Troublemaker
92 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Troublemaker , livre ebook

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92 pages
Français

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Description

A la mort de son frère, Evan est effondré. Orphelin depuis l'enfance, son monde s'écroule comme un château de cartes.


Il se retrouve seul et désemparé à l'âge de 17 ans. Au cours de la lecture du testament, il apprend alors qu'il doit partager son toit avec un jeune détenu récemment libéré, Keith.
Ce dernier, qui possède un lien mystérieux avec son défunt frère, entre dans sa vie de façon déconcertante, voire un peu brutale, à l'opposé de son mode de vie.


Mais la collocation avec l'ancien hors-la-loi va s'avérer plus compliquée que prévue: l'ombre de la solitude et de l'isolement plane et ranime les blessures du passé.


Découvrez l'histoire d'Evan dans ce oneshot prenant place dans l'univers GMO Project dont l'arc Next Gen est également disponible à la vente.
Ce roman peut être lu indépendamment de la Next Gen.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 août 2015
Nombre de lectures 89
EAN13 9791092954814
Langue Français

Extrait

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Rohan Lockhart

Troublemaker




MxM Bookmark


Le piratage prive l'auteur ainsi que les personnes ayant travaillé sur ce livre de leur droit.

Cet ouvrage a été publié en langue française

sous le titre :

Troublemaker

MxM Bookmark  © 2015, Tous droits résérvés

Illustration de couverture © Katherine Cardona

Correction ©  Emmanuelle Lefray 

* * * * *

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit est strictement interdite. Celà constituerait une violation de l'article 425 et suivants du Code pénal. 

Introduction

Tel un ange déchu, je plongeais dans les abîmes infinis de l’enfer. Le corps brisé, les ailes se détachant progressivement et le cœur en lambeaux. Chaque seconde écoulée sur cette terre était désormais une souffrance supplémentaire.

Quelques jours plus tôt, j’apprenais la mort de mon frère. Ma vie s’écroulait alors. On me retirait mon unique point de repère, ma seule famille, celui qui avait sacrifié une partie de sa vie pour la mienne. Je ne voulais pas y croire. Comment l’aurais-je pu ? Pour moi, Leeroy était mon éternel grand frère, mon guide, les parents que je n’avais connus. Comment imaginer qu’un jour, lui aussi s’en irait ?

Je refusais d’admettre sa mort. Je ne pouvais pas concevoir une existence sans la sienne. Sans ses douces paroles, son sourire et ses gestes tendres. Ô Leeroy, pourquoi la vie était-elle si cruelle avec notre famille ? Pourquoi ne pouvions-nous pas être tout simplement heureux ? Il méritait de vivre plus que quiconque, lui qui avait guéri d’une maladie et défendu toute une société de mutants opprimés. Mais cela l’avait vaincu. Ils avaient gagné et m’avaient enlevé sa présence. Son aura protectrice, son amour.

Le plus difficile pour moi avait été d’affronter son corps à la morgue. Si j’étais dans le déni depuis l’annonce, j’avais été rappelé à la cruelle réalité. Il était allongé, les membres raides, la peau froide et pâle, si pâle… Ses paupières closes pour toujours. J’avais cru perdre pied, m’écroulant, dévasté, et j’ai haï le monde entier. Submergé par les larmes, j’étais impuissant face à la situation, ravagé par la douleur, perdu dans un océan de désespoir.

Lors de l’organisation des funérailles, j’ai rencontré tous ces gens qui le côtoyaient, qui l’appréciaient. Ils l’aimaient tous tant que ç’avait été encore plus difficile pour moi de réaliser sa perte. Tous s’accordaient à dire qu’il était exceptionnel, aussi ne pouvais-je chasser cet éternel « pourquoi » de mon esprit.

Les obsèques avaient eu lieu durant une journée ensoleillée du mois de mai. J’aurais préféré qu’il pleuve, cela aurait camouflé les pleurs de l’assemblée et les miens. Au contraire, les oiseaux chantaient et dansaient dans le ciel azuré, comme pour l’accompagner au paradis. Là demeurait ta place, mon tendre frère.

