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Description

Alors qu’elle rentre pour les vacances de Noël, Léa Bacal, une jeune étudiante, découvre sa famille massacrée.
Des années plus tard, afin d’exorciser sa douleur, elle est devenue membre du GIAR, le Groupe d’Intervention Anti-Renégat, un organisme qui se charge d’éliminer les vampires et autres créatures qui ne rentrent pas dans le rang.
Qui est ce type étrange qu’elle croise lors de ses enquêtes ? Aurait-il une relation avec celui qui a causé la mort des siens six ans plus tôt ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 mars 2016
Nombre de lectures 59
EAN13 9782373420258
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

les éditions du petit caveau rvb - Copie2

Agent spécial Léa Bacal – tome 1

La marque

Anne Bardelli

Éditions du Petit Caveau - Collection Sang Neuf

Table des matières
La marque
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Remerciements
Les éditions du Petit Caveau
Mentions légales

Avertissement

Salutations sanguinaires à tous ! Je suis Van Crypting, la mascotte des éditions du Petit Caveau. Je tenais à vous informer que ce fichier est sans DRM, parce que je préfère mon cercueil sans chaînes, et que je ne suis pas contre les intrusions nocturnes si elles sont sexy et nues. Dans le cas contraire, vous aurez affaire à moi.

Si vous rencontrez un problème, et que vous ne pouvez pas le résoudre par vos propres moyens, n’hésitez pas à nous contacter par mail ou sur le forum en indiquant le modèle de votre appareil. Nous nous chargerons de trouver la solution pour vous, d'autant plus si vous êtes AB-, un cru si rare !


À ma fille… 

Chapitre 1

« Le passé ne peut pas être guéri. »

La reine Elisabeth I.

― Salut maman. C’est pas vrai ! Vous vous êtes tous passé le mot pour laisser vos portables éteints, c’est le quatrième message que je laisse ! J’espère que vous ne m’avez pas oubliée. Mon train arrive à 18h30. Je compte sur vous pour venir me chercher. À plus tard ! Bisous.

Je refermai le clapet de mon téléphone d’un coup sec. Si personne ne venait, je serais bonne pour prendre le bus. Un taxi ? Trop cher pour ma bourse d’étudiante. Avec un soupir de lassitude, je tournai la tête. Que c’était long ! Un roman fini, une grille de mots-fléchés remplie, un paquet de M&M’s avalé, une micro-sieste et le terminus semblait encore aux antipodes. Afin de tuer le temps, j’observai le reste de la voiture. De l’autre côté de l’allée, un voyageur venait de me jeter un regard sombre par-dessus ses lunettes de soleil. Je n’avais pourtant pas parlé si fort ! Et quel teint blafard… Je frissonnai et détournai les yeux.

J’avais quitté le campus tôt ce matin. Un premier voyage en TGV jusqu’à Paris, une arrivée très en retard, puis un changement au pas de course dans le métro avant d’attraper de justesse mon second train à Montparnasse. Les vacances de Noël me permettaient enfin de retrouver la maison. Je n’avais pas vu ma famille depuis quatre mois. J’étudiais à plus de sept cents kilomètres, du coup il m’était impossible de rentrer souvent, pas même une fois par mois. Nous communiquions par téléphone et par e-mails, bien entendu, mais ce n’était pas pareil. J’enviais parfois les étudiants aisés ou ceux dont la fac se trouvait à proximité de leur domicile. Eux pouvaient se permettre des retrouvailles plus fréquentes.

Quelles nouvelles conneries mon bouffon de frère avait-il encore bien pu faire ? J’allais bientôt le savoir… Papa avait fini de redécorer ma chambre, j’étais impatiente de voir le résultat. La teinte grise que j’avais choisie allait mettre en valeur les boiseries. Et ma mère me manquait. Aucun conflit de générations n’avait jamais réussi à nous éloigner l’une de l’autre. Une maman copine.

Je pris mon sac à main et me dirigeai vers les toilettes. Le voyant « occupé » venait enfin de s’éteindre. Certains y passaient des heures ! Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien foutre dans une boîte d’un mètre carré empestant l’urine et le désinfectant bas de gamme ?

