Cette étoile à mon bras
178 pages
Français

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Cette étoile à mon bras , livre ebook

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178 pages
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Description

Heinrich fuit sa vie pour dessiner l'histoire de sa mort. Il est vite rattrapé par le devoir, et ce dernier s'incarne en Franck Folley, un diplomate qui décide de faire entrer le jeune artiste juif dans l'univers des hauts dignitaires nazis. Entre espionnage et apprentissage de l'horreur, Heinrich réalise bien qu'il n'est finalement plus maître des limites de l'humanité qu'il voit sans cesse repoussées. "... j'ai endossé la déloyauté qu'on attribue généralement aux Juifs, j'ai changé de nom et de pays pour (...) échapper à l'ennemi...".

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 51
EAN13 9782296248717
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Cette étoile à mon bras

Setâre Enayatzadeh
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296111639
EAN : 9782296111639
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dedicace I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV
Aux résistants d’ici et d’ailleurs, À celui sans qui l’aventure n’aurait pas été possible,
Ez te hez dikim…
I
Qui n’a jamais rêvé de pouvoir influencer la conscience d’autrui ? D’entrer au plus profond de son inconscient, de pénétrer dans ses rêves pour qu’au réveil la personne en question ait cet étrange sentiment, vous savez, celui qu’on a au sortir de nos songes, cette impression irrépressible d’une déconcertante absurdité : ce n’était qu’un rêve et pourtant ma vision du réel en est altérée. Tout serait si simple : apparaître dans une situation propice à l’admiration au sein d’un rêve pour se faire aimer... prendre la distance nécessaire pour inspirer l’idolâtrie et dicter des attitudes à adopter afin de faire autorité dans la réalité... tellement de guerres auraient ainsi pu être évitées, tellement d’histoires d’amour ficelées au plus profond des cœurs pour recoudre les plaies d’amants hémophiles...
Les bombes vont bientôt cesser... nous sommes en 1939. Les parisiens ne tueront bientôt plus les soldats allemands que le soir sur la scène du Châtelet, à travers la laideur agréable de Gaby Morlaix. Et pourtant j’y ai cru... J’ai cru dur comme fer à une lucidité fictive. Je pensais sincèrement que les français, du fait de leur position de force il y a quelques années, ne tomberaient pas dans les griffes d’une idéologie si féroce... Lâcheté ou adhésion, jamais je n’aurais cru en m’installant à Paris, en 1933, que la folie d’Hitler était si contagieuse...
Je regardais désespérément à travers cette satanée fenêtre, close depuis des mois. J’observai la masse brumeuse qui s’échappait de mes lèvres pour fondre sur la vitre et troubler l’unique fresque parisienne qu’il m’était donné de contempler depuis à présent trois ans... Était-ce la condensation ou la fumée de ma cigarette ? Je l’ignore. Toujours est-il que je suivais du regard le trajet de cette forme évanescente comme si elle pouvait guider mes pensées... En changeant de nom, j’avais l’impression d’avoir changé de vie. D’être le fugitif poursuivi par une épidémie mondiale et psychotique pour le crime de n’être pas atteint et d’être congénitalement immunisé contre la folie. Nous étions nombreux à avoir ce gène ethniquement transmissible du nom de judaïsme... Vivre avec, c’était rejoindre le clan des anormaux, des handicapés, des sous-hommes. C’est la raison pour laquelle on avait décidé pour notre bien qu’il était préférable d’être mort. Vivre avec une telle tare c’était comme avoir l’apparence d’un homme sans en avoir la dignité. C’était trahir l’humanité que de prétendre en faire partie... Seulement, certains d’entre nous avaient décidé de ne pas contribuer docilement à ce que cette flétrissure de l’humanité soit éradiquée. Pourquoi arrêter la gangrène ? Pourquoi amputer le genre humain d’Albert Einstein, de Sigmund Freud, de Stephan Zweig ou de Franz Kafka ? Je n’étais pas d’accord. Alors j’ai tout simplement décidé de commettre le crime pour lequel on m’avait accusé à tort, histoire de n’être pas condamné pour rien : j’ai endossé la déloyauté qu’on attribue généralement aux Juifs, j’ai changé de nom et de pays pour, dans un premier temps, échapper à l’ennemi alors qu’il n’était pas assez puissant pour m’arrêter. En 1933, dès janvier, alors même qu’on nommait Hitler chancelier, je quittai Dortmund, mes projets, ma passion. Être critique d’art n’était guère utile. Par ces temps de bellicisme exacerbé, on laissait peu de place à la subtilité... surtout si elle était l’apanage d’un pestiféré... elle n’était alors plus que barbarie.
