Christophe
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nouvelle sur Christophe Colomb

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Publié le 07 juillet 2012
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Langue Français

Extrait

Christophe par Damien Suvélor
Après tant d’années d’attente, d’échecs, d’espoirs, de déceptions sans cesse réitérées et de combats, il pouvait enfin prendre la route et réaliser son rêve, après avoir patiemment supporté les désillusions, les saisies des huissiers obscènes, avides et arrogants, le regard honteux et comme gêné de sa femme, les scènes de ménage, (vu sa maîtresse, la belle Béatriz Moniz y Perestrello, aux seins lourds et aux formes opulentes, au cou nacré et aux fesses si rondes, si sucrées et si appétissantes), les petits matins blêmes et les envies de suicide qui lui nouaient la gorge, la misère et ses multiples corollaires, les regards haineux des gens dans la rue qui faisaient des messes basses et ricanaient peu discrètement sur son passage avec la jubilation spécifique aux imbéciles, comme s’il était aveugle et sourd et ne comprenait rien, comme s’il avait tué, dépecé, mangé ou violé quelques bambins, surtout Lourdes son infecte voisine portugaise, si outrée qu’il ait pu obtenir ce que son roi à elle lui avait refusé, ce qui paraissait pour le moins désavouer ce dernier comme elle-même.
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Sans même parler de Clément, le français, son ancien condisciple de quelque bastingage qui le poursuivait depuis toujours d’une haine aux causes obscures, peut-être de lui seul connu, pathologique et quasi-métaphysique, sans oublier Xavier Bordage, l’autre français ennemi, le marin bien nommé qui avait cru pouvoir lui enseigner son art avec toute la suffisance et l’arrogance de ce médiocre personnage si infatué de lui-même, mais bien pourvu de relations à la Cour et qui avait tout fait pour retarder le feu vert royal. A la Cour, qui en comptait décidément un bon nombre, deux autres français étaient les ennemis acharnés de Christophe : l’un était Monsieur Rivière, vieux nom français s’il en est, fleurant bon la mère patrie, encore un marin d’eau douce, homme petit, haineux et mesquin, suant la haine, la méchanceté et la pourriture, court sur pattes, lui qui trouvait le moyen d’être au moins aussi prétentieux que Christophe, ce qui n’était manifestement pas peu dire, lui l’homme qui croit tout connaître et tout savoir de tout, celui que sa longue expérience
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d’homme de cour, rendrait si supérieur, lui à qui il ne manque plus que la longue barbe blanche et le crachat putride, lui qui gaulé comme un hamster, volerait dans les airs par un simple effleurement d’une main inamicale, lui qui se croit sage parmi les sages, alors qu’il n’est qu’un petit bourgeois ranci, confit en dévotion, qui connaît par cœur ses patenôtres et ses Confiteor, lui qui croit tout connaître du monde mais qui n’a rien compris, au grand jamais, lui qui croit si bêtement qu’il n’existe qu’une seule forme d’intelligence, la sienne et qui ne soupçonne même pas que d’autres, qu’il prend au demeurant évidemment pour des idiots, ont peut-être en eux des chefs-d’œuvre, ou, en tous les cas au moins, des mondes personnels facilement plus affirmés que l’inexistence du sien. Jamais cet homme-là ne découvrirait l’Amérique. Il n’est prêt à aucune aventure. Il ne s’agit pas même d’en découdre physiquement, ce que d’ailleurs sa petitesse, (aux deux sens du terme), peut très bien expliquer, ainsi que sa maigreur squelettique, provocante et odieuse pour un gros et bon vivant