Son ami de toujours, Kain, m’avait accompagné pour les démarches administratives. J’étais heureux d’apprendre que Leeroy avait pensé au pire en le désignant comme tuteur légal jusqu’à ma majorité, même si j’avais préféré que cela n’arrive jamais. En réalisant que nous ne fêterions pas mes dix-huit ans ensemble, ni ma remise de diplôme dans un mois, j’ai rechuté. Et j’ai pensé à toutes ces choses que nous avions prévu de faire, à tout ce que je n’avais pu lui dire…

Puis il y a eu son testament. J’avais toujours su qu’il cachait une partie de sa vie pour me préserver. Après tout il possédait un poste à haute responsabilité : ambassadeur de la ligue mutante. J’avais conscience que Leeroy dissimulait son homosexualité, alors qu’il connaissait pourtant la mienne. Mais je n’avais pas connaissance des liens qu’il avait tissés avant sa rébellion au sein du gouvernement. C’est pour cette raison que l’annonce du notaire sur le partage des droits sur la maison avec un parfait inconnu, un Outlaw de surcroît, m’avait coupé le souffle.

J’avais tout d’abord cru à un amant caché, mais Kain m’avait assuré que c’était absolument impossible. Ce jeune hors-la-loi avait été libéré par Leeroy et ils se connaissaient à peine ! Après la surprise, la colère avait pris le dessus. Je ne voulais pas, non, je refusais de partager notre foyer. Il s’agissait de la résidence qui nous avait vus grandir, nous épanouir, qui avait abrité nos disputes et nos moments de bonheur. Comment pouvait-il y introduire une personne étrangère à notre famille ?

Ensuite je n’ai plus eu la force de penser à ce désagrément. Le déchirement suite à la perte de mon frère avait repris le dessus. Je ne pouvais pas être en colère contre lui. Je l’étais contre tout le monde, contre moi-même. Je me détestais soudain pour des milliers de choses, ma faiblesse, ma vulnérabilité face à la situation que je ne parvenais pas à gérer.

Et alors que j’affrontais sa disparition, est apparu mon deuxième ange gardien. S’il pouvait avoir des ailes, elles seraient écarlates, comme ses cheveux d’un rouge flamboyant. Ash, le neveu de Kain, un camarade de classe, mon sauveur, mon premier amour. Un électron libre, le genre de garçon insaisissable et passionné, doté d’un tempérament de feu.

Il était le seul à avoir affronté des brutes au lycée pour me défendre, quitte à recevoir les coups à ma place. Il m’avait protégé, avait pris position pour moi et depuis ce jour, mon cœur n’a pas cessé de battre pour lui. Cependant, il n’était pas de ceux que l’on apprivoisait. Si j’avais pu obtenir une unique étreinte de sa part, je n’avais jamais pu acquérir son amour. Celui-ci était malheureusement destiné à un autre et mes espoirs avaient faibli au fil du temps. Jusqu’à aujourd’hui.

Voir qu’il s’inquiétait pour moi et refusait de me laisser braver seul la mort de Leeroy me mettait du baume au cœur. Je me suis enfin rappelé que je possédais des personnes chères sur qui me reposer quand j’allais mal. J’acceptais la main qui m’était tendue et pleurais tout mon soûl dans ses bras protecteurs. Je détestais m’afficher de la sorte, dans une telle position de fragilité, mais il me fallait extérioriser tout ce qui m’arrivait. Ne pas évacuer ce trop-plein de souffrance me donnait l’impression qu’il pourrait me consumer, me détruire.

1.

Cela faisait quelques heures que j’étais chez Ash, mon mutant préféré. Sensible à ma détresse, sa petite famille chaleureuse composée de lui et son père, m’avait accueilli pour quelques jours. Je n’aurais pas pu refuser une invitation venant du garçon qui faisait battre mon cœur.

J’avais déjà eu la chance d’être invité plusieurs fois. Rien n’avait changé depuis. Leur maison était spacieuse, et reposante. C’était une belle résidence dans un quartier chic au nord de Silver Island. Une pelouse tondue au poil, un mobilier moderne et d’une propreté irréprochable.

Bien sûr, la caractéristique première des membres de la famille Jenssen était une gentillesse à toute épreuve. Richter avait un sourire qui saurait apaiser un mourant. Cet homme avait toujours le mot juste pour vous redonner le moral. Son fils tenait énormément de lui, ils avaient la même aura rassurante et apaisante. Ils possédaient les mêmes yeux vert empire, brillant de cette lueur qui avait transpercé mon âme pour me rendre éperdument amoureux de ce mauvais élève un brin bagarreur. Cette dernière caractéristique, il la devait au tempérament de sa mère, Ruby Blossom, dont il portait le patronyme.

