Le dictionnaire Tchekhov
324 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Le dictionnaire Tchekhov , livre ebook

-

324 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

L'influence de Tchekhov sur la littérature est mondialement reconnue, la russité élégiaque qui émeut artificiellement les spectateurs et les lecteurs occulte la modernité de l'écrivain.
Ce Dictionnaire se veut découverte de la poétique remarquable et attachante qui fait de Tchekhov un grand novateur. Contenant quelque 3160 entrées, il s'intéresse tout autant aux questions de poétiques et stylistiques qu'à la conception théâtrale et aux traductions et adaptations parfois archaïsante ou faussement modernistes auxquelles elles donnent lieu.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 175
EAN13 9782296250789
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1300€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Dictionnaire Tchekhov
© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN:978-2-296-11343-5 EAN:9782296113435
Françoise Darnal-Lesné
Dictionnaire Tchekhov
L’Harmattan
Ouvrages dumêmeauteur
Oncle Vania, Collection Bréal, Paris, 2005.
Connaissance
d’une œuvre, Éditions
AntonPavlovitch Tchekhov, Portraitsde femmes,un itinéraire d’ombre etdelumière, ÉditionsLHarmattan, Paris, 2007.
AntonPavlovitchTchekhov,Les traductionet postface deFrançoise Paris, 2008.
Paysansetautres récits, Darnal-Lesné,LHarmattan,
AntonPavlovitchTchekhov,Lettresdevoyage-Moscou, Sakhaline,Moscou,traductionet préface deFrançoiseDarnal-Lesné,LHarmattan,Paris, 2009.
Site de l’auteur consacré àTchekhov
www.comprendre-tchekhov.fr
Avant-propos
CeDictionnaireTchekhova pour ambitionderépondre àune demande delecteursetdespectateurs. Il n’est pasdestiné auxseuls spécialistes ni auxétudiantsdelanguerusse. Il sepropose de donneràtous lesamateursdutâtre deTchekhov, puisque ce dernierest plusconnuqueles récits, ainsi quà ceuxqui e s’intéressentàl’époquemouvementée dela finduXIXsièclerusse, des réponsesàleurattente. EncequiconcerneTchekhovlui-même,il donneraici tout lecorpusdeson œuvre,tous ses personnages, des indicationsbiographiquesainsi queles tmes importants qui tissent son écriture. Ce dictionnaireprésentetoutautant l’hommeTchekhov,sa famille,sonenvironnement proche,sescontemporains,les milieuxainsi queles mouvementsartistiques,politiqueset religieuxdel’époque. Ilétudieles personnagesdel’œuvre tchékhovienne(nouvelles,romans, récits,théâtre)enune étudesynttique(carte d’identité, description, fonction)etcomprend descommentaires littéraires. Tchekhov n’est pas leseulauteur traité,ni laseulepersonnalité deson temps mentionnée,uneplaceimportante esteneffet laissée àtousceux qui l’ontcôtoyé ainsi qu’à ceuxqui ne cessentdelejouer. Ce dictionnaire étantdestiné auxlecteurs qui nepratiquent pas lalangue russe,lesexempleset les noms ontététous traduits. Desanalyses, toutefois,quidécoulentdela grammairerusse,ontété gardéesendonnant desexplications supplémentaires. Nous nous sommes tenue àlatraductiondes titresdepièces ouderécits consacrés par latradition, bien queparfois lenomchoisi nereprésentepas toutà fait le champ sémantiquequerecouvrelesubstantifrusse. Dansces cas litigieux,nousavonsdécidé de garder lenomcommunément répandu toutendonnantdautres traductionsen sous-titre et lesexplications s’y afférant. Demême,les nomsdes personnages ont suscitéquelques sitations. Fallait-il les« franciser» enajoutantun« e » àla findes nomsde familleseterminanten«in» en russe, fallait-ilécrireTrigorine ou Trigorin ?Au risque de déformer l’orthographe,nous nous sommes fons sur l’euphonie des noms, critèresansdoutesubjectif carSofia n’est pasdevenueSophie…
Concernant latranslittérationdel’alphabetcyrillique,nousavonsdécidadopter latranscriptionfrançaise depréférence àlatranslittération internationale dont les signesdiacritiques risquaientdenepasêtre comprisdu public français.Cestainsi queleson«tch »russen’est pas transcris parXmais par«Tch » commeTchekhov. Cet ouvrages’intitulantDictionnaire,nousavonschoisi le classement alphabétique français, bien qu’il perturbel’ordre del’alphabet russe, rejetantàla findelaliste des nomsdepersonnes oudetitres qui se trouventaudébutdel’alphabetdans l’ordrerusse et vice-versa. Nousespérons parcet ouvragerépondre auxmultiples questions queles lecteurs ouspectateurs seposentausujetdeTchekhov,nousformonsde mêmelevœuqu’ilsfassentdesdécouvertescar Tchekhovestencoreun auteur malconnu,pour nepasdireméconnu,mêmesi toutconnaisseurde lalittératuremondiale a entenduparlerdelui oupossèdeun recueilde récits ou unepièce detâtre. L’influence deTchekhovsur lalittérature, lethéâtre est mondialement reconnue,larussité élégiaquequiémeut artificiellement les spectateurset les lecteurs occulte cependant la modernité del’écrivain. Ce dictionnaire, enfin,seveutdécouverte delamodernité dans la poétiqueremarquable etattachantequifaitdeTchekhov ungrand novateur.
