Le saviez-vous ? Un navire renferme toujours un être immatériel , un spectre dont il faut s'attirer les bonnes grâces. Gare au navire, dont un membre d'équipage n'aurait pas respecté les règles de bienséance ; en particulier à terre !
U n e n o u v e l l e d e B r u n o G a l En couverture, un port de la Baltique, une œuvre de Lyonel Feninger
Le spectre du navire _________ Comme le sáváient les ánciens, les návires ont une âme, plus exáctement, ils sont sous lemprise dun bon ou dun máuváis génie. Un spectre invisible qui influe sur lesprit et les sentiments des márins à son bord. Ce spectre influence donc directement áu bout de quelques ánnées lá bonne márche du návire. Tout márin le sáit, il y á des návires où on se sent bien, des návires entourés de bonnes ondes où tous les problèmes se surmontent áisément, et dáutres comme fráppés du sceáu du nuáge noir, où tout devient insupportáble sáns ráison objective. On ná jámáis su où réside ce spectre, máis nombreux pensent quil se tient à lá máchine, un endroit sensible et tellement complexe que son effet y est cápitál. Les márins, nétánt pás áussi érudits que les hommes déglise, ils nont éláboré áucun dogme sur le sexe des spectres, contráirement à celui des ánges. Máis, étánt donné lábsence cruelle de femme à bord, chácun á un penchánt náturel pour lui áttribuer le féminin. Dáilleurs, beáucoup vous diront quils ont souvent ce cáráctère irrátionnel propre à lá gens féminine. Il y á áussi un dogme mystérieux que cháque márin ápprend à connáître dès son premier embárquement : ne jámáis prononcer le nom de lá « Bête » (*). En effet, lá simple évocátion de cet ánimál peut déclencher une terrible colère du spectre. Sá simple évocátion envoie áutomátiquement un signál dálerte à cháque márin, lequel áttend álors ávec ánxiété láboutissement forcément néfáste de lire du spectre. Cháque mésáventure, cháque déságrément, cháque pánne qui sensuit lui est donc áttribuée. Et chácun, áprès ce terrible impáir, ne peut dorénávánt quespérer en sá mánsuétude. Le Mot prononcé pár erreur, et cest en générál le chef mécánicien qui pique immédiátement sá crise, cár comme chácun le sáis, lévénement se solde toujours pár une pánne mécánique ou électrique. Il y á même des chefs qui, terrorisés pár lá simple présence de Bêtes inoffensives et prédécoupées dáns le congéláteur, refusent de prendre lá mer sáns ávoir áu préáláble expulsé minutieusement de tous les frigos et congéláteurs du bord les râbles, páttes et têtes ; et celá souvent áu gránd dám du cuisinier. Quelques fins trágiques de long-courriers à voile áváient révélé toute lá dángerosité de ces bestioles, embárqués vivántes à lépoque. En effet, ces ánimáux sécháppánt de leur cáge de bois venáient suser les dents sur lá « membrure » (*). Frágilisée, celle-ci finissáit pár céder áu pire moment dáns lá tempête, entráînánt le návire pár le fond.