Nous venions de terminer de dîner. J’aidai tout naturellement à débarrasser, quand mon hôte me prit les cartons de pizza des mains et m’interdit gentiment d’entrer dans la cuisine.

— Si je t’ai fait venir, ce n’est certainement pas pour te donner du travail ! File donc retrouver Ash ! me dit-il en me donnant un coup de serviette.

J’abdiquai et montai à l’étage retrouver ma tête de feu. Ash se trouvait dans sa chambre en pantalon de survêtement. Il venait de retirer son t-shirt pour enfiler un long débardeur noir. Je restai immobile dans l’entrée durant quelques instants avant de me rendre compte que je n’étais pas au lycée. Il m’avait invité, je me trouvais dans sa chambre, j’avais le droit de l’observer sans refréner mes sentiments pour lui. Il en avait connaissance depuis bien longtemps.

Je passai le pas de la porte, hésitant. La dernière fois que j’étais entré dans cette pièce, nous avions passionnément fait l’amour sur son bureau. Ce mémorable souvenir accompagnait toujours mes nuits froides et solitaires. Seulement, aujourd’hui j’avais comme l’impression de vivre un mauvais rêve éveillé. Le décès de Leeroy d’un côté, mais Ash de l’autre. Être auprès de lui avait toujours été un souhait, mais les conditions n’étaient plus celles que j’espérais.

Après m’être mis en pantalon de pyjama, je le rejoignis alors qu’il grimpait sur son lit. Après avoir trouvé la télécommande, il tapota la couette et me tendit la main avec son fameux rictus.

— Ça va ? Tu te sens bien ?

— Oui, ne t’inquiète pas, dis-je aussitôt en prenant place contre lui.

Il m’enlaça et déposa un tendre baiser sur ma tempe. J’eus envie de pleurer de bonheur.

— Bien sûr que je m’inquiète, tu traverses une période vraiment difficile. En plus, je suis nul pour consoler les gens, j’ai peur de mal m’y prendre et…

— Tu es parfait, Ash, répondis-je. Ne t’en fais pas pour moi, tu sais…

Je déglutis, repensant alors aux obsèques qui avaient eu lieu plus tôt dans la journée et ma voix se mit à trembler.

— Ce n’est malheureusement pas la première fois que je perds un membre de ma famille. Même si les fois précédentes, j’étais bien trop jeune pour réaliser.

Sa main se resserra sur mon épaule et il posa la télécommande sur la table de chevet. Je sentis son souffle chaud contre ma joue. Jamais je ne l’avais vu aussi attentionné et cela me toucha profondément, connaissant son caractère enflammé.

Les Lakers jouaient en ce moment à la télé et Ash semblait absorbé par le match. Mon frère était un grand admirateur de cette équipe. J’adorais le voir rentrer à la maison avec un pack de bière à la main. Cela annonçait une soirée en compagnie de Kain et je ressentais alors sa joie et ce lien si particulier qui les unissait. À plusieurs reprises, j’avais pensé que Leeroy avait des sentiments pour son meilleur ami. Lorsqu’il le dévisageait, c’était comme s’il le dévorait des yeux. Mais par respect pour sa vie privée, je ne lui avais jamais posé de questions à ce sujet.

— Tu ne m’as jamais parlé de tes parents, me dit-il avec beaucoup de réserve. Ils sont décédés lorsque tu étais petit ?

— J’avais cinq ans et je n’ai plus tellement de souvenirs, lui racontai-je. Ils sont morts lors de l’attentat anti-mutant au centre-ville de Triel, il y a presque treize ans.

— Je ne savais pas que c’était lors de cet évènement-là, je suis désolé, me dit-il.

— Tu ne pouvais pas savoir. Tu sais, c’est l’une des raisons qui ont poussé Leeroy à s’engager comme Ambassadeur à l’ORSM et à se battre pour les droits des mutants. Seulement…

Je ne terminai pas ma phrase, submergé d’émotion. Mon frère avait consacré sa vie à une cause qui l’avait finalement vaincu. Quel monde cruel, alors qu’il ne souhaitait que la paix entre les peuples.

Je me mordis la lèvre, refusant de pleurer une nouvelle fois devant Ash. Qu’allait-il penser de moi si je passais mon temps à geindre ? Mais c’était plus fort que moi, j’avais si mal, tellement mal…

— Hey, fit-il en éteignant aussitôt la télé. Ne sois pas triste. Ton frère est un héros ! Il m’a sauvé la vie et a permis de faire bouger le gouvernement actuel ! Je sais que c’est dur, mais Leeroy n’aimerait pas te voir dans un tel état. Il ne supporterait pas de voir son petit frère chéri malheureux.