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comme Christophe. Mais il n’est même pas l’homme qui embrasse des mondes, toujours insatisfait de la taille finie de l’univers connu, l’homme qui s’interroge sur tout. Non, pour lui, tout est clair, tout est simple, tout est tranquille. Son univers se limite à sa misérable petite vie d’une morale de merde. Jamais la moindre envergure intellectuelle. Il est tout à ses chiffres. A la cour des Rois Catholiques, où il est fort bien vu, son service comptabilité marche à la perfection, c’est un bon administrateur. Bref, il est aussi heureux que béat d’admiration pour sa modeste personne. Il avance dans la vie sans souci et sans problème. Il a tout vu, il sait tout. C’est l’homme dans toute sa splendeur, le parfait crétin dans son arrogance cachée mais bien sentie, le médiocre qui se croit grand, la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, la vieille baderne putréfiée au ventre crevé d’où sortent les asticots. Jamais aucun roman n’est sorti de sa plume stérile ou de son sexe ranci, ni aucune nouvelle, ni quoi que ce soit, d’ailleurs, pas même un avorton. Mais enfin, me
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direz-vous, il est heureux : il ne manque jamais un maravédi dans la caisse royale. L’autre est le général De Galliffet qui jouit d’un exil doré à la Cour des Rois Catholiques. Il dut précipitamment fuir celle de Charles VIII quelques années plus tôt, après avoir volé dans la caisse de l’ost dont il était le trésorier payeur général, un peu plus que ne le voulait l’usage. Sans doute se souvenait-il du tableau de Quentin Metsys, « le châtiment du juge prévaricateur », avec la peau de la jambe pendante. Lui qui envoya dans diverses guerres tant d’hommes à la mort sans sourciller, a une peur panique de la sienne, c’est fréquent à notre époque, mais plutôt rare à celle de Christophe. Pour le chrétien solide dans sa foi, la vie et la mort se mélangent en un incessant ballet. Rien ne les distingue. Il faut dire que la mort frappe tellement que tous sont blasés et que, du moment que l’on n’a pas la peste, ou que l’on ne meurt pas sous la torture, tous haussent les épaules. Seul Galiffet, bien en avance sur son temps, blêmit, rougit, pâlit à grosses gouttes à l’idée de sa propre mort. Il a tout de suite
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compris que Christophe est d’une autre trempe et qu’il a uniquement peur de ne pas réaliser son rêve, que la mort le prenne trop tôt, mais qu’elle le prenne tout court, il s’en moque bien. Du coup, Galiffet, la grosse baudruche avinée, avide de pouvoir, de sang, de meurtres, de rapines et de prévarications, assoiffé d’honneurs, toutes les médailles des deux pays brillent sur sa vaste poitrine, a immédiatement détesté Christophe, et a tout fait pour que Christophe ne parvienne pas à ses fins. Sans parler d’Odile Tacchini, la perfide compatriote, celle dont Christophe avait refusé les avances dans leur jeunesse et qu’il a malencontreusement retrouvée à la Cour des Rois Catholiques, usant son crédit, finalement inutilement , à détruire la naissance du sien. Et cela, toute cette horreur, tous ces obstacles innombrables, étaient relégués dans les oubliettes d’un passé encore proche grâce à la reine plutôt qu’à Ferdinand. Christophe s’était toujours demandé, quasi blasphème, si Isabelle n’avait pas un petit béguin pour lui, du moins voulait-il le croire, une si
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belle et si grande reine, si bonne aussi, s’intéresser à ce petit roturier désargenté, rêveur, coléreux, vaniteux et tellement impatient ! Quoi qu’il en soit, il pouvait enfin quitter cette cour si pesante, ces Messieurs-Dames jadis si fiers et si dédaigneux envers lui qui l’avaient toujours méprisé, lui le petit immigrant génois à la famille inconnue et aux origines obscures, (« peut-être Juif !, vous parlez d’un scandale, ma bonne dame », murmuraient plus ou moins discrètement quelques beaux esprits de la Cour), et aller vers son destin. Christophe, dont la patience n’était manifestement pas une vertu majeure, était particulièrement pressé. Le 22 mai 1492, il arrive à Palos, à l’embouchure du Rio Tinto. Il connaissait bien le charmant petit port et cela depuis bien des années, l’ayant rencontré un jour par hasard, lors d’un week-end pluvieux, si loin de la capitale et de ses soucis. C’est là que tous les marins de la contrée se donnaient rendez-vous, tous ceux qui connaissaient la Méditerranée comme leur poche, tous ceux qui avaient bourlingué à droite et à gauche, tous les truands burinés et avinés, aux