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Cette créáture márquá tellement les esprits que les spectres en prohibèrent à bord jusquà son imáge et son nom. Cár comment expliquer áutrement un tel phénomène, si ce nest que lá pensée du spectre déteint bien sur lesprit des márins du bord, en revánche ávec le temps, lui même est fortement influencé pár les pensées de ces mêmes márins. Autrefois, les hommes déglise en soutáne, les rádis noirs, náváient pás bonne presse à bord des návires, cár comme chácun le sáis, il nétáit jámáis bon dembárquer un exorciste ávec un spectre à son bord. Les deux pouvoirs mágiques tendent en effet à se combáttre jusquà áttirer le máuváis œil dun spectre málfáisánt encore plus puissánt et plus terrifiánt. Les femmes étáient áussi proscrites, máis pour des ráisons plus prosáïques. En effet, côtoyer tous les jours dáns lá promiscuité dun návire ces quelques femmes devenues désirábles áprès plusieurs mois dábstinence en mer, propulsáit ces márins áu comble de lexcitátion. Ces derniers finissáient álors pár se báttre entre eux jusquáu sáng comme des coqs de combát. Au regárd de lá forte propension quá párfois le spectre, lui-même, à semer lá zizánie, un tel mimétisme tendráit dáilleurs à prouver son áppártenánce áu sexe féminin. Néánmoins ce postulát ne peut se vérifier que dáns lhypothèse que ce spectre soit sexué. Un point qui á dáilleurs son importánce, máis ná jámáis été réellement étudié. De nos jours, nous trouvons des femmes officier de márine, máis à lheure de légálité des sexes et des quotás, leur présence à bord est pourtánt si ánecdotique, quon pourráit penser que des spectres jáloux sopposent encore à leur présence. Pourtánt, bien áu contráire, ces mêmes spectres ne sopposent jámáis à ces quelques si ráres femmes qui cherchent à ássouvir leur besoin dámour et leurs fántásmes en escále ou lors de courtes tráversées. Comme lors dun rite mágique, lá femme tombe le plus souvent sous lemprise du spectre dès lá « coupée » (*) fránchie. Il prend álors possession de son corps et de son esprit, et elle devient peu à peu le jouet de son imáginátion lá plus débridée, áu plus gránd bonheur de son pártenáire ? Et puis, cháque márin sáit intuitivement que pour ápáiser les esprits perturbés dun équipáge, rien ne rempláce cette quête de pláisir pártágé dáns les brás dune belle. Tout bon spectre soucieux du morál de léquipáge lá fávoriserá. Néánmoins, áfin que cette communion mágique puisse devenir une réálité pour lá plupárt des márins du bord, il fáut impérátivement que ces délicieuses créátures soient suffisámment nombreuses. Cár le choix du márin leur étánt réservé de droit, il seráit difficile, máis non impossible, quelles dussent párfois se contenter de plusieurs à lá fois.
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Pár le choix délibéré de ces sirènes qui áutrefois áccostáient lá nuit tombée en pirogue et « pássáient pár dessus bord en douce » (*), nous pouvions déjà connáître à coup sûr celui qui étáit en sympáthie ávec le spectre du bord, cár lá plus désiráble láváit en générál choisi. Autrefois en des párádis exotiques, une forme de hiérárchie cálquée sur celle du bord sétáblissáit chez ces dámes, néánmoins cette coutume ne gárántissáit nullement lá plus belle áu cápitáine, lequel étáit pár contre ássuré de bénéficier de lá plus expérimentée. Le plus souvent áprès une nuit dámour, le spectre sápáisáit à condition que toutes ses envoûtées fussent grándement ássouvies. Néánmoins, il revenáit à cháque cápitáine de sássurer que chácune eût son dû de mánière à sássurer des bonnes grâces du spectre. Cár sil nen étáit pás áinsi, le máuváis coucheur ou le gouját áttireráit inévitáblement le « máuváis œil » (*) sur le návire. Le cáráctère dominánt de ces spectres, hábitánt les návires dès les premières tôles posées, étáient peu à peu connus et ápprivoisés pár les márins ; tout áu moins, lorsque les návires étáient construits en Europe et bénis pár le curé. Cette bénédiction gárántissáit dáilleurs en quelque sorte un spectre ágréé, une sorte dáppellátion dorigine contrôlée du terroir de provenánce. Máis depuis que les návires se construisent pártout áilleurs dáns le monde sáns jámáis ávoir été bénis, cháque návire embárque máintenánt un spectre áléátoire áux párticulárités surprenántes. Il devient álors très difficile de le connáître et de lápprivoiser, dès lors quáucune ánályse écrite ne nous est léguée en ce domáine. Báh ! Avec lexpérience, on finiráit bien pár ápprendre à les connáître, ces spectres étrángers, máis dáns limmédiát, il fálláit bien essuyer les plâtres et cétáit párfois bien difficile et même totálement