— Il me manque tellement, dis-je dans un sanglot étranglé. Je me sens si seul depuis qu’il n’est plus là…

— Calme-toi, tout ira bien, je te le promets, chuchota-t-il dans le creux de mon oreille.

J’essayai tant bien que mal de sécher mes larmes alors qu’il me couvrait de baisers pour apaiser ma peine. Ses lèvres parcoururent ma nuque, mes joues, pour enfin se saisir de ma bouche. La douceur de ses caresses réveilla en moi un ardent désir et j’oubliai durant quelques instants ma douleur. Seul notre sensuel échange compta. Tout se brouilla dans ma tête et je me retrouvai alors nu, dans les bras de cet amant que j’avais si longtemps désiré sans jamais y parvenir. Nous ne fîmes plus qu’un et il me combla de plaisir et d’amour pendant de longues minutes. S’ensuivit un sommeil sans rêve ni cauchemar. Juste un vide de plusieurs heures.

Q

J’émergeai vers neuf heures du matin, la tête lourde et les paupières douloureuses. Pour un lève-tôt comme moi, il était déjà tard. Mais ce n’était pas le cas de mon amant qui dormait à poings fermés. Ses lèvres étaient entrouvertes et il respirait profondément. Je l’observai dans la semi-clarté de la pièce et caressai tendrement sa joue avec le dos de ma main. Il était tellement beau. Qu’importait l’heure, je voulais rester encore quelques instants à ses côtés. Je me sentais en sécurité et à vrai dire j’angoissais terriblement à l’idée de rentrer chez moi.

Une heure plus tard, je pris une douche brûlante afin de me réveiller. Celle-ci aurait été torride si j’avais capté à temps les signaux qu’Ash m’avait envoyés. Mais au lieu de cela, c’est seulement une fois sous le jet d’eau que ses paroles me revenaient en mémoire. Quel idiot je faisais ! J’étais tellement fatigué que je venais de passer à côté d’une belle occasion. Il était à présent un peu tard pour sortir de la chambre et l’inviter à me rejoindre.

Richter nous avait préparé le petit-déjeuner et laissé un mot sur la table à l’attention d’Ash. Il travaillait toute l’après-midi et rentrerait sur le coup de dix-huit heures. Je rejoignis mon ami dans la cuisine, qui me tendit une bouteille de lait et de jus de fruits.

— Tu peux les déposer sur la table basse devant la télé ?

— Bien sûr, tu veux que j’amène autre chose ? demandai-je

— Est-ce que tu peux prendre des bols et cuillères dans le vaisselier en face de toi ? Tu manges quoi, d’ailleurs, le matin ? Je mange que du sucré mais si tu veux des œufs ou du bacon, je peux t’en faire.

Durant quelques secondes, j’eus envie de dire oui afin de déguster un mets préparé par ses soins. Seulement, j’avais l’estomac en vrac. Un peu de lait et quelques céréales feraient l’affaire. Nous nous installâmes dans le sofa et un Boston Terrier vint à notre rencontre. Le bruit du sachet de Froot Loops l’avait certainement attiré, car il remuait sa queue et quémandait auprès de son maître.

— T’es chiant, Fool ! s’exclama Ash en le repoussant gentiment de la main.

Il prit une poignée de céréales et les déposa sur le tapis du salon. Une fois la dernière miette avalée, le chien s’en retourna à son panier. Il devait savoir qu’il n’avait droit qu’à une seule part. Ash me servit ensuite du lait, et zappa, en quête d’une de ces chaînes diffusant des séries policières à la mode.

Je regardais très peu la télé et de ce fait, étais totalement largué en matière de programme. Lorsque mes camarades discutaient entre eux, j’étais incapable de comprendre leur conversation. Je savais juste que le truc du moment était une série sur des zombies, mais je ne saurais en dire plus.

— Ça va ? me demanda-t-il en me frottant activement l’épaule.