FrançoiseDarnal-Lesné Docteuren Slavistiques Paris,2010
A Abolition du servagel’Ancien régime de l’avantréformes, lorsqu’il lui était possible de battre ses serfs. Le serf Grichka* portefévrier 1861, Alexandre II* signe les nouveaux Le 19 statuts des paysans, précédés d’un manifeste rédigé par le plainte pour coups et blessures. Le juge Chestikrylov*, métropolite Philarète. Les dispositions sont celles ami du gentilhomme rural, est obligé de défendre les lois qu’aont conçues Milioutine et ses partisans, à ceci près nouvelles. que les anciens serfs ont le choix entre l’attribution d’une Le gentilhomme rural est condamné par contumace… bonne part des terres seigneuriales (environ la moitié de puisque le juge lui ordonne de ne pas paraître au tribunal, celles qu’ils cultivent déjà) qu’ils doivent racheter et la somme de dédommagement est payée par le juge collectivement, ou alors d’un quart de ces terres, qu’ils luimême pour éviter toute tentative de rébellion de son otiennent gratuitement, ce que l’on appelle « lot du ami. Après quoi ils vont déjeuner ensemble. mendiant ». Notons l’ironie des noms de famille, pour l’un, tiré de  La réforme touche la totalité de la paysannerie, soit 52 « Eau de vaisselle », le gentilhomme rural, et pour millions de personnes (85 % de la population de la l’autre, le juge, « Ailes pures »… Seul le serf échappe au Russie d’Europe). Les anciens serfs comme les anciens traitement corrosif de l’écrivain. paysans d’État ont à choisir entre la tenure individuelle, qui peut être transmise par héritage, et la tenureAcadémie communautaire. Dans le second cas, la communauté Tchekhov est élu à l’Académie en 1900, tout comme rurale autogérée et qui devient la plus petite unité son ami, l’écrivain Korolenko*. administrative de l’empire, redistribue les terres entre ses Ils démissionnent tous deux en 1902 pour protester membres selon leur capacité de travail. contre l’exclusion de Gorki*. L’abolition du servageimprègne la vie. Petitfils d’un serf ayant racheté sa liberté et qui seAccise(Aktsiznyj), dansLes Éclats*, n° 32, 9 août 1886, vante sa vie durant de ce «qu’en lui coule du sang designé A. Tchekhonte. moujik», Tchekhov ne peut être abusé par l’idéologie* ambiante qui voit dans le paysan un être à l’état purAdabachev, (Un meurtre artistique  Arterskaïa parce qu’il n’a pas été encore corrompu par la société.gibel*), un acteur. Dans l’œuvre tout autant, on perçoit les problèmes liésaux réformes entreprises par Alexandre II*. Nombre deÀ deux c’est mieux(Oba louchtche), dansLes Éclats*, personnages*, en effet, qu’ils appartiennent à la classe n° 13, 30 mars 1885, signé A. Tchekhonte. dirigeante ruinée La Cerisaie*, Oncle Vania*,désorientée par le nouveau monde La fiancée*, LesAdministration trois sœurs*, ou au monde paysan Les paysans*, La Les années 19601904, naissance et mort de Tchekhov, nouvelle datcha*sont celles d’un changement sociétal sans précédent en, ont à souffrir de la nouvelle société civile. De nouvelles fonctions  commissaire de police Russie qui exige d’amples réformes au sein même de rurale, président du zemstvo*, instituteur de campagne, l’organisation territoriale russe. La création des médecin du zemstvo , voient le jour et sont des zemstva*, des tribunaux administratifs, la marche forcée personnages aussi dignes d’intérêt que les