Démocratisation du spectacle et idéal républicain
256 pages
Français

Démocratisation du spectacle et idéal républicain , livre ebook

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Description

La démocratisation du spectacle est un vaste mouvement qui dépasse celui du théâtre "populaire" et englobe également des formes plus politiques. Les tentatives qui visent à rendre le spectacle accessible à tous et à en faire plus qu'un divertissement sont légion. Elles portent en elle les bases de l'idéal républicain : progrès, éducation, universalisme... Elles engagent donc une vision profonde des rapports entre art et société.

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Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 28
EAN13 9782296494534
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

Démocratisation du spectacle et idéal républicain
Nathalie Coutelet Démocratisation du spectacle et idéal républicain L’HARMATTAN
Du même auteur Le théâtre populaire de Firmin Gémier, Sarrebruck, Éditions Européennes, 2010. Firmin Gémier, le démocrate du théâtre, Montpellier, L’Entretemps, coll. « Champ théâtral », 2008.© L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96232-3 EAN : 9782296962323
Introduction  Dire qu’art et politique – au sens étymologique de «polissont unis s’apparente à une tautologie, en» – particulier pour le théâtre, qui, par définition, s’adresse à la collectivité et n’existe que dans la rencontre avec elle. La démocratisation paraît, d’emblée, avoir partie liée avec la république : un gouvernement élu par la population renvoie au processus démocratique, et inversement. En France, le passage à la démocratie s’est en effet accompagné de la forme républicaine, mais le pays va en connaître plusieurs, preuve du combat acharné que constitue la République. La démocratisation est abondamment étudiée par l’histoire, la sociologie, les 1 sciences politiques, la philosophie, le droit . L’appellation courante dans le monde du spectacle, en revanche, est plutôt celle de « théâtre populaire ». Décrié, mésestimé, le théâtre populaire connaît depuis quelques années un regain d’intérêt de la part des chercheurs et des acteurs culturels, 2 preuve de la continuité et de la pertinence du concept . Cependant, l’expression ne rend pas compte de l’ensemble des réalités qui forment l’enjeu de cette réflexion, à savoir les liens entre spectacle et idéal républicain. e  La III République en France consacre la démocratisation politique, avec le suffrage universel, et la 1  Sur les notions de République et de Démocratie, voir Jean-Claude Caron,La Nation, l’Etat et la démocratie en France de 1789 à 1914, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1995. 2  En particulierThéâtre populaire. Actualité d’une utopie, Bernard Faivre (dir.), Louvain-la-Neuve, Etudes Théâtrales 40, 2007 ;Théâtre populaire, enjeux politiques. De Jaurès à Malraux, Chantal Meyer-Plantureux (dir.), Bruxelles, Editions Complexe, coll. « Le théâtre en question », 2006 ;Théâtre populaire et représentations du peuple, Marion Denizot (dir.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Le spectaculaire », 2010.
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démocratisation scolaire. Les arts vont participer de ce mouvement, avec la création du Conseil supérieur des 1 Beaux-Arts en 1875, institution qui inaugure une culture politique ; la République, dans son désir de répandre l’instruction, d’éveiller les consciences citoyennes et de développer un certain patriotisme civique, utilise l’art comme vecteur. Ce n’est donc pas un hasard si le système des Beaux-Arts est successivement rattaché au ministère de l’Instruction publique (1870), puis à celui de l’Education nationale (1932). La République n’est pas seulement un modèle politique, mais encore un idéal humain et moral. En ce sens, l’idéal républicain se croise parfaitement avec les objectifs d’un certain théâtre « populaire », soucieux d’unir et d’éduquer la population, la nation.  Les valeurs des Lumières, celles de liberté, d’égalité et de fraternité, le concept contemporain de « progrès », le positivisme irriguent l’idéal républicain comme la démocratisation du spectacle. La scolarisation, la diffusion massive d’une éducation gratuite, laïque et obligatoire sont doublées par l’idée d’une rencontre élargie avec les biens culturels. L’égalité républicaine du suffrage universel, du citoyen, doit trouver sa traduction dans le domaine artistique : les œuvres, la culture ne doivent plus être l’apanage d’une élite, mais accessibles à tous. Les « Trois 2 Grâces républicaines » sont les racines héritées directement de la Révolution française, période majoritairement plébiscitée par tous les acteurs et promoteurs du « théâtre populaire ». La Révolution apparaît, sur le plan politique comme sur le plan culturel –