Je hochais la tête, ravi de son inquiétude à mon égard. Mais je n’étais pas mourant, il n’était pas nécessaire de me poser la question toutes les cinq minutes. Je me gardais bien de le lui dire, ne voulant pas le vexer. Et j’étais bien trop heureux qu’il s’occupe de moi. Pourtant, je le sentais comme gêné lorsqu’il m’embrassait et me touchait. Comme une impression de retenue. Je savais que Sanka et lui avaient rompu il y a peu. Mais en tant que meilleurs amis et amants, leur situation était différente. J’avais bien sûr conscience qu’il l’aimait toujours. Le problème n’était pas de cet ordre-là. Ash était… mal à l’aise avec moi et tentait de le dissimuler. Si j’avais eu du courage, je lui aurais posé la question, mais ce ne fut pas le cas. Je préférai me voiler la face et vivre quelques instants de bonheur à ses côtés, sans doute artificiels, mais qu’importe.

Nous traînions dans le canapé à visionner une sitcom jusqu’en début d’après-midi, quand quelqu’un sonna. Ash alla ouvrir avec réticence et je vis Keisuke, un camarade de classe.

— J’avais complètement oublié que je devais étudier durant les vacances, soupira Ash.

— Evan n’a qu’à rester travailler avec nous, fit remarquer Kei.

— C’est gentil de me proposer, dis-je, mais je dois rentrer.

Je n’en avais bien sûr pas envie. Mais réviser pour les examens était la dernière chose à laquelle je voulais penser. De toute façon, repousser le moment fatidique ne servait à rien. Je devais rentrer chez moi affronter la réalité en face, même si elle était douloureuse. Je retournai dans la chambre d’Ash, chercher quelques affaires oubliées, et enfilai mes chaussures alors que Keisuke déballait ses affaires sur la table du salon. Lorsque nos regards se croisèrent, il tourna la tête, gêné, et fit mine de chercher un stylo dans sa trousse.

J’ignorais s’il possédait une rancœur particulière envers moi, mais sa jumelle semblait me détester. Elle me dévisageait toujours avec mépris et ne m’adressait jamais la parole. Peut-être que cela venait du fait qu’elle soit également éprise d’Ash. Elle pouvait être jalouse de notre proximité et des relations que j’entretenais avec lui. Même s’il était bisexuel, Ash avait une nette préférence pour les garçons. Hana m’en voulait sans doute pour cette raison.

Je divaguais. Ma tête pouvait tout simplement ne pas lui revenir. Quant à Keisuke, je ne le connaissais pas assez pour porter un jugement sur sa personne. Il avait toujours été sympathique en classe et c’était un excellent élève. J’espérais qu’il arrive à faire réviser Ash qui en avait grandement besoin pour les examens qui arrivaient.

— N’hésite surtout pas à m’appeler et m’envoyer des messages si ça ne va pas.

— C’est gentil, Ash, mais tu sais, ça va. Enfin, non ça ne va pas. Mais tu ne peux rien faire de plus pour moi. Il n’y a que le temps qui pourra alléger ma peine.

— Je sais bien. Je suis juste inquiet. Je n’aime pas te savoir seul chez toi alors que… tu es au plus mal. S’il te plaît, appelle-moi si tu as envie de parler de tout et n’importe quoi. Ma porte est grande ouverte, d’accord ?

Je hochai la tête, il était mignon. Sa bienveillance me touchait beaucoup.

— Ne fais pas trop l’idiot cet après-midi, dis-je. Révise sérieusement avec Kei. Moi aussi je m’inquiète pour toi, mais pas pour le même sujet.

— Je maîtrise, dit-il avec un air vantard.

— Comme le zéro et demi en algèbre du dernier contrôle ? le raillai-je

— Je n’ai pas d’aussi mauvaise note, d’habitude. Je ne sais pas ce qui s’est passé ! se défendit-il. Tu pourrais venir réviser avec nous les prochaines fois.

— Ça serait une bonne idée, mais je n’ai pas la tête à ça aujourd’hui. Je n’ai pas trop envie de penser aux examens ni au bal de promo (qui aurait lieu dans une semaine et demie). À ce propos, tu as pensé à ce que je t’ai proposé l’autre jour ?

— Je dois encore y réfléchir, me dit-il en détournant le regard.

Je savais ce que cela signifiait, mais je ne souhaitais pas aborder le sujet. Pas aujourd’hui, pas en ce moment. J’avais mon lot de contrariétés et désagréments. Ash me saisit par la nuque et m’embrassa fougueusement. Il me surprit tellement, que nos dents s’entrechoquèrent au premier contact. Je l’enlaçai et me perdis dans ses bras durant quelques secondes, savourant la chaleur de notre étreinte. Si seulement je pouvais m’en imprégner suffisamment pour l’emporter avec moi… Un dernier sourire et un baiser sur le dos de ma main, et je quittai la demeure Blossom/Jenssen.

