Journal d un bouffon
187 pages
Français

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Journal d'un bouffon , livre ebook

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187 pages
Français

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Description

En ces temps préélectoraux plus que jamais, comment résister au plaisir d'épingler les bizarreries, les cocasseries, les incohérences voire les absurdités du folklore politique français?




"Les Français sont un peuple étrange, incompréhensible pour les étrangers qui nous contemplent avec des yeux ahuris. Nous sommes les seuls en Europe à nous passionner pour le feuilleton politique et à afficher dans le même temps un taux d'abstention record quand arrivent les échéances électorales. Les seuls à posséder une foultitude de partis, rassemblements, mouvements, que rien ne sépare en apparence sinon l'ambition de ceux qui les dirigent. [...] La politique française, dans ses rebondissements quotidiens et ses dialogues somptueux, relègue "Loft Story' au rang de divertissement de patronage."Avec ce quatrième florilège de ses billets d'humeur sur Europe 1, Jean Amadou nous propose une nouvelle sélection de ses chroniques, les plus récentes et les plus savoureuses.On reconnaît la plume chatouilleuse et incisive, la légèreté du sceptique et la pertinence de l'observateur averti. Une ironie irrésistible.





Quelle semaine nous avons vécue! Ces événements en cascade sont une preuve supplémentaire de cette évidence: les Français sont totalement imprévisibles. C'est ce qui rend ce pays si difficile à gouverner. Gouverner, c'est prévoir dit le proverbe... donc les princes qui se meuvent sous les lambris dorés s'efforcent de prévoir. Ils sont bardés de conseillers, mélange de jeunes loups aux dents aiguisées et de vieux renards dont l'expérience pallie l'usure des molaires. Chaque matin, ils étalent sous le nez de leur patron un état des lieux... température ambiante... prévisions à court et à long termes. C'est en cela d'ailleurs que, jadis, Edouard Herriot, vieux cacique radical-socialiste rompu à toutes les roueries, comparaît la politique à la météo. C'est, disait-il, l'art de prévoir les courants d'air, et la météo en ce temps-là n'allait guère au-delà du lendemain. Elle a fait des progrès... on sait désormais, grâce aux satellites, quel temps il fera dans cinq jours, mais aucun conseiller de Matignon ne dispose d'ordinateur capable de lui dévoiler ce que les Français feront le lendemain. Lionel Jospin naviguait depuis trois ans sur une mer d'huile, avec des alizés portants. Il y avait bien eu quelques grains, quelque houle, mais en bon capitaine il avait su réduire la toile, mettre à la cape et s'en sortir sans que les passagers fussent incommodés, et brusquement, cette semaine, sans que le baromètre l'en avertisse, il a pris de plein fouet un coup de vent que personne n'avait vu venir. Il a eu beau crier: "Tout le monde sur le pont", Fabius est resté dans son hamac et Chevènement, qui avait évacué le navire, ricanait dans sa chaloupe. Que s'est-il donc passé? Une chose très simple. Les pêcheurs ayant bloqué les ports et obtenu satisfaction, les autres catégories d'utilisateurs de produits pétroliers se sont dit: "Tiens, tiens... Si on en faisait autant", et les routiers s'y sont collés, suivis par les taxis, les ambulanciers, les agriculteurs, les conducteurs d'autocars, les auto-écoles... bref, tous ceux qui, dans leur métier, sont obligés de passer à la pompe et qui voyaient le prix du litre augmenter chaque matin. Songez qu'il y a dix ans, un automobiliste déboursait une certaine somme pour mettre de l'essence dans son réservoir. Avec cette dépense, il allait par exemple de la place de la Concorde à Paris jusqu'à Dijon. Trois ans après, il s'arrêtait à Melun... et aujourd'hui, il a juste assez d'essence pour aller de la Concorde à la gare de Lyon prendre le train pour Dijon. Alors, vous me direz, il n'y a pas que les routiers, les agriculteurs ou les taxis à souffrir des taxes que l'État prélève sur l'essence... il y a "nous', vous et moi, qui nous servons de notre voiture pour aller travailler, faire les courses, emmener les gamins à l'école et même nous balader, au gré de notre fantaisie, puisqu'aucune loi n'empêche le contribuable-citoyen ayant acquitté ses impôts de rouler pour son plaisir. C'est vrai... mais vous et moi avons une voiture, pas un trente-cinq tonnes, un tracteur ou un autocar... Imaginez qu'un matin, près avoir fait le plein, vous alliez mettre votre Twingo ou votre 206 devant le portail d'une raffinerie... le gardien arrive: "Qu'est-ce que vous faites là?""Je bloque, Monsieur... Je suis profondément mécontent du prix du super sans plomb avec lequel je viens de faire le plein, donc je compte empêcher la sortie des camions-citernes." Si le gardien a le sens de l'humour, vous devriez tenir cinq minutes, s'il ne l'a pas... une minute après, une voiture de police arrivera et vous collera une contravention pour stationnement irrégulier et entrave à la circulation. Et c'est là où je voulais en venir. A ma connaissance, aucun camion, aucun tracteur n'a eu de contravention pour stationnement illicite. Quand la crise sera passée, parce qu'elle se réglera, comme le disait Alfred Capus, en France, tout s'arrange, même mal... Quand tout sera rentré dans l'ordre... imaginons que, pour aller faire une course, vous laissiez, pendant quelques minutes, votre voiture en double file. Quand vous revenez, il y a un flic, ou un gendarme, ou une contractuelle, qui est en train de rédiger une contravention. "Pourquoi me mettez-vous une contravention?""Parce que vous êtes en double file". "Pas du tout, je manifeste monsieur, je bloque une partie de la chaussée pour protester contre les taxes gouvernementales sur l'essence. J'oblige les autres automobilistes à ralentir, c'est donc une opération escargot... Avez-vous mis une contravention pendant une semaine à un quelconque chauffeur de poids-lourds qui bloquait une route? Non. Ça n'est pas la peur qui vous a retenu... Je suis certain que vous êtes courageux et épris de justice. Si on vous en avait donné l'ordre, vous seriez allé au milieu des chauffeurs routiers, avec votre petit carnet à souches, glisser vos papillons sous les pare-brise. Vous ne l'avez pas fait, et c'est à votre honneur, mais s'en prendre aujourd'hui à un manifestant parce qu'il est seul et qu'il a une petite voiture, c'est lâche et injuste."Allez savoir... ça peut marcher!






Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 mars 2011
Nombre de lectures 167
EAN13 9782221117682
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0112€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Chez le même éditeur
IL ÉTAIT UNE MAUVAISE FOI , 1978
LES YEUX AU FOND DE LA FRANCE , 1984
HEUREUX LES CONVAINCUS , 1986
DE QUOI J’ME MÊLE , 1998
Prix Rabelais 1998
VOUS N’ÊTES PAS OBLIGÉS DE ME CROIRE  !, 1999
Prix Antoine-Blondin 1999
JE M’EN SOUVIENDRAI, DE CE SIÈCLE  !, 2000
Avec la collaboration d’Albert Kantof
LA BELLE ANGLAISE , 1988
Avec la collaboration de Dadzu
TOUT FAUX I , 1989
TOUT FAUX II , 1990
TOUT FAUX III , 1991
JEAN AMADOU
JOURNAL D’UN BOUFFON
© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2002
EAN 978-2-221-11768-2
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Et je les ai priés qu’ils voulussent bien, leur
Légion d’honneur, se la carrer dans le train.
M ARCEL A YMÉ
Heureux de vous retrouver

Au contraire de l’amour, qui peut naître instantanément, la complicité met longtemps à mûrir. Elle s’est installée tout doucement avec ceux qui m’écoutent chaque week-end sur les antennes d’Europe 1, puis avec ceux qui m’accordent le privilège de me lire chaque année. Elle n’implique pas une identité de vue. Certains d’entre vous ne sont pas d’accord avec mes propos et ne se gênent pas pour me le faire savoir. Ce courrier, qui transforme mes monologues en échange, m’est précieux. Je donne mon avis, et, en retour, vous me donnez votre opinion sur mon avis. Tout cela se fait dans la courtoisie, avec passion souvent, avec humour parfois, et c’est au fil de ces lettres que se bâtit la complicité. Nous n’avons pas toujours la même vision des choses, mais nous développons nos arguments avec tolérance, dans le respect des idées de l’autre, comme il sied aux gens de bonne compagnie qui ne prétendent pas détenir la vérité et ne jettent jamais l’anathème sur ceux qui ont l’audace de ne pas penser comme eux. Il y a bien sûr dans le lot quelques lettres d’insultes, mais j’ai pris l’habitude, en ouvrant une enveloppe, de toujours regarder si la missive est signée. Quand elle ne l’est pas, je ne la lis pas, ce qui fait que l’insulteur perd à la fois son temps et le prix du timbre.
Rien de plus anonyme qu’un micro, ce petit objet noir que j’ai sous le nez et auquel je parle. J’imagine pourtant ceux qui sont à l’écoute, le poste posé à côté de leur tasse de café ou sur le rebord de la baignoire. Ce que j’aime dans la radio, c’est qu’elle est un art de la confidence. Quel que soit le nombre d’auditeurs, on s’adresse toujours à une seule personne. Le livre amplifie cette magie. Au moment où vous lisez ces lignes, nous sommes seuls… Vous et moi. C’est cela la complicité.
Le titre de cet ouvrage, je le dois à une dame qui m’a écrit : « Ne jouez pas les donneurs de leçons, contentez-vous d’être un bouffon. » En m’affublant de ce vocable, elle ne cherchait pas à m’être agréable… Et pourtant, ce mot m’a ravi. Bouffon !… Eh bien oui, je revendique ce titre. Le bouffon était le seul dont le prince supportât les privautés. Il avait le privilège d’entrer partout, dans la chambre ou dans la salle du Conseil sans se faire annoncer, à la grande fureur des courtisans qui faisaient le pied de grue et usaient leurs genoux sur les parquets en mendiant quelques prébendes. Le bouffon avait un costume ridicule, mais il vivait debout. Il tutoyait le roi, lui coupait la parole, lui disait ses quatre vérités et le faisait rire. Il arrivait parfois que le monarque, cerné de thuriféraires qui ne savaient que tendre la main, prenne le bouffon pour confident, sachant que lui seul avait de l’affection pour l’homme et ne le trahirait jamais. Chicot, immortalisé par Alexandre Dumas, devint le bouffon d’Henri IV après avoir été celui d’Henri III. Le Béarnais l’avait vu à l’œuvre quand son prédécesseur l’avait envoyé à lui comme chargé de mission, il en avait apprécié la sagesse et la loyauté, et quand il le prit à son service, en lui demandant d’avoir à son égard la même liberté de langage qu’il avait eue avec son prédécesseur, nul doute que Chicot lui donna d’aussi bons conseils que Sully. Les princes d’aujourd’hui n’ont plus de bouffon, ils ont des amis de longue date, des confidents, des conseillers qui parfois les trahissent. Jamais on ne vit bouffon trahir son maître, à moins que celui-ci ne fût particulièrement pervers. Mais Rigoletto , c’est du théâtre. Je vais donc m’efforcer, comme me le conseille cette dame, d’être un bouffon. Je ne sais pas si j’en ai les capacités. Il faut être drôle, insolent, fidèle, désintéressé. Je ne suis pas certain d’avoir toutes les qualités qu’exige cette fonction, mais je vais m’efforcer de les acquérir.
« A PATri D’AUJOURDhui j’AI deziDE DE YaPer mes CHronocle “sur Moz” Ortinateur à ImmPRYMante pour ganez du Temp. »
Douce France