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visages tavelés et aux joues de pomme blette et flapie, dont les rides disaient les mystères du monde et sa beauté, eux qui passaient leur vie à lutter contre le monde entier coalisé. Officiellement, ils luttaient d’abord contre les Barbaresques. L’empire ottoman ne connaissait pas encore l’apogée qu’il connaîtrait trente ans plus tard sous le règne de Soliman le Magnifique, (1520-1566), mais il n’en était plus très loin. En fait, ces hommes avaient un autre ennemi, bien plus redoutable parce qu’il se trouvait sur le sol même de la patrie, l’Inquisition. Celle-ci voyait rarement d’un très bon œil tous ces hommes qui fréquentaient d’autres cultures par la force des choses et aussi par goût de l’aventure, cela malgré la piété légendaire des marins qui vouaient leurs vies et leurs voyages à toutes sortes de saints protecteurs. On sortait d’ailleurs d’une période étrange et difficilement définissable. Le 6 janvier avait été le jour de la chute de Grenade. Le dernier des Abencérages, Boabdil, avait dû fuir, accompagné de sa mère, qui lui disait, en passant le dernier col, de
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ne pas pleurer comme une femme ce qu’il n’avait pas su défendre comme un homme. Il avait bien cherché des renforts au Maghreb, mais personne n’avait répondu à ses appels, l’emprise de l’Islam sur cette partie de l’Occident était apparemment terminée. Le monde musulman, tout comme le chrétien, connaissait depuis déjà plusieurs siècles sa vieille division politique. L’ennemi était donc clairement désigné. Toutefois, l’Islam avait marqué d’une empreinte ineffaçable la sainte terre d’Espagne. Aussi, en 1492, seule l’Inquisition de Torquemada est résolument contre les Musulmans, surtout ceux du cru. Le reste du clergé espagnol ne partage pas encore ce point de vue. Il faut dire que dans les campagnes se trouve une active minorité musulmane de petits paysans, taillables et corvéables à merci, dure à la tâche, active et loyale, que l’on est bien contents de trouver, d’autant plus que la différence de religion paraît dispenser d’excès de scrupules envers eux. Les deux rois, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, sont à l’apogée de leur gloire et de leur
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puissance. Tout comme le gallicanisme en France, même si le terme sera inventé plus tard, ils veulent bien sûr, eux aussi, évidemment, être maîtres de leur Eglise au détriment du pape. C’est le 1er novembre 1478 que le nouveau souverain pontife, Sixte IV, avait exigé des deux nouveaux Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand D’Aragon, qu’ils nomment des inquisiteurs dans leur royaume, les deux souverains et Torquemada se livrant une lutte sourde pour le pouvoir, même si un regard extérieur peu au fait des choses des grands de ce monde et des arcanes de la puissance pourrait s’imaginer qu’ils marchent la main dans la main.  A quelques centaines de kilomètres de là, vers le nord, le petit Martin Luther qui a alors neuf ans, joue tranquillement dans la cour de sa petite école communale, celle où les Frères sont si durs, et, déjà, certains de ses raisonnements inquiètent ses petits camarades, même s’ils sont bien trop jeunes encore
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pour comprendre la charge potentiellement subversive qui s’y cache.  Le grand Erasme de Rotterdam n’est encore qu’un jeune et brillant étudiant de vingt-trois ans, dont la culture s’annonce déjà encyclopédique. Il étudie en priorité la théologie et le droit mais goûte particulièrement la philosophie grecque et baigne aussi dans la médecine, l’astrologie et l’astronomie.  Le jeune Michelangelo Buonaroti, qui en a dix-sept, est tout content : il vient de voir un de ses artistes fétiches Botticelli. Bien que très impressionné, il n’a pas pu s’empêcher de montrer son mauvais caractère en traitant l’un des élèves du maître d’âne bâté. C’est son vieil ami Léonard, l’homme qui étonne ses contemporains, qui le lui a présenté. Les deux artistes sont encore les meilleurs amis du monde avant de se brouiller définitivement quelques années plus tard, pour quelque raison futile, un peu comme longtemps après, mutatis mutandis, Voltaire et Rousseau.
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