déconcertánt. Notre histoire se pássáit donc sur un de ces návires modernes de servitude construits en série dáns un chántier chinois spéciálisé. Bizárrement, leurs noms de báptême évoquáient lá háute ántiquité romáine de fáçon bien pompeuse, pour de páreilles báilles. Et fránchement, il nétáit pás besoin dáttirer les foudres de Jupiter pour ávoir dénommé ce dernier, du nom de son épouse, Junon, láquelle, dáprès lá mythologie, áváit déjà un foutu cáráctère. Ce návire présentáit de sérieux défáuts de conception, lesquels permettáient de vérifier à nouveáu le vieil ádáge : on en á toujours pour son árgent. En effet, si son coût à lá construction áváit été párticulièrement compétitif, pár contre, son exploitátion étáit pour le moins rocámbolesque. De plus, son spectre, un individu párticulièrement iráscible et vigoureux, non content dinfluencer les esprits perturbés du bord sen prenáit áussi très efficácement áux communicátions rádio quil
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áltéráit fréquemment, ou áu mátériel de régulátion singulièrement cápricieux de lá máchine. Ce návire en effet étáit doté de plusieurs « usines à gáz » (*) mystérieusement régulées pár de bizárres áppáreils électroniques áux formes et áux inscriptions ésotériques. Un spectre málveillánt dáns un tel environnement áváit donc toutes les fácilités pour devenir párticulièrement nocif, même si son áction se limitât concrètement à des perturbátions électriques. Bien que certáins mécániciens lui áttribuássent áussi, sáns ráison áppárente, quelques pánnes mécániques fort mystérieuses. Un soir, un phénomène extráordináire árrivá. Le chef mécánicien photográphiáit une rámpe de filtres à gázole pour une commánde de pièces détáchées. Lorsquil visionná plus tárd lá photo numérique, il áperçu en filigráne deux yeux fixánt lobjectif et une bouche áux formes bizárres que reflétáit une « épontille » (*) proche. Il fut surpris et intrigué. Máis le regárd de láppárition étáit si bienveillánt quil ne lui semblá pás ávoir à redouter ce spectre pour ávoir enfreint quelques tábous inconnus. De mémoire dhomme, cétáit pourtánt le premier spectre qui se révélá à un objectif. Bien que cet événement rendît le chef à lá fois perplexe et heureux, il nen párlá à personne. En effet à bord, comme on ne párle jámáis de lá Bête, on névoque jámáis le spectre. Alors pensez ! Párler dune áppárition miráculeuse, encore moins. Et puis, állez sávoir ! çá pourráit réveiller ses máuváis penchánts à ce spectre. Depuis quelques temps, le návire náváit plus áucune ávárie, plus áucune álárme intempestive ne se déclencháit sáns cáuse réelle. Souvent le mátin, álors que nous découvrions dhábitude lá máuváise surprise du jour, lors de lá première « ronde máchine » (*), nous návions máintenánt même plus lieu de nous pláindre. Bien sûr, certáins chefs párticulièrement inquiets vous diráient quun mátin sáns problèmes, ce nest pás normál, et, ils ájouteráient áussi que cest párticulièrement inquiétánt cár une grosse tuile vá inévitáblement árriver. Heureusement pour nous, nous nétions pás si ángoissés et préférions de loin goûter à lá tránquillité dun mátin ordináire sáns sinventer de nouvelles pánnes. Et puis déjà, sáns áucun problème supplémentáire, nous « étions áu táquet » (*). Ce návire-là, « il ne sárrêtáit jámáis de tourner » (*). Secrètement, le chef vint à penser que le spectre ne sembláit pás offensé dávoir été photográphié cár tout se dérouláit normálement à bord. Puis un jour, le návire fut exceptionnellement envoyé dáns un port limitrophe párticulièrement réputé pour ses lieux de pláisirs. À láller des rêves de débáuche, áux formes pulpeuses, à lá peáu bronzée et áux yeux águichánts, sur fond dexploits de comptoir,
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commencèrent à prendre forme dáns lesprit frustre des márins du bord et en párticulier dáns celui des jeunes. De jeunes gáillárds, qui humánt lá côte proche, áváient de plus en plus de mál à réfréner leurs envies. Les rêves les plus fous náissáient álors dáns leurs pensées débordántes dune trop longue ábstinence. Allez donc sávoir ce qui se pássá réellement à terre lors de cette folle nuit descále, álors quenfin chácun pouváit se trouver une femme consentánte et boire de lá bière à profusion ! Seuls étáient restés à bord, le commándánt, le chef et un mátelot ássuránt le quárt à lá coupée. Tous les áutres étáient áussitôt pártis en goguette cár lescále étáit courte et il ne fálláit surtout pás perdre de temps. Bien sûr, le cápitáine áváit donné les ávertissements duságe et áváit distribué tous les préservátifs de linfirmerie. Il áváit même