The Project Gutenberg EBook of L'affaire Sougraine, by Pamphile Lemay
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Title: L'affaire Sougraine
Author: Pamphile Lemay
Release Date: March 17, 2008 [EBook #24861]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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L. PAMPHILE LEMAY
L'AFFAIRE
SOUGRAINE
QUÉBEC
TYPOGRAPHIE DE C. DARVEAU
1884
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Enregistré conformément à l'acte du Parlement du Canada, en
l'année mil huit cent quatre-vingt quatre par L. P. Le May,
au bureau du Ministre d'Agriculture.
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L'AFFAIRE SOUGRAINEPROLOGUE
LES DEUX FUGITIFS
Il y a vingt ans les chemins de fer ne sillonnaient pas, comme aujourd'hui, les immenses prairies de l'ouest,
et les voyageurs traversaient, à cheval ou à pied, la zone étonnante qui se déroule des bords du Mississipi
aux montagnes rocheuses. Tantôt, dans la glauque prairie sans bornes, une caravane passait comme un
tourbillon et s'estompait sur l'horizon, comme le bronze d'un bas-relief sur la corniche d'un temple; tantôt un
chasseur, débarrassé du joug qu'impose la société des hommes, cheminait seul, au hasard, buvant à la
fontaine et dormant sur le foin vert, à la merci du ciel, avec les fauves et les oiseaux.
Les blancs sortaient de leurs villages et les indiens sortaient de leurs montagnes, pour venir dans ces plaines
chasser le buffle roux, et quelque fois des combats singuliers, plus souvent des engagements terribles, entre
les bandes jalouses, arrosaient de sang le sol encore vierge.
Nul écho ne répétait les clameurs des combattants, les éclats des mousquets, les plaintes des vaincus, les
chants des vainqueurs. Tous les bruits s'éteignaient dans l'air morne; la solitude gardait ses secrets.
Cependant le trappeur qui collait son oreille au gazon, pour interroger le désert, entendait d'étranges
murmures, et des tas d'ossements blanchis proclamaient, en ces lieux comme ailleurs, la malice des
hommes.
Un jour du mois de juillet de l'année 18--, un indien s'en allait à travers la prairie, le fusil sur l'épaule, le
regard fixé sur la chaîne des montagnes rocheuses dont les pics s'enfonçaient comme une dentelure noire
dans la lumière du ciel. Une jeune fille le suivait. Elle marchait avec peine et se laissait distancer souvent. Il
l'attendait de moment en moment, sans murmurer, mais sans lui dire ces paroles d'encouragement qui font
tant de bien à l'âme.
De temps en temps la jeune fille pleurait et, du revers de sa main, elle essuyait les larmes du chagrin qui se
mêlaient aux sueurs de la fatigue.
Elle pouvait être l'enfant de cet homme qu'elle accompagnait, mais la blancheur de son teint, l'éclat de son
oeil bleu, la régularité de ses traits, disaient qu'elle n'était pas indienne. D'où venait-elle et pourquoi si jeune
et tout étrangère aux coutumes et au langage de l'habitant des bois, avait-elle laissé sa famille et son village
pour suivre les pas de ce chasseur? Il n'était point beau. Son visage plat et sans barbe, sa bouche largement
fendue, sa peau cuivrée, ses cheveux rudes qui tombaient en mèches inégales, n'en pouvaient faire un
séducteur bien redoutable. Avait-il, par force ou par ruse, ravi cette fille à ses parents? Avait-elle
volontairement déserté le toit paternel pour vivre la licencieuse existence sauvage? Il était bien coupable ou
elle était bien perverse.
Le soleil semblait toucher déjà l'une des cimes éloignées, et lui faire un nimbe d'or. Ses reflets moins chauds
glissaient obliquement sur les flots de verdure qu'agitait le souffle du soir. La prairie rayonnait comme une
mer profonde où n'apparaît aucune voile. Pas un bruit, pas un chant, pas une plainte, sauf le frémissement
léger des tiges de foin sec qui s'emmêlaient dans leur bercement.
Les deux voyageurs s'arrêtèrent au bord d'une fontaine, allumèrent du feu avec l'herbe aride et firent rôtir
une tranche de bison, mets délicieux de ces sauvages endroits.
--Les montagnes n'approchent pas vite, commença l'indien, et si tu ne marches plus, va, le soleil se lèvera
deux fois sur la prairie avant qu'on dorme sous les grands arbres.
--Je suis épuisée, répondit sa compagne.
--Il faut accoutumer tes pieds aux longues marches, Elmire, car l'homme de la forêt ne s'arrête guère. Et puis
l'on a bien fait de mettre un long espace entre le Saint-Laurent et nous. On informe, on fait des recherches là
-bas peut-être.
--Le souvenir de ta femme me poursuit sans cesse comme un remords, Sougraine. Tu n'aurais pas dû
l'abandonner, cette malheureuse, par le temps qu'il faisait, seule, sur la grève de St. Jean. Elle ne serait
peut-être pas morte.
--Elle voulait mourir; tu sais, elle le disait; seulement, va! l'indien ne se pardonnera jamais l'imprudence qu'il a
faite en laissant au cadavre la corde qui lui servait de ceinture.
Elmire--c'était le nom de cette jeune personne--pencha la tête sur sa poitrine et resta longtemps absorbée
dans un rêve douloureux.
Les dernières lueurs du jour s'éteignirent peu à peu, les ombres s'étendirent comme des voiles de deuil sur
les champs infinis et le sommeil vint fermer les yeux des fugitifs.
Au milieu de la nuit ils furent éveillés par un bruit semblable au grondement du tonnerre. C'était le feu quidévorait la prairie. Le vent soufflait et les torrents de flamme, roulant comme des vagues en fureur, se
précipitaient vers eux. Des tourbillons d'aigrettes ardentes, formées des grappes de foin, s'élançaient de tous
côtés, et la rafale les semait pour allumer de nouveaux incendies.
Le torrent poussait plus vite ses deux extrémités comme pour former un cercle implacable autour des
malheureux. La clameur, sourde d'abord, devenait éclatante, le sol tremblait, l'air était brûlant et des
panaches de fumée noire montaient vers le ciel.
L'indien et sa compagne, pris de terreur, se mirent à fuir devant le fléau.
De temps en temps ils tournaient la tête pour voir si le danger grandissait. La peur leur donna d'abord de
nouvelles forces. Bientôt, cependant, ils s'aperçurent qu'ils faiblissaient et que leurs pieds perdaient de
l'agilité. Leur poitrine haletante ne suffisait plus à aspirer l'air chaud qui les enveloppait, leurs mains se
crispaient comme pour saisir un appui, leur gorge râlait, leurs paupières cuisantes et rougies s'ouvraient
sinistrement. Ils couraient toujours et trébuchaient dans les sinuosités du terrain. Le feu courait plus vite.
L'indien, espérant d'abord se sauver avec sa compagne, n'avait pas voulu l'abandonner; mais à cette heure
que le danger était grand, il songeait à se sauver seul et la laissait en arrière. En vain, d'instant en instant,
elle lui jetait un cri désespéré, il ne l'entendait plus; il ne voulait plus l'entendre. La crainte de la mort tuait son
amour.
Elmire retourna la tête une dernière fois et comprit que le salut était impossible. L'océan de flamme lui jetait
déjà ses bouffées ardentes. Elle eut une pensée pour sa mère lâchement abandonnée, pour son humble
village si calme et si heureux, puis elle s'affaissa.
Dans une gorge tortueuse et profonde des montagnes rocheuses, une petite troupe de voyageurs