2.

Après vingt minutes de marche, j’arrivai enfin chez moi. C’était la première fois que je pénétrai dans notre demeure familiale depuis le décès de Leeroy. Le jour de l’annonce de sa mort, j’avais fait un malaise et une crise d’angoisse tellement puissante que j’avais fini à l’hôpital. Ce fut Kain qui s’occupa de moi. Il se chargea du mauvais boulot comme on disait. Avant même que le testament de Leeroy ne le désigne comme tuteur légal, il m’avait déjà pris sous son aile durant quatre jours. Pendant tout ce temps, il était resté à mes côtés, m’avait consolé et nous avions partagé notre peine.

Bien que le caractère taciturne de Kain ne laissât rien paraître, j’avais conscience que la situation était terriblement difficile pour lui aussi, vu leur lien. Mon frère était bien plus que son meilleur ami et je savais que son statut d’adulte, de père de famille et mari l’empêchait de craquer. Seulement, je ne pourrais pas toujours me reposer sur lui. Il fallait que j’apprenne à aller de l’avant.

Je traversai la pelouse qui avait d’ailleurs bien besoin d’une nouvelle coupe, et marchai en direction de la porte d’entrée. J’eus un nœud à l’estomac comme jamais. Même les évaluations sportives du lycée me terrorisaient moins. Mon cœur battait la chamade alors que je glissais les clefs dans la serrure. J’ouvris la porte et avançai dans la pénombre. Je fis quelques pas maladroits en direction du salon et observai le canapé désespérément vide ; la télévision éteinte. Machinalement, je me tournai vers la cuisine puis montai en direction des chambres à l’étage. Je courus, conscient de l’inutilité de mon acte, mais je courus malgré tout. Je manquai de tomber, et me rattrapai à la dernière marche. J’expirai, la respiration saccadée et je me ruai dans la chambre de Leeroy. J’ouvris à grande volée la porte et son lit m’apparut parfaitement plié, comme lorsqu’il avait quitté la maison, un mois auparavant.

Mes paupières vacillèrent et je retins ce flot d’émotions qui ne demandait qu’à déborder, telle une crue. Je me mordis la lèvre pour contenir ce déferlement. Je devais être fort. Il fallait que j’avance. Leeroy ne voudrait pas me voir ainsi. Ce fut cette seule et unique pensée qui m’aida à ne pas terminer au fond de mon lit à pleurer toutes les larmes de mon corps. Même si ce n’était pas l’envie qui m’en manquait.

Je refermai la porte de la chambre et descendis verrouiller celle du rez-de-chaussée, restée grande ouverte dans ma quête fantomatique. J’entrepris d’ouvrir les volets de toutes les fenêtres afin de redonner un peu de vie aux pièces et j’aérai. Il n’y eut pas une seule seconde où je n’eus pas envie de flancher et de me laisser aller. Aussi me forçai-je à m’occuper l’esprit comme je le pus.

En faisant la lessive et la vaisselle restante, je m’aperçus que Leeroy m’avait plus ou moins préparé à son départ.

Quand j’avais appris sa rébellion au sein de la ligue mutante, je n’y avais pas cru. Il me disait tout et je n’avais jamais perçu le moindre trouble chez lui, ou soupçon d’insurrection vis-à-vis de son employeur. J’avais bien sûr compris que c’était pour me protéger qu’il ne m’avait rien raconté et tenu à l’écart. Alors durant un mois, pendant que j’attendais son retour, j’avais dû m’occuper tout seul des tâches ménagères. Mon frère avait conscience des risques qu’il encourait et m’avait envoyé un signal afin de m’avertir.

Je me souvins de notre dernière rencontre, lorsqu’Ash avait été kidnappé. Leeroy était différent, proche de son but, mais savait que des sacrifices étaient à prévoir. Si seulement il n’avait pas fait partie des dommages collatéraux…

Tout me reliait à lui d’une manière ou d’une autre. Sa chemise blanche que j’enfournai dans la machine, cette photo de famille accrochée dans le salon, son mémo de course sur le réfrigérateur, son rasoir mal rangé dans la salle de bain… Les fragments de la vie de mon frère étaient présents dans toutes les pièces à vivre. Je ne sus pas si ça me rassurait d’avoir encore un peu de lui ou si cela me ramenait à la cruelle réalité. Un peu des deux, sans doute.

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