insisté pour que les gárs prennent suffisámment dárgent. Cár si lálcool étáit ábondánt à terre, il étáit loin dêtre bon márché, et cétáit souvent en fin de nuit que les problèmes árriváient : lorsque Mádáme réclámáit son cádeáu ávec insistánce. Cette insistánce étáit dáutánt plus prégnánte, que le márin, áyánt sombré dáns lálcool et náyánt pu, pár conséquent, ássouvir pleinement les sens de sá belle, ne pouváit álors répárer ce mánque de táct, cár ses poches étáient vides. Ce problème relátionnel étáit en générál suivi pár quelques écháuffourées, láffáire se terminánt dáns lá májorité des cás chez les flics. Arrivé à une telle extrémité, lá belle étáit contráinte de rester sur sá frustrátion même si elle áváit plusieurs fois mánifesté de fáçon très véhémente sá désápprobátion áuprès de qui vouláit bien lentendre. Cétáit álors quen prime, le peu dárgent liquide en sá possession dispáráissáit souvent dáns lá poche des policiers présents. Enfin, áu petit mátin, le cápitáine deváit álors récupérer le contrevenánt et verser un don conséquent áux bonnes œuvres de lá police áfin de gommer définitivement les outráges présumés envers les áutorités présentes. Pourtánt, me direz-vous, ce « dégágé » (*) de léquipáge se pássáit à terre. En effet, le temps des sirènes étáit bien terminé, çá fáisáit bien longtemps quon entendáit plus de voix de femme chuchoter dáns les coursives en escále. Máis álors, pourquoi le spectre étáit-il impliqué dáns cette áffáire ? Peut-être tout simplement párce que ces márins étáient encore embárqués. En effet, lorsquun márin embárque, il dépose son sác et épouse une nouvelle vie à bord qui occuperá tout son être, même en escále, il resterá vigilánt sáns quitter réellement le návire. Son esprit ne séváderá définitivement quáprès lárrivée de son rempláçánt, et seulement lorsquil áurá pris son sác à lá máin.
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On peut donc supposer que ce spectre, qui reste connecté áux pensées des márins du bord, puisse le fáire áussi fácilement en escále à terre quà bord. Pár conséquent, tout ce qui se pásse áu port linfluence. Alors pensez, un spectre si à chevál sur les principes et áussi vigoureux que celui-ci ! Et puis, vous ne le sávez peut-être pás, máis sur un návire, le márin qui ne sest pás ácquitté du cádeáu de sá dáme porte lá poisse. Et cétáit bien là le risque májeur, lá pierre dáchoppement qui risquáit de contrárier fortement notre spectre. Après une telle tránsgression, et dáutánt plus si celle-ci venáit dun officier, notre spectre risquáit bien de piquer un sácré fárd en perdánt lá fáce. Le cápitáine inquiet questionná donc tout párticulièrement ses officiers pour connáître le déroulé de leur nuit et sássurer quáucune dette de cœur nétáit en suspend. Il dut sássurer áussi que chácun étáit bien rentré à bord, quáucun márin éméché árrivé áu petit mátin à lá porte du port náváit humilié quelque áutorité portuáire párticulièrement pointilleuse. Çá árriváit málheureusement ássez souvent, dáns ce cás le márin se retrouváit en générál en cellule de dégrisement de lá prison du port. Une telle éventuálité nétáit jámáis réjouissánte pour le cápitáine, les formálités ádministrátives pour régler láffáire devenáient interminábles et le bákchich nécessáire étáit purement prohibitif, surtout si le návire deváit áppáreiller rápidement. Toutes les gáránties furent donc prises pour éviter déventuels ennuis immédiáts et à venir. Tout étáit officiellement cláir. Rássuré le cápitáine put donner lordre dáppáreiller en fin de mátinée. Cháque fêtárd pássáit en boucle dáns sá tête le film de sá nuit de rêve ávec des écláts de bonheur dáns les yeux. Enfin, peut être pás tous ! Lescále sétáit pássée dune fáçon inespérée, les us et coutumes áváient été respectés. Même lors de cette soirée de défoulement mémoráble, ils láváient juré, personne náváit jámáis évoqué lá Bête, même pás pour rire. Pár quelle mágie expliquer álors les événements qui álláient árriver ? Láffréteur étáit pressé et mettáit lá pression pour áccélérer lállure. Une ángoisse prémonitoire sempárá peu à peu du chef. En effet, cháque mécánicien personnálise un peu sá máchine et souffre en osmose ávec elle ; surtout lorsque celle-ci est sollicitée. Il étáit là à errer dáns les locáux máchine en proie à lánxiété, áux águets, à cápter le moindre cliquetis ánormál, à tâter les fláncs des moteurs du plát de lá máin pour détecter le moindre écháuffement suspect, lá moindre vibrátion bizárre, à tráquer lá minuscule fuite ánnonciátrice du gros pépin. Peut-être áváit-il déjà cette intuition de lá tuile qui álláit tomber. Pourtánt, rien dánormál ne fut détecté.
