Épilogues
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Épilogues , livre ebook

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Description

Extrait : "M. DESMAISONS. - Bonjour, mon cher Delarue, c'est bien aimable à vous de venir me voir, en cette sombre journée. M. DELARUE. - Sombre ? Le ciel est clair et le peuple s'amuse. C'est presque une fête humaine. M. DESM. - Vous dites ? M. DEL. - C'est presque une fête humaine."

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Nombre de lectures 51
EAN13 9782335041514
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335041514

 
©Ligaran 2015

À Laurent Evrard
1905
I Fêtes humaines

I er août.
M. DESMAISONS.– Bonjour, mon cher Delarue, c’est bien aimable à vous de venir me voir, en cette sombre journée.
M. DELARUE.– Sombre ? Le ciel est clair et le peuple s’amuse. C’est presque une fête humaine.
M. DESM. – Vous dites ?
M. DEL.– C’est presque une fête humaine.
M. DESM. – Je ne comprends pas.
M. DEL.– Vous n’êtes pas au courant ? Vous ne savez donc pas qu’il vient de se fonder un « laboratoire d’idées », où l’on dispute sur la forme que devront revêtir, pour être plus belles, les futures fêtes humaines ?
M. DESM. – Vous m’épouvantez !
M. DEL.– Mais ce n’est pas terrible, c’est innocent.
M. DESM. – J’ai cru un instant que vous étiez devenu fou.
M. DEL.– Je ne prétends pas avoir toute ma raison, car les choses folles laissent toujours quelques traces dans le cerveau où elles passent. D’abord, j’ai fait de grands efforts pour me représenter ce que peut être un laboratoire d’idées. Quant j’ai eu compris que c’est une taverne où, autour de bocks, s’assemblaient des gens, heureux d’échanger des paroles, ma satisfaction a été complète et j’ai trouvé cela très bien, très conforme aux usages civilises…
M. DESM. – Mais les fêtes humaines ?
M. DEL.– Ah ! ceci est plus obscur. Je crois qu’elles mijotent encore dans les cornues du laboratoire.
M. DESM. – Mais enfin ?
M. DEL.– Non, j’aime autant ne rien dire. Cependant je crois que les fêtes humaines s’opposeraient aux fêtes religieuses.
M. DESM. – Pourquoi pas : Fêtes civiles ?
M. DEL.– Je n’en sais rien. Fêtes humaines, humaines, cela sonne mieux.
M. DESM. – Et qu’y a-t-il de nouveau là-dedans ? Les hommes ont-ils donc attendu pour s’amuser l’ouverture de ce laboratoire ? Des fêtes humaines, mais nous avons le Mardi-Gras, la Mi-Carême, le 14 juillet, le grand-prix, la foire de Neuilly, le circuit d’Auvergne…
M. DEL.– Non, non, par fêtes ils n’entendent nullement des jours où l’on s’amuse, bien au contraire. Ils veulent dire : cérémonies. On célébrera par des cortèges l’Enfance, la Vieillesse, l’Abondance, la Fraternité, la Paix…
M. DESM. – Croyez-vous vraiment que l’on puisse instituer des fêtes, de véritables fêtes, par une loi ?
M. DEL.– Pourquoi pas ?
M. DESM. – Les fêtes, comme tous les actes humains, sont soumises au principe d’utilité. Une fête inutile est incompréhensible. On ne s’amuse pas pour s’amuser, on s’amuse parce qu’il est utile de s’amuser. Mais laissons l’amusement. Comme vous le disiez, une fête n’est pas nécessairement un amusement. La plus populaire des fêtes, à Paris, est la fête des morts : elle est utile à la sensibilité. Dégagés, le reste du temps, de souvenirs pénibles, les hommes vaquent à leurs affaires, à leurs médiocres joies : ils s’allègent, en une seule journée, en une seule promenade, de leurs devoirs envers ceux qui ne sont plus. Mais, pour les croyants, l’utilité est bien plus grande encore, puisque les prières de ce jour consacré sont particulièrement efficaces à libérer les âmes du purgatoire. Toutes les fêtes religieuses sont de solennelles conjurations. Il s’agit de fléchir les dieux, s’ils ont été méchants, ou de les remercier, s’ils ont été bons, pour qu’ils le soient encore une autre fois. Elles sont d’une utilité suprême. Les fêtes purement humaines ne le sont guère moins. Leur but est d’abord pratique : l’amusement vient par surcroît ou comme appât. En toute fête, l’un donne et l’autre reçoit. Ce ne sont pas des cérémonies formelles, ce sont des marchés. Qu’on y vende des bœufs ou des tours de chevaux de bois, des vieux fers ou la vue d’une femme colosse, les fêtes sont des foires, c’est-à-dire des rencontres de vendeurs et d’acheteurs. Tous les faits de la vie sociale, d’ailleurs, et jusqu’aux faits de sentiment, peuvent se classer sous les mots célèbres : offre-demande. Vivre, c’est agir ; agir, c’est échanger, contre un autre produit, le produit d’une activité. Une fête sans but pratique est impossible. La fête, c’est la foire : et le 14 juillet le prouverait à lui seul.
