoint
du saint pleuvent sur les Indiens qui s'émerveillent,
se signent. La foule accourt par-ci, par-là. C'est le
miracle de la liane sacrée des Espagnols. Pendant ce
temps, Ferdinand, lui aussi en pourpoint éclatant
d'or, caresse de ses yeux sa plus belle conquête à
qui il faisait l'honneur d'une visite à Lima, au grand
scandale du haut clergé et de la noblesse espagnole.
Son carrosse est couvert de sculptures baroques
dont des angelots aux visages bouffis et aux ailes
avortées. Les artisans indiens qui les avaient peints
leur avaient fait des joues roses, des yeux bleus et
des chairs très blanches, comme pour plaire à
l'Espagnol, par esprit courtisan, par ironie, pour se
moquer de leur maître dont la presque absence de
mélanine semblait ridicule et sujette à moqueries
pour ces gens à la peau cuivrée, aux yeux desquels
tous les Espagnols étaient des albinos, des fantômes.
Te mareaste, Tonon ?...
_À ces mots, ma vision du vice-roi du Pérou et de
Camilla s'effaça comme par enchantement, et je
retrouvai la demi-obscurité de la cabane.
Une petite heure auparavant, j'avais ingurgité
P ayahuasca, un breuvage épais et violemment vomitif
que le curandero Nete Vita m'avait servi. J'avais
longtemps hésité avant de l'absorber par peur de
l'inconnu et de toutes ces visions qui affolent les
locaux, métis hispanophones et indigènes riverains.
Visions de serpents ouvrant des bouches armées de
crocs venimeux, de boas géants s'approchant et
s'enroulant autour de leur corps pour les étouffer.
L'amertume de l'ayahuasca dissipé, je me félicitai
d'avoir essayé ce breuvage qui m'avait offert de
belles images, en rien effrayantes. L'Habit d'or
Tout avait commencé par un simple point
brillant sur le fond de mon oeil. Point excentré,
isolé qui avait grandi. Devenu tache, puis flaque, il
s'était mis à s'animer, à vibrer, à s'effilocher, à
tisser des lignes, filaments de lumière, et à broder
des motifs. Je m'étais efforcé d'interpréter ces
taches peu figuratives ou, au mieux, de les comparer
avec celles que je pouvais trouver en mémoire et
qui se référaient au monde réel : herbes agitées par
le vent, anémones de mer aux longs tentacules,
hydres aquatiques aux multiples bras. Les lignes
s'emmêlèrent, s'entre-croisèrent, formèrent une
toile, tissèrent un habit de fils d'or qui m'avait
renvoyé à cette vision du carrosse de Ferdinand ; une
réminiscence de ma visite de la Place d'Armes, et
du palais des vice-rois du Pérou, avec ses sculptures
recouvertes de stuc doré, ses balcons en bois
ouvragé construits pour cacher les belles captives
mauresques que les conquérants espagnols
achetaient en Andalousie avec l'or du Nouveau
Monde. Une distraction bienvenue dans ce
charmant et paisible village indigène, Lagartito, où
la vie paraissait souvent trop tranquille.
Il y a quelques jours, je quittai Pucallpa, une ville
champignon, chaotique et bruyante et commençai
la remontée du fleuve Ucayali. A Pucallpa, dans
mon hôtel et les restaurants du centre-ville, j'avais
vu des touristes dont les conversations tournaient
autour d'hallucinogènes, l'ayahuasca en particulier,
la substance la plus connue en Amazonie, qui,
selon certains spécialistes de la langue quechua,
signifie : Liane amère, et selon d'autres : Liane des
morts. En shipibo, connue sous les noms de oni et
nishikon, elle signifierait la Vraie liane, ou la Bonne
liane, ou encore la Super liane. J'entendais dire que
cette potion magique fait resurgir la mémoire
Jacques Tournon 8
lointaine, la déverrouille, fouille l'inconscient et
libère le refoulé. Ainsi l'ayahuasca leur permettait la
plongée dans les profondeurs du passé, un
bathyscaphe explorant les abysses. Ils disaient découvrir
d'autres mondes, se trouver ou se retrouver, revoir
leur passé. À Paris, des collègues ethnologues
m'avaient parlé du chamanisme et des hallucinogènes
amazoniens. Techniques primitives de l'extase !
disaient-ils. Le chamanisme était-il déjà sorti de sa
sphère primaire pour damer le pion à la psychanalyse ?
Tous ceux que j'avais croisés venaient des pays du
Nord, désireux d'ajouter à un voyage exotique, le
fantastique. On parlait de nouvelles recherches
mystiques, d'expériences spirituelles, de religiosités
New Age. Et ils trouvaient un bon choix de
maîtres, ou chamans, métis ou indigènes qui leur
réclamaient d'importantes sommes pour des séances
au cours desquelles on ingérait des potions
préparées à partir de plantes de la région. Des
centres avaient été organisés où ils résidaient
pendant plusieurs semaines. Les ethnologues et
anthropologues étaient d'abord venus pour étudier
ces phénomènes exotiques. Puis aux chamanologues
avaient succédé les chamaniaques. À Pucallpa, le
chamanisme était devenu à la mode, les chamans
s'étaient globalisés et faisaient commerce de ce
nouvel engouement occidental.

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