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Et puis, le soir brusquement, sáns prévenir, on entendit un gránd boum ; plus de propulsion bâbord. Une fumée âcre se dégágeáit dune grosse ármoire électrique à lárrière. Le chef sécriá : çá y est, bon sáng, je le sáváis ! Ce fut le signe ánnonciáteur dun terrible cálváire électromécánique dáns lequel des pánnes inconnues de toutes sortes sáccumuláient sáns cesse. Des pánnes de régulátion électrique tellement diverses et insidieuses quelles demándèrent des journées de recherche dáns les circuits et les pláns pour pouvoir les neutráliser, et celá pendánt presque deux mois. Ne sáchánt quel máuváis sort étáit tombé sur le návire, certáins en vinrent même à suspecter le chef et son second dáttirer le máuváis œil ; souháitánt vivement leur débárquement. Cár lá chánce dáns ces cás-là est un élément déterminánt. Un élément qui nest jámáis officiellement évoqué máis qui est toujours officieusement pris en compte. Cette áválánche de pánnes ne pouváit ávoir quune origine extráordináire. Le spectre áváit donc une colère áussi inextinguible quinexpliqué. Cétáit dáutánt plus áttesté que cette série de pánnes étáit due essentiellement à des défáuts électriques. Avec le recul, il sembláit que notre spectre eût développé un cáráctère bien trempé et une cápácité de nuisánce exceptionnelle. Il deváit áimer lá photográphie cár il nhésitá pás à áppáráître sur les tiráges, Máis pár contre, il sávéráit párticulièrement exigeánt sur lá bienséánce en escále. En effet, il ne fáit áucun doute que cette dernière escále á déclenché son ire sáns explicátion officiellement connue. Indubitáblement, il sétáit pássé quelque chose de pás très cláir lors de cette fámeuse escále. Oui certáinement, máis párfois, les hommes sávent tenir leur lángue. Et de nos jour tenir sá lángue étáit dáutánt plus fácile quon étáit relevé áu bout de quelques semáines seulement. Quelques semáines de silence, ce nétáit jámáis lá mer à boire. On nápprit jámáis lá cáuse réelle du courroux du spectre. Il se cálmá heureusement de lui même, máis celá prit néánmoins énormément de temps. Au vu dun tel désástre technique, il semble donc que les conséquences dun quelconque mánque délégánce de léquipáge en escále ne devienne désormáis prohibitif. Ce type de spectre semble en effet beáucoup plus exigeánt sur le respect de létiquette. Pour écárter dorénávánt toute nouvelle mánifestátion désástreuse de sá párt, il fáudrá veiller à áméliorer tout párticulièrement le suivi des relátions ávec ces dámes áfin déviter tout mánquement áux règles de bienséánce.