La vessie soulagée, je me lavai les mains et entrepris de me redonner bonne mine. Un petit coup de poudre sur le visage, un peu de gloss sur les lèvres, un brossage de mes longs cheveux bruns indisciplinés, et hop, prête ! Je voulais être jolie pour débarquer. Et que personne ne remarque mes cernes. Je connaissais assez bien mes parents pour savoir que ça les inquiéterait. Sans cache-misère cosmétique, la litanie des « Tu manges, au moins ? Dors-tu assez ? Tu travailles trop ! Mange des légumes au lieu de tes cochonneries ! » Etc., etc. n’allait pas manquer de me vriller les oreilles.

Je regagnai ma place au milieu du compartiment bondé. Normal, ça sentait les vacances. Les gamins chahutaient, les parents râlaient, les sons assourdis des baladeurs ronronnaient, un bébé exprimait bruyamment son mécontentement à deux rangées de la mienne. Bref, un vrai petit coin de paradis made in SNCF ! 

Le paysage défilait au-delà de la vitre poussiéreuse. Un décor plus urbain se substitua peu à peu à la campagne. Les prés et les bois furent remplacés par des zones industrielles grises et tristes aux murs tagués, les jolis villages par des quartiers champignons aux barres d’immeubles aussi inesthétiques que concentrationnaires. Ma destination se rapprochait. Bientôt la voix du contrôleur, froide et métallique, crachota dans les haut-parleurs :

« Mesdames et messieurs, nous arrivons en gare d’Auroville. Terminus, tous les passagers sont invités à descendre. Assurez-vous que vous n'avez rien oublié dans le train. »

Auroville. Ploucville, oui ! Oh, je ne la considérais pas ainsi à cause d’une taille réduite, non. Avec environ deux cent mille habitants, c’était même une ville assez importante. Mais je n’imaginais pas un seul instant mon avenir dans ce patelin. Quel avenir d’ailleurs ? Le chômage culminait, les jeunes s’y emmerdaient… comme un peu partout en fait. Ma famille me manquait, certes, mais pas au point de vouloir, plus tard, m’enterrer ici. Non. Mes études terminées, je comptais m’installer à Paris. Paris, ville d’art et de culture… un rêve depuis que j’étais gosse. Et puis, en train ou en voiture, je pourrai toujours venir m’incruster pour les week-ends. Enfin, il me restait encore un peu de temps avant de pouvoir vraiment voler de mes propres ailes.

J’enfilai mon manteau sans oublier de récupérer mon écharpe. J’attendis que le troupeau humain s’éclaircisse dans l’allée centrale pour me lever et récupérer mon bagage. C’était toujours la même chose, en train ou en avion, les gens se levaient avant même l’arrêt complet. Ils espéraient quoi ? Descendre en marche ? Ce qu’ils pouvaient être pressés…

Dehors, ma respiration forma instantanément des petits nuages devant ma bouche. Ça caillait sec ! J’enfilai mes gants, agrippai la poignée de ma valise et remontai le quai en direction de la sortie. Je jetai des regards en tous sens pour apercevoir mon père ou ma mère. Personne. Peut-être m’attendaient-ils à l’extérieur de la gare ?

Je dus me rendre à l’évidence : on m’avait bel et bien oubliée. À moins qu’ils n’aient perdu la notion du temps, occupés par les courses de Noël.

Une fois les voyageurs partis rejoindre leur destination, il ne restait plus que moi sur le parvis de la gare. Ah non, rectification : le voyageur à lunettes de soleil – hyper utile le soir en hiver – se rapprochait de moi.

― Je peux vous déposer quelque part, mademoiselle ?

Une voix mélodieuse, un teint qui manquait de carotène, une allure et une aisance surnaturelle… je n’avais plus aucun doute quant à sa nature. C’en était bien un.

― Non merci. On vient me chercher.

― Dans ce cas… Bonne soirée.

Il semblait déçu, le pauvre. Il s’éloigna avec fluidité. Ben tiens ! J’avais l’air d’une cruche ou quoi ? S’il pensait que j’allais monter dans sa caisse pour que je lui serve de casse-croûte avant qu’il me dépose… Certaines personnes ne doutaient de rien !