1e  Voir Marie-Claude Genet-Delacroix,Art et Etat sous la III République. Le système des Beaux-Arts 1870-1940, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992. 2  Raymond Queneau,Traité des vertus démocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Les Cahiers de la NRF », 1993, p. 98.
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et en dépit des épisodes violents tels que la Terreur – une sorte d’âge d’or de la démocratie.  L’universalisme de la triade républicaine se retrouve dans cette idée d’un partage culturel égalitaire. Sans toutefois aller jusqu’à l’instauration d’une politique culturelle digne de ce nom, c'est-à-dire sans concrétiser une action officielle d’ampleur. L’emblème en est peut-1 être l’instauration des Universités Populaires , reconnues d’utilité publique et situées au croisement de l’œuvre pédagogique républicaine et du développement de la e culture au sein des masses. Dès le milieu du XIX siècle, est avancée l’idée que le spectacle ne doit plus être un commerce, mais une sorte de « service public », expression anachronique, mais qui rend compte d’une 2 volonté exprimée par un artiste tel que Wagner : construire de vastes salles égalitaires, créer des œuvres qui éduquent et rassemblent le public, instaurer une révolution sociale comme préalable à la révolution esthétique. Wagner exacerbe aussi le lien entre spectaculaire, synesthésie d’un théâtre visuel et auditif et plus seulement textuel, et démocratisation.  Le contexte d’une industrialisation des outils culturels, avec la presse à grand tirage et illustrée, les romans populaires à bas prix, les romans-feuilletons, les théâtres de quartier, les cabarets, cafés-concerts et music-halls, plus tard le cinéma et la radio, forment à la fois une possibilité de généralisation de la culture et la crainte de son appauvrissement, d’une « égalisation par le bas ». En tout cas, ils symbolisent l’avènement d’une culture de
1 Lucien Mercier,Les Universités Populaires : 1899-1914. Education populaire et mouvement ouvrier au début du siècle, Paris, Les Editions ouvrières, 1986. 2 Richard Wagner,Ma Vie, Paris, Plon, 1911 ;L’Art et la révolution, Paris, Sils Maria, coll. « Les immanents », 2001 [1849].
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1 masse, opposée à l’ancienne culture élitiste et les paradoxes d’une République à la fois libérale et soucieuse d’une certaine démocratisation du patrimoine artistique. Le terme même de « démocratisation culturelle » n’intervient que sous la IVe République, notamment par la création du ministère des Affaires culturelles confié à André Malraux en 1959. Bien avant les directives de ce ministère, qui vont dans le sens d’une promotion d’un large accès aux œuvres artistiques, un mouvement d’envergure s’est dessiné et amplifié à partir de la fin du e XIX s. Comme souvent, le langage entérine l’existence d’un processus beaucoup plus ancien. La démocratisation, inaugurée par le suffrage universel, puis la démocratie sociale quelques décennies plus tard, se traduit aussi dans e le monde du spectacle. La III République a construit et propagé le mythe de cette démocratisation, à l’intérieur de l’Etat-nation. Elle va donc appuyer, conforter les promoteurs d’une démocratisation du spectacle, reflet d’une politique qui se veut égalitaire, unificatrice des diverses franges de la nation, progressiste. Parce que ce qui est en jeu, profondément, ce sont l’édification et la consolidation d’un idéal national républicain, propagé par le système scolaire et le système culturel.  Certes, en France, cette démocratisation est associée au « théâtre populaire », au nom de Jean Vilar et à un sigle : le TNP. Le théâtre « populaire », protéiforme, ne peut se résumer ainsi. La diversité de ses théories et de ses e e réalisations, son évolution entre le XIX et le XX siècle, interdisent cette simplification qui, en outre, brouille l’analyse. L’errance lexicale entre un « sous-théâtre », un théâtre pour les plus démunis, un théâtre ouvrier ou prolétarien, un théâtre à grand public, atteste la polysémie du mot « peuple » et la diversité des propositions. La 1  Voir Dominique Kalifa,LaCulture de masse en France, tome 1 : 1860-1930, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2001.
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