Une Bretagne fantastique
116 pages
Français

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Une Bretagne fantastique , livre ebook

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Description

Rares sont les ouvrages qui vont chercher ce qui se cache derrière cette terre de cartes postales. Or cette vieille province de Bretagne possède bien d’'autres trésors, bien d’'autres richesses, un patrimoine oral particulièrement original et varié, transmis de génération en génération depuis ces temps que l’'on décrit "Immémoriaux". Ce sont ces histoires, à faire sourire, à faire peur, à faire rêver... que nous raconte ce livre.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 décembre 2012
Nombre de lectures 256
EAN13 9782365729666
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0026€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Fest-Noz

On en était à se prendre bras dessus bras dessous pour des rondes qui évoquaient celles des lointains ancêtres du Moyen Age, ou peut-être la danse du glaive que le vieux Kervarker mit en scène avec talent dans le Gwin ar C’hallaoued, l’un des plus beaux chants de son Barzaz Breiz. C’était ainsi, chaque samedi soir, dans la montagne qui hérissait sa longue crête de schistes noirs constellée d’éclats de quartzite blanc, depuis que la Breizh s’était réveillée, au début des seventies, au son de la harpe de Stivell, des accents rocailleux de Milig, et des détonations de l’ARB.
Le long ruban déployait ses orbes, comme jadis les fiers vexilloïdes au-dessus de la baie de Sant Efflam, comme l’aerouant qui ondoyait sur la terre gorgée de sel de l’île de Batz, avant que Pol Aurélien ne vienne y mettre bon ordre. Deux-cents poitrines prenaient leur souffle dans une mesure impeccable, comme réglées par un métronome imaginaire, tandis que les bras, soudés au corps, transformaient par une secrète alchimie, deux-cents individus distincts en une seule entit, en un long serpent de chair humaine battant de ses deux cents paires de pieds, au même instant, à la même fraction de seconde, le plancher de bois de la salle des fêtes de Brasparts. Jeunes et vieux et filles et garçons, et toutes catégories socio professionnelles mêlés, unis, soudés par la magique intercession de la bombarde et du biniou. C’était comme ça, dans la montagne, chaque samedi soir. Le peuple d’ici célébrait l’alliance renouvelée. Hiératique, droit dans les chaussures de cuir qui avaient depuis longtemps remplacé les sabots des anciens, il parvenait, lentement, graduellement, par paliers initiatiques, à une sorte de transe clanique et communautaire, quelque chose d’immémorial, de presque chamanique, qui illuminait les regards sans qu’il fût nécessaire d’ouvrir la bouche autrement que pour respirer. Vers minuit, on n’entendait plus guère que le rythme saccadé des pieds frappant le plancher, tandis qu’au bar le chouchenn de la Ruche Celtique et la noire Coreff coulaient du fût dans les verres et des verres dans les gosiers. Accoudé au zinc, un petit groupe de garçons encore jeunes achevaient de réinventer le monde.
Les indémodables frères Morvan, qui venaient le mois précédent, de célébrer leurs cinquante ans de scène, achevaient une vieille gwerz avant de regagner leur antre de Botcol. Et Ar Re Yaouank, qui s’était reformé, entre deux projets transversaux et une tournée de concert en Pologne, chauffait la salle avant de laisser la place au talabarder David Pasquet et à son groupe de joyeux farfadets. Dans un coin, pieds nus, le Gwennediz Pascal Lamour, ouvrait en grand les oreilles. Son accent vannetais rocailleux était reconnaissable entre tous. En émissaire du Bro Erec perdu dans les reier et les menezioù de haute Cornouaille, il avait apporté quelques bouteilles de la bière de Samain que le brasseur Lancelot avait confectionnée l’année précédente. Il faut dire que l’occasion s’y prêtait. Delors, le tourbillon des freux et des choucas, les gros nuages noirs qui s’étaient accumulés ces jours derniers et les feuilles roussies martyrisées qui volaient au vent, rappelaient à tous que l’on était à cette période très particulière de l’année, où s’ouvraient les portes de l’Autre Monde pour laisser passer dans le nôtre les esprits, les âmes, ceux qu’avec une appréhension mêlée d’affection, l’on nommait en breton les anaon . Brrrrrr. Drôle de temps. Drôle d’époque. Dans les cimetières gris de pierre ou de béton, de gros bouquets de chrysanthèmes posaient des touches de lumière d’or. Tandis qu’un peu plus loin à l’ouest, les frairies de Plougastel avaient repris les rites anciens. D’ici quelques jours, les hommes et les femmes de ce village du penn ar bed piqueraient de grosses pommes rouges dans les branches d’un if écorcé, effectueraient la triple circumambulation autour du lieu consacré, avant de donner les pommes, symbole d’immortalité aux enfants et de vendre aux enchères le bara an anaon , le pain des âmes, pour le repos des défunts… Au bout de ce pays, en des contrées où le ciel s’abaissait parfois si inconsidérément vers la terre que certains craignaient encore qu’il ne s’y abîmât, la présence de l’Autre Monde, avec toutes ces âmes charroyées par des bateaux fantômes, par des charrettes aux roues grinçantes, était toujours là, presque palpable. Et cette nuit, oui, cette nuit, privilégiée entre toutes, était le moment où les portes s’ouvraient. Toutes les portes. Et tous les possibles…