Tout avait commencé une quinzaine d’années auparavant, à cause d’un célèbre acteur hollywoodien. Certes, ce type ne paraissait pas vieillir, alors comme pour beaucoup d’autres, on avait mis ça sur le compte de la chirurgie esthétique et autres Botox. Le problème, c’est qu’une photo datant de la fin du XIXe siècle avait été retrouvée et que ce type était dessus ! Bien sûr, il avait nié qu’il s’agissait de lui, une vague histoire de sosie qui ne convainquit personne… Les paparazzis ne le lâchaient plus. Une seconde photo, beaucoup plus récente et compromettante celle-là, avait été publiée. En charmante compagnie, les dents plantées dans le cou de la fille. À partir de là, plus aucune nouvelle du Don Juan, pas le moindre film, pas même une pub pour du café. Rayé de la carte, l’acteur ! Certains de ses congénères avaient dû moyennement apprécier la blague. De là à penser qu’ils avaient fait le ménage… Peu après, un porte-parole de l’espèce se faisait connaître auprès des dirigeants des pays du G20. Les siens pensaient qu’il était grand temps de sortir de l’ombre. L’Humanité découvrit donc avec stupeur – et frayeur ! – qu’un mythe pouvait devenir réalité. Peu à peu, l’idée que nous autres, mortels, n’étions pas l’unique race hégémonique de la planète fit son chemin dans les esprits. Pas sans consternation ni résistance. Finalement, je devais reconnaître que ça fonctionnait assez bien. De temps à autre, des renégats commettaient des crimes. Dans ces cas-là, pas de pitié. Extermination. En raison de leur nature, impossible de leur donner une seconde chance. Mais pour moi, ça restait des sangsues. Je n’en connaissais aucun personnellement, et je n’avais pas envie d’en fréquenter. Peur ou manque d’ouverture d’esprit ? Je n’en savais rien, peut-être juste l’instinct de survie.

Un bus arriva au bout de dix minutes. Assez pour que je ne sente plus l’extrémité de mes orteils malgré mes bottes fourrées. Je m’installai à bord et attendis le départ. J’essayai une énième fois de contacter ma mère, mon père ou mon frère, mais je fis chou blanc encore et encore. Déjà énervée et fatiguée, je n’avais pas besoin de ça. Chouettes, les retrouvailles !

Le bus me déposa en bas de la rue. Après avoir longé les grilles du square, je n’avais plus qu’à remonter la colline sur quatre cents mètres avant d’être enfin au chaud.

Ma valise à roulettes traînait derrière moi, cahotant avec fracas sur le bitume. Les réverbères jetaient leur halo blanc et glacé à intervalles réguliers. Ils n’étaient pas assez puissants pour repousser les ténèbres et la brume tombante engloutissait le peu de clarté qui réussissait à se frayer un chemin jusqu’au sol. On aurait dit que chaque poteau abritait un spectre enroulé autour de lui.

La rue bifurqua légèrement sur la gauche. J’y étais presque.

Je stoppai, parcourue de frissons. Qu’est-ce qu’il faisait froid ce soir ! Bon, on était à Noël aussi, je ne devais pas m’attendre à prendre des coups de soleil, mais franchement j’étais surprise. Machinalement, je resserrai le col de mon manteau. La maison m’apparaissait auréolée par le nimbe fantomatique des lampadaires. Mais elle restait sombre. Aucune lueur ne filtrait par les fenêtres. Et si nous nous étions croisés ? Eux partis me chercher et moi dans le bus. Alors là, ça serait génial !

J’avais ma clé, donc je pouvais entrer, ça n’était pas le problème. Toutefois j’avais espéré un chaleureux comité d’accueil. Loupé.

Je repris ma marche, poussai le portillon et m’engageai dans l’allée du jardin. Tout était calme. Seul le carillon métallique accroché dans l’arbuste près de la porte d’entrée tintait, brisant le silence de la nuit. Un vent léger, à peine perceptible, le bousculait. Les notes cristallines résonnaient dans l’obscurité, donnant presque vie aux ombres qui se tapissaient dans les végétaux. Eux aussi bruissaient doucement, comme si une haleine chargée d’humidité glaciale leur soufflait dessus. Ho, doucement le subconscient ! On se calme avec les idées tordues. Limite angoissant quand même.

Je sifflai, plus pour me donner du courage que pour appeler mon vieux compagnon. Bizarre, Skooter ne déboulait pas en aboyant pour me sauter dessus avec ses pattes sales et sa bave gluante. Il se faisait vieux, le pauvre. Son ouïe défaillante lui avait fait rater mon arrivée. Pas grave, on se rattraperait plus tard en gros câlins. 

Ce labrador noir était le cadeau de mon sixième anniversaire. Il allait allègrement sur ses quatorze ans. Un honorable vieillard.

Le tintement du carillon résonnait toujours dans ma tête, il me faisait maintenant l’impression de s’être immiscé sous mon crâne. Alors que j’insérais la clé dans la serrure, une boule d’angoisse me serra l’estomac. Quelque chose clochait. Et ce « cling-cling » qui ne cessait pas !

J’entrai et allumai la lampe du couloir. Le vif éclat doré inonda le hall et l’escalier qui grimpait à l’étage sur ma droite. Alors que je refermais, j’appelai.

― Hé ho ! Il y a quelqu’un ?

Pas de réponse.

Une odeur cuivrée me monta aux narines tandis que j’avançai vers le salon. Je commis l’erreur de presser l’interrupteur. 

Je hurlai.

Chapitre 2

Par la fenêtre de la cuisine, j’apercevais les lumières rouges et bleues qui illuminaient le quartier. Elles rebondissaient sur les façades, dessinant des silhouettes fantomatiques colorées comme un kaléidoscope délirant. La rue était pleine de monde malgré l’heure plus que tardive. Des voyeurs jouaient des coudes pour apercevoir je-ne-sais-quoi, bloqués par un cordon de police. Les gens… toujours prêts à tremper leur sucre dans la première mare de sang qu’ils croisent…

Je regardais tout cela sans vraiment le voir et grelottais, assise sur une chaise en formica, enveloppée dans une couverture de survie. Pas à cause du froid. Ce tremblement incoercible me secouait depuis le moment où j’avais mis les pieds dans le salon quelques heures plus tôt. Dans cette cuisine où plus aucun petit plat ne mijoterait, je me tenais voutée, amorphe, apathique. Morte. Toute cette agitation ambiante me paraissait tellement lointaine, comme si elle appartenait à une dimension parallèle qui ne me concernait pas. Les personnes autour de moi bougeaient au ralenti, les sons me parvenaient étouffés, assourdis. J’étais loin. Ailleurs. Dans une bulle protectrice. Mon cerveau s’était déconnecté. Le corps humain est bien fait, il sait s’auto-protéger.

Un flic s’approcha et me tendit une tasse de café.

― Tenez, Mademoiselle Bacal, ça vous fera du bien.

Sa voix m’extrayait aux forceps de mon cocon protecteur. Du bien. Il en avait de bonnes…

Dès que j’avais allumé le lustre du salon, j’étais tombée sur mon frère. Allongé sur le tapis imbibé de sang, les yeux grands ouverts, il fixait le plafond, la gorge béante. Plus loin, près de la cheminée, la position de mon père n’était pas naturelle : à genoux près de l’âtre, la main tendue vers un tisonnier, on aurait dit qu’il cherchait à raviver le feu. Pour l’éternité. Avait-il tenté de se défendre ? Ils avaient tous deux une trace bizarre sur le front. Quant à ma mère, elle gisait la robe relevée par-dessus la tête, à plat ventre près de la porte-fenêtre qui donnait sur le jardin, dans une position immonde. Tous morts. Le sapin décoré trônait à sa place dévolue, la guirlande clignotante se reflétait dans les flaques de sang. Tellement déplacé, surréaliste, au sein de ce décor macabre.

J’avais hurlé avant de me laisser tomber au sol, prostrée. Combien de temps ? Aucune idée. Je ne sais même pas comment je me suis traînée jusqu’au téléphone. Trou de mémoire. Toujours est-il que les flics m’ont découverte le sans-fil à la main, affalée près du meuble de l’entrée, dans un état second. C’est ce qu’ils ont dit en tout cas.

Un des ambulanciers s’approcha de nouveau. Je secouai la tête une fois de plus… Je refusais d’aller à l’hôpital pour me faire examiner. Pas tout de suite. On m’avait refilé un calmant et je flottais dans le coton depuis quelques minutes. Des experts en combinaison blanche ratissaient la maison. Les corps, après les photographies d’usage et les premières constatations du légiste, avaient été emballés dans des sacs mortuaires. Je n’arrivais pas encore à réaliser. Je n’avais plus de famille. Qui avait fait ça ? Et pourquoi ? 

Un type à la mâchoire aussi carrée que ses épaules s’avança vers moi. Avec ses cheveux ras et son regard gris acier, il avait tout d’un militaire. Il sortit un badge qu’il me tendit.

― Commandant Boissier, du GIAR. Nous reprenons l’affaire.

Je le regardai sans comprendre. C’était quoi, ce sigle ? Il dut lire dans mes pensées.

― Je dirige la branche locale du Groupe d’Intervention Anti-Renégats. Votre famille, Mademoiselle Bacal, n’a pas été tuée par un être humain.

Il ne manquait plus que ça.

― Et par… quoi, alors ? bafouillai-je, la voix rendue pâteuse par le calmant.

― Nous ne sommes sûrs de rien à l’heure actuelle, mais très certainement par un vampire.

Qu’est-ce que ça changeait ? Le résultat était le même. J’étais seule.

Un flic traversa la cuisine et indiqua à un de ses collègues que le cadavre dépecé d’un chien noir avait été trouvé au fond du jardin. 

Skooter…

La goutte d’eau qui fit déborder le vase. J’éclatai en sanglots et on finit par me faire monter à bord d’une ambulance, direction l’hôpital.

Le lendemain, le Commandant Boissier vint à mon chevet. Pas par courtoisie, cela va sans dire. Il dut attendre un bon moment car je dormais. Ou plutôt j’avais disparu dans les limbes chimiques d’un médicament qui me faisait perdre toute lucidité. Pour mon bien. Quand j’ouvris les yeux, il était là, à me veiller. Je tentai de chasser les brumes artificielles qui m’enveloppaient. Aussitôt, un océan de souvenirs me submergea. Une vague scélérate m’attira vers le fond pour mieux me noyer. Je pouvais sentir son goût salé au travers de mes larmes. Je finis par aspirer une profonde goulée d’air et la tempête se calma. Du couloir me parvenaient des bruits de chariots, des grésillements de postes de télévision, des cavalcades. Le reste du monde. La vie.

Jugeant le moment opportun, il me fit savoir que la police était mise sur la touche au profit de son organisation.

Assis dans le fauteuil en skaï de ma chambre, il me fixa longuement sans un mot.

― Je sais que vous êtes étudiante, mademoiselle Bacal.

― Oui. Appelez-moi Léa… et arrêtez de me donner du « mademoiselle » à tout bout de champ. J’ai l’impression d’être… une vieille fille.

Il se força à sourire.

― Vous avez du caractère. C’est bien. Ça vous servira pour vous en sortir. (Il fit une pause, se grattant le menton). Savez-vous où aller ?

― Non. Je n’ai que ma chambre sur le campus. Hors de question que je rentre à… à la maison.

― Je comprends. Savez-vous ce que votre père faisait, comme métier ?

Je le regardai, interloquée. Quel rapport ?

― Que voulez-vous dire ? Bien sûr que je le sais ! Il est… il était fonctionnaire, dans l’Éducation. Il s’occupait… de la formation professionnelle, mais je ne connais pas en détail le programme, il ne parlait jamais boulot… à la maison.

Le Commandant Boissier se racla la gorge et me fixa de son regard métallique.

― Pas exactement. En fait, votre père travaillait pour nous. C’était un de nos agents.

― Qu… Quoi ?

Je manquai de m’étrangler ; il ne me laissa pas continuer.

― Votre père enquêtait sur un psychopathe de la pire espèce. Un tueur en série, un maniaque. Nous ignorons malheureusement tout de lui, sauf qu’il n’est pas humain. Et il signe ses méfaits en marquant le front de ses victimes. Un cercle avec un point au centre qui symbolise une cible.

Je ne l’écoutais plus. La marque. Je l’avais vue. Sur mon père et mon frère. Ma mère devait sûrement en avoir une, elle aussi. Je réalisai qu’il parlait toujours et me refocalisai sur le ronronnement de sa voix.

― …et vous avez eu de la chance. Vous seriez rentrée plus tôt…

― De la chance ? J’ai de la chance ? éructai-je. Tirez-vous de là ! Je ne veux plus vous voir !

Je m’étais à demi redressée, furieuse. Mes cris alertèrent le personnel et une infirmière déboula juste avant que je ne saute à la gorge de ce connard.

― Ma famille est morte… à cause de vous, espèce de…

Je ne pus finir. Le Commandant me maintint d’une poigne de fer tandis que la femme m’enfonçait une aiguille dans le bras. Quelques secondes s’écoulèrent et l’obscurité m’engloutit.

Il pleuvait. Pourquoi pleut-il toujours aux enterrements ? Bonne question. Le ciel met sans doute un point d’honneur à s’associer aux familles en deuil, à verser sa petite larme pour rester en harmonie avec l’ambiance. Gentil de sa part.

Ce fut une ambulance qui m’amena au cimetière ce jour-là. Les toubibs me surveillaient de près, ils s’inquiétaient de mon état. Tu m’étonnes ! Découvrir sa famille sauvagement massacrée par un monstre, rien de tel pour faire basculer n’importe qui, même avec des nerfs solides. Et les miens ne l’étaient pas tant que ça d’après les comptes rendus des médecins.

Le Commandant était là, avec trois collègues. En comptant les infirmiers, nous n’étions pas nombreux. Mes grands-parents, des deux côtés, étaient morts depuis longtemps – heureusement, ils n’auraient jamais supporté ça – et mes parents étaient enfants uniques. J’avais de toute façon demandé que les funérailles se fassent dans la plus stricte intimité. Voir débouler des potes de lycée de mon frère ou les collègues cancanières de ma mère m’aurait insupporté. Du coup, ça ne se bousculait pas au portillon. Peu m’importait en définitive. Et à eux encore moins. Les morts se fichent pas mal de se qu’on peut faire après leur départ.

Un type se tenait en retrait, à une centaine de mètres. Je le remarquai malgré mon état second à cause de sa stature impressionnante et aussi, peut-être, parce qu’il semblait vouloir rester à couvert sous les sapins. Mais j’étais trop abrutie pour m’attarder sur ce détail, après tout, on pouvait se balader dans un cimetière, rien ne l’interdisait. Peut-être une vague connaissance des parents qui ne voulait pas déranger par sa présence. Et puis zut, je m’en foutais de toute façon. Je me reconcentrai du mieux que je pus sur le déroulement de l’enterrement.

Les cercueils furent descendus dans la fosse et j’y jetai une rose rouge. Les préférées de maman.

Je tenais grâce aux médicaments. Sans eux, je me serais effondrée dans la gadoue. La pluie tombait sur mes épaules, traversait mon manteau, mais je n’en avais cure. Plus rien ne comptait. La terre pouvait bien s’ouvrir et m’engloutir. Pourquoi ne le faisait-elle pas, d’ailleurs, cette saleté ? Voilà. Crever. Il ne me restait plus qu’à crever. Pourquoi rester en vie, dans quel but, pour qui ?

L’inhumation terminée, chacun vint me présenter ses condoléances. Voix ternes, monocordes. Mots vides de sens. Je n’écoutais même pas, l’esprit loin. Ailleurs. La voix du Commandant Boissier me ramena à la réalité. Il me tendit une carte que j’empochai sans un regard.

― Que comptez-vous faire, maintenant ?

Je n’en avais pas la moindre idée. Reprendre le cours de mes études, refaire ma vie… le cadet de mes soucis. Sans compter la tonne de paperasserie qui m’attendait. Je secouai la tête pour toute réponse et il partit.

Mon année universitaire n’était pas la seule chose en péril. Mon monde venait de s’écrouler, ma vie n’existait plus. Je n’avais plus rien. Je n’étais plus rien. Un fantôme de vacuité dans un monde qui ne le concernait plus. Une ombre.

Les deux infirmiers me soutinrent jusqu’à l’ambulance. La portière se referma et, au travers de la vitre ruisselante, je regardai fixement la dernière demeure des miens s’éloigner tandis qu’un petit tractopelle rebouchait déjà la cavité. 

Image déformée, étirée, grotesque par l’effet de loupe des gouttes. 

Aussi pathétique que ma propre image.

Chapitre 3

Je déteste Noël. Pour bien des raisons. La principale étant, bien entendu, que ma famille a été massacrée à cette période.

Les haut-parleurs qui animaient les rues avaient accompagné mon trajet de leurs mélodies sirupeuses et débiles. Entre « Mon beau sapin », « Petit papa Noël » et « Vive le vent », j’avais eu droit à la totale. J’espérais qu’aucun faux père Noël n’aurait l’idée de me proposer des bonbons à mon retour, je risquerais de perdre mon sang-froid et de l’abattre d’une balle entre les deux yeux.

Maintenant, à l’écart du tumulte, agenouillée contre le granit froid et poli, je regardais la stèle. Les noms, gravés et recouverts de dorures, se démarquaient de la pierre grise. Catherine et Richard Bacal. Damien Bacal. Trois noms. Trois dates de naissance différentes. Trois dates de décès identiques. Six ans déjà… Mon frère aurait eu vingt-et-un ans le mois dernier. Je connaissais, à présent, les détails de leur mort, l’acharnement ignoble dont le tueur avait fait preuve, sa sauvagerie, le viol de ma mère.

L’enquête n’avait pas abouti. Serait-elle résolue un jour ? Fallait pas rêver. Le monstre courait toujours, quelque part. Il n’était pas resté dans le coin après son acte, aucun autre crime du même genre n’avait plus été commis. En ce qui me concernait, le dossier ne serait jamais refermé. Jamais.

Le travail de deuil se compose, paraît-il, de cinq phases. À la suite de la tragédie, j’avais fait l’impasse sur la première, le déni. L’évidence était trop criante pour que je la conteste, même inconsciemment. 

La colère m’avait saisie ensuite. Ma crise envers Boissier n’était que le début d’une longue descente aux enfers. J’avais pas mal démoli ma chambre d’hôpital et les calmants s’étaient succédé en même temps que les périodes d’hospitalisation.

La phase de marchandage avait duré quelques semaines : j’avais pleuré des nuits entières, demandant pardon pour tout ce que j’avais pu faire de mal, pour implorer leur retour… en vain. Pathétique.

J’avais passé en tout cinq mois à l’hôpital. Dépression avec tendances suicidaires. Autrement dit, la phase quatre. Je gardais quelques cicatrices sur les poignets, témoins de mes accès de violence durant cette période, une violence tournée vers moi-même, la fameuse culpabilité du survivant.

Enfin, j’avais fini par accepter l’inacceptable. La conséquence de cette prise de conscience avait été la reprise de mes études l’année suivante. Mais adieu l’Histoire de l’Art. J’avais changé de filière pour suivre quatre années d’études comportementales et de physiologie des créatures surnaturelles. Connais ton ennemi pour mieux le combattre était devenu mon credo.

En théorie, je savais tout des vampires, goules, lycanthropes et autres créatures des ténèbres. En théorie… Mœurs, habitats, régimes alimentaires, points forts et faibles, sur le papier cela semblait si simple. Mais déjà je n’avais qu’une envie : passer à la pratique.

La petite Léa était morte en même temps que sa famille. De timide, réservée et trop sérieuse, j’étais devenue dure, froide, intransigeante et agressive… une machine. Je n’étais plus la même, doux euphémisme. Ainsi, au bout de ce cursus de quatre ans, je m’étais sentie prête à affronter les monstres. Par chance, je pratiquais le taekwondo depuis une quinzaine d’années et le kendo m’avait procuré une bonne aisance avec le sabre. Je n’avais rien d’un samouraï moderne, rien d’une héroïne de comics non plus. Non, moi tout ce que je voulais, c’était découper du vampire façon carpaccio. Mais je ne pouvais pas taper dans le tas, la loi me l’interdisait. Cette fichue loi qui les considérait comme des citoyens à part entière ! Foutaise.

Comme je ne voulais pas finir en taule, j’avais ressorti cette vieille carte. Je me demandais encore pourquoi je l’avais conservée. Le destin donne parfois des petits coups de pouce.

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