aristocrates*. vers un monde moderner* oblige le pouvoir russe à se pourvoir d’organes administratifs nouveaux, alors que le Aboltoukhov (Fleurs tardives  Tsvety zaposdalye*),unpouvoir reste aux mains du tsar autocrate*, ce qui marchand* de spiritueux.entraîne une double administration très lourde sur le plan  financier, mais surtout préjudiciable quant à l’efficacité Abraham Moïsseitch (Tu et vous  Ty i Vy*),des mesures en cours. propriétaire de maison. Le nombre des fonctionnaires*, nommés pour faire  marcher le pays, double ainsi en l’espace de quelques Abruti de l’intelligentsia, Un(Intelligentnoe brevno), années, ce qui compliquein fine la marche vers le dansLe Journal de St Pétersbourg*, n° 169, 23 juin progrès* puisque toute décision est prise à plusieurs 1885, signé A. Tchekhonte. niveaux.  Trois hommes se confrontent au cours du récit : Les fonctionnaires deviennentde facto source de Pomoïev*, un gentilhomme rural* qui en est resté à raillerie tant ils semblent incompétents, empétrés qu’ils
sont dans les multiples ordonnances venues de la capitale et qu’ils ne peuvent appliquer, faute de moyens.  L’œuvre est ainsi traversée par de nombreux personnages de fonctionnaires, qu’ils soient maîtres d’école, juge, greffiers, employés des chemins de fer et répercute par le biais du point de vue des narrateurs* leur constante incapacité quant au travail demandé, rejoignant la vision de Gogol* à cet égard. Adolphe Ivanitch(Stradaltsy  Les martyrs*), un cavalier. Adultère  L’adultèreestconsidéré en Russie impériale comme crime et inscrit pour cette raison au Code de la Famille.  Dans son expression la plus extrême  les deux acteurs sont liés par le mariage et il n’est aucune possibilité manifeste de le délier ,l’adultère est à l’origine de nombreux récits*. La dame au petit chien* en étant la représentation poussée à son paroxysme. L’adultèrepas cependant une thérapie sociale n’est pour Tchekhov, mais moyen de se libérer de liens devenus soudain trop lourds, frontière* qui fait passer d’un monde à l’autre. Il est prise de conscience qui mène à la connaissance, et permet de tourner le dos à un monde de mensonges* pour atteindre sa vérité*.  La rencontre de Verchinine* et de Macha*,Les trois sœurs*, puis leur rupture, permetin fineà cette dernière d’accepter la vie*.  Il faut ajouter que la relation hors mariage en tant que telle n’est jamais cependant une représentation d’une quelconque déviation morale, mais bien plutôt la manifestation d’un corps qui s’éveille à l’amour* refusé jusqu’alors et qui rejette les barrières sociales dans la mesure où elles ôtent la vie*.  Il n’y a pas alors chez l’auteur, de sentiment de dénégation visàvis des « briseurs de ménage » comme chez Tolstoï* par exemple et chez bien d’autres écrivains.  Tchekhov voit en effet dansl’adultèrela manifestation de la lutte d’un être contre une logique d’enfermement, synonyme de mort psychologique, une bataille pour essayer d’exister et, par là même, vivre.  Ce qui est intéressant dans le positionnement de Tchekhov par rapport à la morale traditionnelle n’est donc pas l’infraction, mais sa déculpabilisation.  Cela ne veut dire ni oubli, ni effacement du péché, ni bonne conscience. Afanasii (Je veux dormir  spat khojetsia*),un apprenti. Afanasii (L’homme dans un étui  Tchelovek v fultiare*), une ordonnance.