Justement. C’est à minuit qu’elle entra, poussant d’une main assez peu assurée le vieux battant de verre dépoli serti dans une plaque de contreplaqué du plus bel effet.
La chaleur animale engendrée par ces deux cents poitrines, la buée dégagée pour ses quatre cents poumons travaillant comme une forge, l’oppressèrent durant quelques instants. Le temps qu’elle s’adapte au long serpent de chair et qu’elle prenne goût à cette étuve humaine, à ce bain de sueur et d’odeurs fortes et persistantes.
Elle n’osa pas immédiatement rompre la chaîne qui se déroulait, souple et nerveuse, devant ses yeux médusés. Du reste, les quelques cours de danse qu’elle avait pris à la Mission Bretonne fondée par le père Quemener, à Paris, du temps où le hent houarn vomissait sur le quai de la gare Montparnasse des longues théorie de chair et de bras des neuf évêchés historiques lui semblaient à présent bien loin. La gavotte des montagne qui martyrisait le vieux plancher de bois lui paraissait comme une sorte de rite initiatique auquel elle ne s’autorisait pas à participer sans l’aide d’un secourable intercesseur. Et puis, après ces 550 kilomètres sur les longs rubans de bitume qui relient la Breizh à cette ville qui se prend un peu pour l’ombilic des terres émergées et où son grand-père était arrivé pour chercher du travail, dans les années de l’immédiat après-guerre, elle se sentait à vrai dire un peu lasse et même franchement fatiguée. Elle se dirigea, en jouant des coudes, vers le tabernacle autour duquel les croyants et les pratiquants, avec des dévotions non feintes, perpétuaient des rites ancestraux.
Le grand prêtre, couvert d’une chasuble de coton arborant en grosses lettres Coreff , lui servit d’office un profond calice d’élixir brun coiffé d’une délicate mousse blanche. Dans la douce quiétude qui s’emparait de son être, dans cette étuve où les effluves de bière brune et blonde et rousse, à présent brassée avec passion et dévouement par des centaines de mains expertes, se mêlaient aux respirations des hommes et des femmes de ce pays qu’elle avait rêvé et magnifié de son exil de béton et de fumées d’échappement, elle s’abîmait en contemplation, n’entendant plus que de loin en loin les stridences de la bombarde de David Pasquet et le couinement suraigü du biniou de Gaël Nicol. C’était comme ça à chaque retour sur la terre qu’elle considérait comme la sienne puisqu’elle était celle de ses ancêtres cornouaillais vêtus de chupenn glaz, coiffés d’élégants chapeaux à guides et armés du pennbazh, ce sceptre paysan qui donnait aux gens les plus simples une allure de princes des landes et des chemins creux. Il lui fallait un temps d’adaptation. Un temps pour chaque chose. Un temps pour la route. Un temps pour sentir son pays, le laisser entrer dans chaque pore de sa peau, dans chaque fibre de sa chair.
Elle ne vit pas les garçons s’approcher d’elle, elle ne sentit pas leurs regards s’attarder sur les courbes de ses hanches ni sur cette poitrine cachée pudiquement pourtant par la laine épaisse d’un pull-over ramené l’été dernier d’un voyage dans les comtés de l’ouest de l’Irlande. Il faut dire qu’elle était ce qu’en langage commun, on nomme une belle fille. Plutôt bien balancée et charpentée. Grande sans excès. Et sensuelle. Avec une bien jolie cambrure de reins et un buste galbé à souhait. Les cheveux d’un châtain clair tenus par une tresse soignée et régulière. Les yeux d’un bleu-gris-vert qui évoquait les camaïeux infinis de la mer du Trégor au beau milieu du printemps. Et la bouche naturellement pulpeuse, à peine rehaussée par un rouge à lèvre discret.
- Brav eo an amzer er menezioù Arre, e pad an diskarr-amzer . Fit le premier, en lui jetant un regard plus furtif qu’entreprenant. - Ya, tomm eo e barz ar stall-man, met riou m’eus er maez… répondit la fille dans un breton hésitant. - Vous parlez breton ? siffla le second sur un ton où la surprise le disputait à une secrète admiration.

Cette fille dont au début de la soirée, il avait vu la voiture affligée d’une immatriculation parisienne, parlait donc la langue des pères ? Les quelques banalités échangées dans un brezhoneg approximatif avaient pour but de briser la glace. Ici l’on n

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