Les pays étrangers, et plus particulièrement ceux de l’Union européenne qui nous sont limitrophes, éprouvent à notre égard un étrange sentiment mêlé à la fois de fascination et de profond agacement. C’est peu de dire qu’ils ne nous comprennent pas : nous sommes pour eux comme des Martiens et, s’ils viennent nombreux chez nous en juillet et en août, c’est à l’évidence pour tenter de percer ce mystère : comment fonctionnent les Français ? Le problème, c’est qu’il n’y a pas de mode d’emploi. Ce pays qui a offert au monde Descartes et Pascal, c’est-à-dire la logique pure et la rigueur mathématique argumentée de mysticisme, abrite le peuple le plus illogique, le plus irrationnel qui se puisse imaginer. C’est pourquoi, à mes amis belges, suisses ou italiens qui me posent des questions sur les Français, je me contente de répondre : « Vous nous trouvez prétentieux ? C’est vrai. »
Nous sommes persuadés d’avoir des qualités que les autres n’ont pas. L’esprit, la gouaille, l’ironie sont nos apanages exclusifs. De surcroît, nous sommes persuadés être les seuls au monde à pratiquer à la perfection deux arts majeurs : l’amour et la cuisine. Les autres nations se nourrissent ; nous, nous mangeons… les étrangers se reproduisent ; nous, nous faisons l’amour. C’est profondément agaçant, je vous le concède, mais nous avons une excuse. Depuis des siècles, on nous a répété sur tous les tons que nous étions les plus intelligents, les plus doués, les plus drôles… Comment n’en serions-nous pas persuadés ? Voulez-vous des exemples ? « Ce qui n’est pas clair n’est pas français », Rivarol ; « Le Français est plus homme qu’un autre, c’est l’homme par excellence », Montesquieu ; « Le Français est né malin », Boileau ; « C’est embêtant, dit Dieu. Quand il n’y aura plus ces Français, il y a des choses que je fais, il n’y aura plus personne pour les comprendre », Péguy ; « Les Français sont le peuple le plus intelligent de la terre », Voltaire ; « En amour, être français, c’est avoir fait la moitié du chemin », Paul Morand. Cher Paul Morand, superbe écrivain au demeurant, un peu oublié aujourd’hui, mais qui omettait de dire que la seconde partie du chemin, la plus probante, est souvent la plus aléatoire. Tous ceux qui ont tenu une plume, de Villon à Malraux, de Rabelais à Aragon, nous ont entretenus dans cette fatuité. Elle s’est lentement, génération après génération, infiltrée dans nos esprits et nous sommes persuadés aujourd’hui que nous pouvons tout nous permettre et qu’on nous pardonne tout. Comme ces danseuses qui ruinaient jadis les banquiers et dont ils disaient : « Que voulez-vous, elle est inconstante, capricieuse et dépensière, mais quel rayon de soleil ! »
Et s’il ne s’agissait que des écrivains ! Croyez-vous que de Gaulle nous ait rendu service en nous faisant croire que nous étions toujours la France de Louis XIV, celle qui dominait l’Europe et dont tout le monde, de Rome à Saint-Pétersbourg, parlait la langue ? Cela ne nous a pas appris l’humilité. Une des anecdotes qui me ravit le plus, c’est celle du général Giraud arrivant à Alger en novembre 1942, après le débarquement allié, et disant à Eisenhower : « Bien entendu, c’est moi qui prends le commandement de toutes les forces alliées en Afrique du Nord. » Eisenhower le regarda en pensant qu’il plaisantait, mais Giraud ne plaisantait pas, d’abord parce que l’humour n’était pas sa qualité première, et surtout parce que la chose lui paraissait on ne peut plus naturelle. En 1918, Pershing s’était mis sous les ordres de Foch, il était donc normal qu’Eisenhower se plaçât sous ses ordres. Il y avait eu la défaite de 1940, le désastre de l’armée française et la capture de Giraud avec tout son état-major… mais le brave général l’avait oublié. Sa réaction était totalement f

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