8
Affaire Dreyfus  L’affaire Dreyfus a une influence très grande sur les rapports entre Tchekhov et Souvorine*. Tchekhov, en voyage à Nice*, lit les journaux français concernant le procès dont les retentissements sont énormes en France ; Tchekhov assiste doncde visu aux affrontements entre antiDreyfusards et proDreyfusards.  Zola* et son célèbre « J’accuse » semble l’enchanter. Sa correspondance est à ce sujet très précieuse pour suivre la ligne de conduite qu’il s’est fixé et ne varie pas d’un iota après le classement de l’affaire : «On s’est peu à peu convaincu que Dreyfus avait été condamné sur la base d’un document secret que n’avaient vu ni l’accusé ni ses défenseurs…  Je suis au courant de l’affaire par un compte rendu sténographique. Ce n’est absolument pas la même chose que dans les journaux et la position de Zola est claire pour moi. L’essentiel, c’est qu’il fait preuve de sincérité, autrement dit, qu’il n’édifie ses jugements que sur ce qu’il voit et non point sur des fantômes, comme les autres. Les gens sincères peuvent, eux aussi, se tromper, cela est indéniable, mais de telles erreurs font moins de mal qu’une insincérité concertée, que des préventions ou des considérations politiques. Dreyfus coupable, Zola aurait tout de même raison, car ce n’est pas aux écrivains d’accuser ou de poursuivre. Au contraire, ils doivent intercéder même pour les coupables, du moment que ceuxci sont condamnés et purgent leur peine. On me dira : Et la politique ? Et les intérêts de l’État ? Mais les grands écrivains et les grands artistes ne doivent faire de politique qu’autant qu’il est nécessaire pour s’en défendre.  Il y a bien assez d’accusateurs, de procureurs et de gendarmes sans eux et le rôle de Paul leur sied davantage que celui de Saûl», à Souvorine*, Nice*, le 6 février 1898. Pour quelles raisons Tchekhov estil si concerné par cette affaire française ? Un élément de réponse peut se trouver dans le fait que le capitaine Dreyfus est juif*. Or Tchekhov, dès son enfance, ne supporte pas les mauvais traitements faits aux juifs, ni l’antisémitisme.  « Après être rentré dans la classe de la victime comme une bombe, Tchekhov persuada les élèves de s’unir en signe de protestation. Tant que leur camarade juif ne serait pas réinstallé, ils devraient quitter le cours de grammaire tous ensemble. Le supérieur, un rien terrifié, a abandonné l’idée d’expulsion », in Ronald Hingley,A new life of Anton Chekhov, New York, 1976, Chekhov and Jews, pp. 236237  «Tout ce qu’écrit Souvorine dans « Temps nouveau » au sujet de Zola est simplement ignoble. À ce sujet, j’ai échangé des lettres (toujours sur un ton aimable) et nous nous sommes tus tous les deux. Je n’écrirai plus pour
« Temps Nouveau » ni ne lirai plus de lettres dans lesquelles il justifie l’inconvenance de son journal par le fait qu’il aime les militaires», à Alexandre, 23 février 1898.  «L’attitude de « Temps Nouveau » visàvis de Zola dans l’affaire Dreyfus est ignoble», à Alexandre, 30 juin 1898. « Dans l’affaire Dreyfus, « Temps nouveau » se vautre dans le mensonge. Quelle honte ! Brr ! »,à Alexandre, le 28 novembre 1898.  Une lettre à Batiouchkov dit la même chose. Dans le journalLa vie*, Gorki* interpelle Souvorine en ces mots : « Demandez à A. P. Tchekhov ce qu’il pense de votre attitude dans l’affaire Dreyfus et de la question juive en particulier »,. mars 1899.  Ce qui est sûr, c’est que l’amitié si profonde qui l’unissait à Souvorine cesse dès cette période. Les deux hommes s’écrivent encore, mais Tchekhov a pris ses distances et ne reviendra pas sur sa décision.  Tchekhov ne publie plus rien dansTemps Nouveau*. Affaire Rykov et Cie, L’(Delo Rykova i komp), dansLe Journal de St Pétersbourg*, n° 324, 24 novembre 1884, n° 325338, chaque jour du 25 novembre au 8 décembre, et dernière parution dans le n° 340, 10 décembre, signé Rouver. Affairiste, L’(Delets), dansLes Éclats*, n° 33, 17 août 1885, signé L’Homme sans rate. Agafia,paru dansTemps Nouveau*, n° 3607, 15 mars 1886.  