M. DEL.– Vous parlez comme un juif : argent contre titres ; titres contre argent.
M. DESM. – Je parle comme parle la vie. Écoutez-la.
M. DEL.– Vous êtes bien amer, aujourd’hui, mon ami.
M. DESM. – Moi, nullement. Et puis, à vrai dire, je vous récite des pages que je viens de lire.
M. DEL.– Elles sont éloquentes et tristes.
M. DESM. – Tristes, je ne trouve pas. Rien n’est triste de ce qui nous aide à comprendre le mécanisme de la vie.
M. DEL.– Il y a pourtant du désintéressement sur terre.
M. DESM. – Oui, dans l’idée que les hommes, parfois, se font de leurs actes ; dans les actes mêmes, non ; du moins dans les actes raisonnables.
M. DEL.– Ah ! si vous appelez déraisonnable ce qui est désintéressé !
M. DESM. – Je ne puis répondre. Ma lecture s’arrête là.
M. DEL.– Voyons ce que dit votre auteur ?
M. DESM. – Il ne dira rien sans ma permission.
M. DEL.– Je m’en doutais. Allons nous promener.
M. DESM. – Y pensez-vous ?
M. DEL.– C’est vrai. Les foules vous font peur.
M. DESM. – Elles m’énervent.
M. DEL.– La joie n’est pas énervante.
M. DESM. – Elle est énervante, quand on en est exclu.
M. DEL.– Et qui donc vous en a exclu.
M. DESM. – Moi-même.
M. DEL.– Sauvage !
M. DESM. – Je crois que je deviens misanthrope. Je n’ai pas, comme vous, la ressource de la colère. Inhabile à réagir, les injures de la vie me dépriment. Et puis, il y a des jours… Parfois il me semble que mes artères se durcissent et que le sang ne coule plus.
M. DEL.– Allons, venez.
M. DESM. – Non, vous dis-je.
M. DEL.– Un tour sur les quais muets et déserts vous fera du bien. J’en viens, je m’y suis récréé. Il fait frais sous les vieux peupliers du Pont-Royal. La fête, d’ailleurs, n’a rien de terrible. C’est un dimanche un peu plus animé, voilà, tout. Pourquoi voulez-vous empêcher le peuple de s’amuser ?
M. DESM. – Moi ?
M. DEL.– Le 14 juillet a presque un sens, cette année. Des banderoles de paix flottent dans l’air bleu.
M. DESM. – Je ne dis pas le contraire.
M. DEL.– Et je pense que cela vous fait plaisir ?
M. DESM. – Beaucoup. De toutes les fêtes humaines, celle que je préfère, c’est la paix.
M. DEL.– Les Allemands sont de vilaines gens.
M. DESM. – Sont-ils plus méchants que nous ?
M. DEL.– Oui, ils le sont devenus. Il y a des races, comme des hommes, qui ne supportent pas les succès, cela leur donne de l’insolence.
M. DESM. – Les Français, vainqueurs, n’étaient guère modestes.
M. DEL.– Je trouve que, vaincus, ils le sont devenus un peu trop.
M. DESM. – Pas tous. Il y en a qui parlent trop bas ; il y en a aussi qui parlent trop haut.
M. DEL.– Il faut se faire entendre.
M. DESM. – Entre gens bien élevés, on parle à mi-voix et à demi-mot.
M. DEL.– Le peuple a l’oreille dure.
M. DESM. – Parce que des sots l’ont assourdi de leur éloquence. Les discours de M. Jaurès, vous pouvez lire cela, vous ?
M. DEL.– Difficilement. Mais je lui sais gré, parmi tant de paradoxes oratoires, de combattre certaines idées… La revanche, la revanche ! Ce sont là des propos de joueurs de billard !
M. DESM. – Dans sa bouche, cela n’a aucune valeur, il est forcé de parler ainsi. Et puis, ce n’est pas très nouveau.
M. DEL.– Cependant.
M. DESM. – Il y a quinze ans que j’ai lu, en des phrases d’ailleurs un peu vives, tout ce que M. Jaurès a dit là-dessus. Aujourd’hui l’opinion est profitable. Il y a quinze ans, elle ne l’était pas : voilà tout son mérite. Pour avoir raison, il faut savoir être opportun. Que dit-il, votre Jaurès ?
M. DEL.– Voici le journal : « Nous, socialistes français, nous répudions à fond, aujourd’hui et à jamais, toute pensée de revanche militaire contre l’Allemagne. » Est-ce net ?
M. DESM. – Ce que je vais vous lire ne l’est pas moins. Écoutez : « Y a-t-il nécessité à ce que la France n’ait, en sa vie politique et sociale, qu’un seul but ; reprendre à l’Allemagne l’Alsace-Lorraine ? Des gens croient que oui ; moi, je crois que non. Les

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