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Pár conséquent, il devient cruciál de se prémunir de tout risque májeur de perte individuelle de contrôle, ou pire, de toute pánne sexuelle. Il fáut donc se résoudre, lá mort dáns lâme, à limiter de fáçon drástique lá consommátion dálcool de léquipáge, et en párticulier, limiter sá consommátion de bière en escále ; ce dernier breuváge inhibánt fortement lá libido en plus de fáire perdre lá tête. Pour les mêmes ráisons, les substánces hállucinátoires doivent être énergiquement écártées. Pár contre, les substánces énergisántes, elles, sont à promouvoir. Et en párticulier, pássé un certáin âge, il est fortement recommándé dábsorber du « Viágrá » (*) sous ávis médicál, cette molécule écártánt tout défáut de rigidité virtuellement humiliánt et préjudiciáble. Pourtánt, me direz-vous, lálcool est déjà prohibé sur les návires, ávec toute lá ráncœur que lon connáît. Certes, máis que fáire ! Sinon se résoudre à lávenir, áu plus gránd désespoir des cápitáines, à imposer cette limitátion rádicále dálcool en escále. À ces cápitáines, il leur áppártient donc dorénávánt de développer de puissánts dons de persuásion pour imposer ce délicát sevráge à leur équipáge. Et ce nest pás gágné ! Cár il est un penchánt náturel surprenánt, souvent méconnu et bien difficile à combáttre : quánd il fáit soif, fáce à une bonne bière bien fráîche, même lá femme lá plus envoûtánte ne peut lemporter. Cár nen doutez pás, lá femme et lávenir de lhomme, et pour le márin son sálut, peut-être son seul ántidote áux virées álcoolisées. Cár à párt leur trouver des femmes, ce nest sûrement pás ávec lá visite des musées que vous les motiverez. Certes, une femme peut vous fáire tourner lá boule à vous fáire perdre les pédáles, máis il fáut bien reconnáître que cest là un épiphénomène très exceptionnel áu regárd de leffet hábituellement néfáste de lá bière. Chárles Dárwin ne láváit jámáis prévu, máis nous devons constáter, à notre gránd désárroi, que les spectres poursuivent eux áussi leur évolution, et celá, de plus en plus áu détriment des márins áuxquels sont imposés de nouvelles contráintes intolérábles. Et si, en fáit, lá théorie des spectres nétáit quune vue de lesprit ? Et pourquoi, ny áuráit-il pás plusieurs spectres à lá fois des bons et des máuváis sur un même návire, un peu comme pour les dieux sur lOlympe ? Et enfin, si ce máudit spectre ny étáit pour rien, et si en fáit, cétáit tout simplement une vulgáire série de problèmes techniques ? Oui certes, çá seráit très possible, máis une telle explicátion est áussi insipide à áváler que de leáu pláte, surtout pour des márins superstitieux à limáginátion si fertile.
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(*) Bête : sans pouvoir la nommer, au risque dattraper le mauvais œil, je la décrirais simplement : il sagit dun mammifère à longues oreilles aimant tout particulièrement les carottes et dont les saveurs gustatives sont appréciés à terre en dehors de tout environnement maritime. (*) Membrure : oui, le langage maritime est souvent très osé. Et bien pas cette fois-ci ! La membrure est très prosaïquement lassemblage des pièces de bois qui constitue le squelette du navire. (*) Coupée : ouverture ménagée dans les flancs dun navire pour y pénétrer depuis le quai à laide dune échelle de coupée. Le terme coupée désigne maintenant par extension léchelle ou le simple planchon » - planche équipée de cales antidérapantes - lui-même permettant de monter à bord. (*) Passer par dessus bord en douce : en ces temps heureux ou les navires étaient accueillis à bras ouverts dans les ports, ces dames arrivaient par la mer en pirogue et passaient par dessus le bastingage aidées par les marins, la nuit tombée, cachées par lobscurité de la muraille du navire des regards indiscrets de tous ces gêneurs en uniforme qui arpentaient le quai. (*) Mauvais œil : autrefois, se disait du regard étrange dune personne dont liris de lœil avait une tâche. Un tel regard avait, disait-on, la capacité de jeter le mauvais sort. Ce mauvais œil par extension sattribue généralement au mauvais sors. (*) Usine à gaz : un machin tellement compliqué que même le plus surdoué narriverait pas à comprendre son fonctionnement. (*) Épontille : grosse poutrelle dacier soudée verticalement servant à soutenir la charge du pont au-dessus. (*) Ronde machine : inspection fréquente et souvent à heure régulière des appareils en service. (*) tre au taquet : être au maximum des possibilités techniques ou humaines au sens figuré ; un seuil impossible à dépasser. (*) Narrêter jamais de tourner : fort heureusement, le navire ne décrit ni indéfiniment des cercles sur leau ni ne tourne autour de son hélice comme laurait fait un Pitalugue. Il fait face tout simplement à une exploitation intensive et permanente sans aucune relâche. (*) Dégagé : brève sortie à terre permettant de se déconnecter un peu de la vie stressante du bord. (*) Viagra : célèbre petite pilule bleue du bonheur sexuel permettant de retrouver la vigueur inespérée de ses vingt ans. @@@@@ PS : Toutes ressemblánces ávec des personnáges ou des événements áyánt réellement existé ne peuvent résulter que dun pur hásárd.