Agafia est un récit à la première personne où le narrateurpersonnage* conte la soirée qu’il a passée quelque temps auparavant en compagnie du beau Savka*, un jeune paysan du village de Doubovo, dans les potagers où il a été relégué :  «Ces potagers étaient mon endroit préféré pour mes parties de pêche dites « générales », quand on part de chez soi sans savoir ni le jour, ni l’heure du retour, en emportant tous les engins de pêche jusqu’au dernier ainsi que de nombreuses provisions. Pour dire la vérité, ce n’est pas tant la pêche qui m’occupait que le flottement paisible de la vie, les repas à pas d’heure, la conversation de Savka et les longues confrontations verbales des douces nuits estivales».  Les parties de pêche, prétexte à ces rendezvous, permettent la contemplation de la beauté de la nature russe… «Tout s’apaisait dans le profond premier sommeil, seul un oiseau qui m’était inconnu, faisait résonner dans le bois son long cri paresseux… »
 L’oiseau est ainsi à l’origine des premiers échanges entre le narrateurpersonnage et Savka.  Puis un autre bruit se fait entendre, celui de pas humains. Connaissant le goût immodéré de Savka pour les aventures, le narrateur se doute qu’il s’agit d’une femme, qui est ce soir là, Agafia Strelchika*, la jeune paysanne récemment mariée à l’aiguilleur du chemin de fer, Strelchik* l’homme s’étonne et prévoit le pire.  De loin, tous deux voient la jeune Agafia traverser le gué, puis escalader la colline, prête à passer ici les quelques heures d’un bonheur* qui lui est refusé en bas*, dans sa maison*.  Un oiseau chante et le beau Savka court vers le bois pour l’attraper, preuve que la présence de la jeune Agafia n’a aucune importance pour lui. Après une longue attente et bien des hésitations, elle se décide à rester jusqu’au passage du train qui ramène son mari à la maison, décision lourde de conséquences en Russie impériale où le droit du mari sur sa femme en matière d’obéissance  surtout à la campagne , est encore très en vigueur. Jamais encore un mari qui a battu sa femme n’a été condamné…  Mais Agafia, grisée par la vodka*, oublie tout et surtout l’heure du train*. Soudain, en bas*, la voix du mari se fait entendre entraînant la terreur* sur son visage :  «Elle le sait, la chatte, quelle viande elle a mangé  grommela Savka en clignant des yeux pour la regarder  elle marche la queue entre les jambes… Sont chaudes comme des chattes ces bonnes femmes et peureuses comme des lièvres. L’est pas partie, la bêtasse, hier quand j’lui disais d’y aller ! Maintenant, elle va déguster et dans le voloste, on va encore m’étriller pour des histoires de bonnes femmes… »  Le narrateurpersonnage décrit alors le mouvement de la jeune femme qui prend des allures de descente aux enfers. Une longue description enchaîne les verbes multidirectionnels et ceux d’arrêt, suivis finalement par un verbe unidirectionnel à la forme perfective*.  «Apparemment elle avait rassemblé ses forces et pris sa résolution, elle se dirigea vers son mari».  Le récit, audelà, de toute prise de position de Tchekhov  le sujet n’est pas nouveau de l’adultère* dans les campagnes  témoigne néanmoins des méfaits de la société patriarcale et du malheur d’être née femme*, que ce soit à la campagne ou à la ville par ailleurs. Que dénonce l’écrivain si ce n’est que, croyant se libérer d’un joug, la jeune Agafia ne prend en aucun cas sa liberté. C’est vers un mari « poteau » qu’Agafia s’en retourne chaque matin, un homme qui s’enchante d’appartenir à la confrérie des petits fonctionnaires* de la ligne de chemin de fer, de ces « hommes nouveaux » raidis de certitude, des « hommes à l’étui*» pour qui il n’est pas de désordre public, de manquement à l’horaire, et qui, dans leur for
9
intérieur, sont persuadés qu’il peuvent battre leurs épouses. Agafia nous donne ainsi à voir sa soumission aux coups, à la vie telle qu’on la lui a présentée, et son autre soumission, sexuelle cette fois, à un homme, le beau Savka qu’elle partage avec d’autres femmes et qui ne peut en rien lui apporter le bonheur*… Dans sa quête, elle est ainsi soumise deux fois.  Le voyage* que la jeune femme accomplit le soir venu, n’est pas alors exode* vers une terre promise, il n’est pas voyage sans retour qui lui donnerait enfin la liberté*, celle de la liberté intérieure. Le chemin* sur la berge, à travers le gué, ne la mène nulle part, et par ses mouvements ascencionnels et descencionnels, reste mouvement horizontal*, qui, nuit après nuit, la conduit à un monde identique à celui qu’elle connaît en bas, car l’homme qu’elle rencontre en haut*, n’est que mépris envers elle. Ainsi sous une apparente rébellion, ne devientelle pas sujet de sa vie. Agafiouchka (Au royaume des femmes  Babie tsarstvo*), un parasite. Agafia Strelchikha (Agafia*), paysanne mariée très jeune à un fonctionnaire* de la nouvelle ligne de chemin de fer, l’aiguilleur Strelchik* dont le nom en russe est dérivé… d’aiguille.  