Voilà à quelles digressions me mène la fumée... je ferais mieux de me concentrer sur la radio allemande... « (...) Euthanasie der geistigen Behinderten (...) ». Finalement, ma nostalgie est plus réconfortante...
Je m’approchais lentement du poste, m’asseyais sur le sol comme on s’agenouille et incline le crâne pour s’avouer vaincu. Le Reich venait d’ordonner l’euthanasie des malades mentaux... Jusqu’où iront-ils ? Encore un triste événement à inscrire sur mon journal macabre : « octobre 1939 : les malades mentaux seront euthanasiés, certainement pour les plus chanceux d’entre eux... »
Triste devoir que celui de contribuer par touches à la grande gravure de l’Histoire. C’est l’appel de la fameuse injonction Zakhor , « souviens-toi », une sorte d’impératif catégorique qui propose à tout homme non pas une rationalité collective qui pourrait les relier en une seule unité rituelle, mais une pratique unique à laquelle chacun doit s’adonner pour élaborer une rationalité collective... unir les individus dans ce qui les caractérise : la dignité et sa source ancestrale, celle de l’histoire de leurs agissements, agissements desquels il me semble qu’ils sont la seule mesure... C’est horriblement angoissant. Il faut atténuer la démesure. Je dois descendre. J’en ai assez d’attendre des signaux codés des hommes et du destin...
« Heinrich, prends ça ! Ce soir près des nouveaux immeubles de la rue Vaugirard, on sera six. »
Je sursautai.
« Je t’ai fait peur Heinrich? », me lança Elias, le sourire en coin.
« Non pas du tout ! Je suis tellement habitué à ce qu’on entre et sorte toutes les cinq minutes ! Répondis-je ironiquement.
- Désolé… Mais tu penses être là ce soir ?
- Bien sur. Mais... Y’a-t-il une raison particulière pour qu’on se réunisse ?
- Ouais. Hitler veut déporter des polonais au centre de la Pologne. T’écoutes pas la radio ?
- Tu m’excuseras, j’en étais resté aux handicapés... Mais la Pologne vient tout juste de créer le Judenrat  ! Adam Czerniakow ne peut pas laisser passer ça !
- Mais ça fait au moins une semaine qu’on est au courant de ça ! Écoute mieux, l’artiste. Bientôt on devra sûrement passer aux choses plus sérieuses... C’est bien beau de se cacher, mais la Wehrmacht est puissante, bien plus puissante que l’armée française. Parce qu’elle est mue par la folie communicative de l’autre moustachu!
- Mais les Anglais sont là aussi ! Ils auront encore quelques années et quelques milliers de soldats à sacrifier avant d’entrer !
- Peut-être, mais en attendant faut que tu viennes. Faut que tu tiennes le coup. Et faut qu’on discute pour s’organiser. Mieux vaut prévoir. Pense à ta sœur, Heinrich.
- Ne m’appelle plus Heinrich ! Tu risquerais d’en prendre l’habitude... »
Je venais de surprendre la véhémence de mon ton... « Je suis désolé ». Pour me contrôler, il aurait fallu que je m’aperçoive qu’il y avait lieu de le faire... J’ai du mal à supporter qu’on me rappelle ma sœur... Elias le sait, et il a bien fait de me lancer le poids d’un souvenir au visage. C’est la seule façon de me faire réagir.
J’ai rencontré Elias dans les rues de Paris, en 1933, alors qu’il se faisait agresser, toujours à propos de cette maladie... Seulement les agresseurs n’avaient apparemment aucune crainte de contagion par le contact physique. Un symptôme trop visible les avait dérangés : une kippa mal dissimulée sous son béret. J’arrivai un peu tard... Juste au moment où ma seule contribution aura été de forcer sur mes bras frêles pour le relever. Depuis, nous partageons le même sort. Celui de deux hommes condamnés à ne plus pouvoir vivre au grand jour, du fait de leur amour pour la vie. Juif allemand, Juif polonais, Juifs menacés et plus prévoyants peut-être que les autres... Juifs résistants plus tard. Quand on est juif, la condition sociale importe peu. On est juif, c’est tout. C’est tout ce qui nous caractérise. La seule chose qu’on énonce pour nous désigner. Heinrich Jakob Schnayder ? Qui est-ce ? C’est le Juif de l’immeuble. Je ne suis plus ni critique d’art, ni peintre à mes heures, ni un homme amoureux, ni un Allemand, je suis juif. Heinrich ? Juif avant d’être allemand pour les Allemands. A présent, je ne suis même plus Heinrich.
Elias quitta la pièce. Il vivait à deux pas de là, avec son amant, Antoine. Ce dernier avait tout autant à craindre que nous. L’homosexualité avait aussi été décrétée pathologique par le grand laboratoire du Reich, pathologie menant à la décadence étatique. Brève ap

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