La vie à Montmartre
184 pages
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La vie à Montmartre , livre ebook

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Description

Extrait : "Dès le boulevard il obsède. Campé sur son éminence, s'imposant aux yeux par les perspectives de quelques rues transversales, il entend qu'on ne l'oublie point. Par-dessus les toits, il crie sa prétention à être vu. Le soir, il se constelle de points de feu qui semblent, sur l'écrin de la nuit, des étoiles imprudentes qui auraient glissé. C'est sa réclame lumineuse. Elle incite le passant à s'informer et à apprendre que Montmartre est là..." À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 33
EAN13 9782335076462
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335076462

 
©Ligaran 2015

Avant-propos


L’extravagant et spirituel Rodolphe Salis avait pris à Sieyès le tour de cette devise : « Qu’est Montmartre ? Rien. Que doit-il être ? Tout. » Le « gentilhomme cabaretier » exagérait deux fois : Montmartre, qui ne sera jamais tout, a toujours été plus que rien. Il fut constamment quelque chose et même quelque chose d’assez tapageur. Par sa situation géographique, appelé à servir d’assise à des temples votifs, il inclina, dès l’aube de l’histoire, vers la dévotion. Sa piété – qui dure – n’est point discrète. Particulière et voyante, elle s’étale, et plus que jamais, en processions et en pèlerinages. C’est un aspect de la Butte ; elle en a d’autres .
Montmartre qui eut la diplomatie de s’insinuer en tous temps dans les bonnes grâces parisiennes, lorsque le Chat Noir, sur ses flancs, imprima sa griffe, n’était donc point dépourvu de quelque réputation. Quand on le taxait de n’être rien, il était déjà, – contraste choquant – la Corinthe des plaisirs à bas prix, la villa Médicis des rapins qui avaient raté le coche du quai Malaquais, la terre promise du Sacré-Cœur. Il devenait la nouvelle Lourdes. C’eût été pour suffire à une réputation moins ambitieuse, mais il se flattait d’attirer, sur son sol, fertile en miracles, les pèlerins s’acheminant aux fins les plus diverses .
Cette antithèse, en l’espèce unique, s’est accusée surtout depuis quelque dix ans. Au pied de la montagne, au sommet de laquelle se perpétue le plus paisible des petits villages, et d’où la Savoyarde appelle les croyants du monde entier à la prière, la fantaisie la plus outrancière dresse les tréteaux de ces baladins qui ont réveillé les échos endormis de Ramponneau et des Porcherons. Le monde élégant en a appris la route, faisant un sort à cette allégresse quasi foraine qui met tant de liberté dans son tapage et tant d’art dans sa fantaisie .
On s’y donne rendez-vous, on s’y rue, comme jadis à l’ancien boulevard du Temple, qui est là, en quelque sorte, ressuscité. Cette renommée mérite à Montmartre l’ascension continue d’un public ailleurs blasé. Il chante, et sa chanson est frondeuse des lieux communs sans en être toujours exempte. Elle n’est ni généreuse, ni enthousiaste, ni profondément philosophique ; nous sommes loin de Béranger ou de Debraux : mais nous avons toujours Colmance, Muse pince-sans-rire qui ne saurait rire sans pincer, visant à être gaie en étant rosse, et qui est tout au moins rosse si elle n’est gaie. On y court ainsi de multiples bouisbouis qui, outre quelques autres avantages, ont celui d’être agencés avec goût. L’artiste, – et c’est la nouveauté de cette vogue, – s’est, pour la première fois, intimement uni au poète .
De ce double commerce est né le Montmartre que la mode consacre. Le cadre s’est haussé à la gloire du tableau et l’a plus d’une fois éclipsé. Le cabaret s’est fait musée, et l’atelier tréteau. Ange Pitou s’est acoquiné à Cabrion ; Tabarin s’est mis dans ses meubles, grâce au concours d’ingénieux pinceaux. Il était indifférent aux cahotés du chariot de Thespis, de jouer en plein air sur la lisière des bois, ou dans la rustique nudité des granges, et l ’Illustre Petit Théâtre n’avait pas demandé qu’à son endroit se prodiguassent les architectes. Montmartre, au contraire, abondant en décorateurs, s’est soudainement soucié du décor, – non certes, du décor somptueux, mais pittoresque habilement, libre jusqu’à paraître forain, et s’inspirant davantage du brocanteur que du tapissier .
Mais la mode toute-puissante a de ces caprices. Elle a décrété que Montmartre, pour les profanes, serait terre de volupté, et terre d’expiation pour les pèlerins. Et elle a autorisé, sur toute l’étendue de ce sol tourmenté, le commerce de contradictoires indulgences. Les femmes du monde, qui ont signé de leurs armoiries, pieuses offrandes, les piliers du Sacré-Cœur, tout scrupule vaincu, se sont fait conduire dans les cabarets et les petits théâtres, comme à une partie de débauche. Leurs équipages s’attardent, à des heures indues, en des rues en pente effarouchées par l’éclat d’aussi brillantes lanternes. Elles ont de près frôlé les gloires mineures auréolées des fumées de la tabagie. Elles ont entendu bafouer leurs croyances et railler leurs respects. Elles ont dévisagé des aèdes chevelus, qui, d’un verbe sifflant, menaçaient Ninive d’une destruction prochaine. Elles ont subi, sans broncher, ces assauts impertinents, amusées sous les verges folâtres, et quand l’audace du mot était un affront à toutes leurs pudeurs, un éclat de rire les renversait derrière l’éventail, à peine déployé. « Exquis, murmuraient-elles, inouï, ravissant ! » Aux grandes dames, sur la petite scène de Trianon, Vadé et Beaumarchais, à la veille de l’ouragan, arrachaient de ces complaisants bravos .
Écartons l’amertume des rapprochements, et vivons l’heure pour le plaisir qu’elle sonne. Le pitre des tréteaux n’a qu’un cri : il suffit à toute sa sagesse. Il balafre l’espace d’un ample geste et clame : « Suivez le monde » .
Suivons le monde. À cette heure, il va à Montmartre, c’est une frénésie. Quelques théâtres classés et les cabarets du boulevard en grondent : cet exode durera-t-il qui, au profit des pentes abruptes, dégarnit de ses viveurs et de ses amoureuses, de ses spectacles et de ses spectateurs, l’ancien centre des attractions. Ne délibérons ni ne creusons trop les pourquoi. Grimpons à Montmartre. Suivons le monde  !
Suivons-le à l’aurore, derrière la soutane du prêtre de campagne, confondu dans l’humble troupeau de ses ouailles ferventes. Suivons-le au crépuscule, quand la grisette regagne, d’un pas lassé, le logis où les rapins ont découvert quelle était leur muse. Suivons-le, dès la nuit tombée, quand la foule de toutes les foules, secouant le joug du spleen, va demander, à la notoriété éphémère des amuseurs de la Butte – satiristes aux pièces, Juvénal à la petite semaine – quelques heures d’art personnel, de pittoresque débraillé et de verve frondeuse .

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