Cet homme, bardé de certitudes, est persuadé qu’Agafia est heureuse car elle a pour époux, un homme respectable et respecté. Or il n’en est rien. Chaque nuit, Agafia se rend dans les potagers pour rencontrer le polisson Sachka* qui entretient avec toutes ou presque toutes les femmes du village des relations amoureuses.  Le narrateur* du récit éponyme met en relief la réaction de la jeune femme*. Alors que le lecteur est en droit d’attendre d’elle, obéissance et soumission, il découvre la rébellion qu’elle extériorise dans ses escapades là haut, dans les potagers de la commune.  Le récit dénonce le monde de brutalité qui règne dans les campagnes dès qu’il s’agit des femmes. En effet, la jeune Agafia, non seulement n’est qu’un objet de plaisir pour le jeune Sachka qui la rejette dès que le danger pointe, et pour le mari à qui la société donne le droit de la battre…  Agafia partage ainsi sa vie en deux : la première, du lever du soleil* à son coucher, où elle est bête de somme, la seconde, du coucher du soleil à son lever, temps où elle offre à son corps les instants d’oubli que son mari rigide  il est comparé à un poteau dans le texte  ne peut en aucun cas lui donner.  Pour aller d’un monde à l’autre, la jeune femme passe par un chemin*, toujours le même, et il faut remarquer que l’obstacle partageant son monde en deux entités est une rivière.
10
 Elle n’est pas simple obstacle géographique franchi pour quelques heures de liberté, elle est manifestation physique de la rébellion, de la transgression du monde, de la lutte que la jeune Agafia a choisies pour exister.  En plaçant sa vie quotidienne dans l’ombre de la colline et en confiant ses heures d’oubli à la clarté de la lune*, Tchekhov fait ainsi passer deux fois l’eau* à la jeune femme, une première fois, à l’aller, une deuxième, au retour ce qui a pour résultat de transformer en piétinement le mouvement double.  « Agafia s’arrêta, reprit son souffle et essoufflée, continua à traverser la rivière (…).  Agafia ! fit une sourde voix au village. Agafia !  Agafia mit le pied sur la rive et se dirigea à travers champ vers le village. D’abord elle marcha assez hardiment, mais bientôt l’émotion et la crainte l’emportèrent. Agafia resta sur place un moment, se retourna encore une fois, comme si elle attendait du secours de notre part, et reprit sa marche. Jamais je n’avais vu personne, ni sobre ni ivre, marcher ainsi. Agafia semblait se tordre sous le regard de son mari. Tantôt elle marchait en zigzags, tantôt elle reculait. Ayant fait une centaine de pas, elle se retourna encore une fois et s’assit.  Elle bondit soudain, secoua la têt, et, d’une démarche intrépide, se dirigea vers son mari.Apparemment elle avait rassemblé ses forces et pris sa résolution ».  Sous couvert de braver la société et de transgresser les codes de la vertu, la jeune Agafia n’en reste pas moins prisonnière des conventions qui lui font regagner un mari sans qu’aucun espoir de départ véritable soit à l’horizon* de sa vie. Agacha (Une histoire ennuyeuse  Skoutchnaïa istoria*), une cuisinière. Aglaïa (Un meurtre  Oubiistvo*),la sœur du cabaretier.  Écrasée par la misère, elle ne supporte pas l’idée que son cousin Matveï* ait pu donner son argent* à une femme qui partageait sa vie. Elle aide Iakov* à le tuer. C’est elle en effet qui lui donne le fer à repasser avec lequel Iakov enfonce la boîte cranienne de Matveï dans un moment de folie* meurtrière collective.  Aglaïa est condamnée pour meurtre et purge sa peine dans un bagne* en Sibérie. Agnosticisme  Doctrine qui considère que l’absolu est inaccessible à notre connaissance, ou écarte les spéculations philosophiques comme vaines, futiles.  Nombre de personnages tchékhoviens sont agnostiques dans la mesure où ils ont reçu une formation positiviste*, en premier lieu les médecins*.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents