Le Bateau des Sorcières
184 pages
Français

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Le Bateau des Sorcières , livre ebook

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Description

Extrait : "« Largue tout ! » La voix du patron Danielou, jetant cet ordre bref, retentit nette et ferme, d'une énergie voulue, comme pour mieux braver une rude et sifflante reprise du vent, qui soufflait du sud-ouest, avec ses plus aigres, ses plus menaçants miaulements de bête mauvaise et colère." À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. 

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 23
EAN13 9782335047882
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335047882

 
©Ligaran 2015

À
LÉON DAUDET
AU DIGNE HÉRITIER DU GRAND NOM LITTÉRAIRE
EN VÉNÉRÉE MÉMOIRE
DE SON CHER ET ILLUSTRE PÈRE
ALPHONSE DAUDET
MON MAÎTRE ET MON AMI
Avec mon affection profonde et dévouée,

GUSTAVE TOUDOUZE.
LE BATEAU-DES-SORCIÈRES
Première partie

I
« Largue tout ! »
La voix du patron Danielou, jetant cet ordre bref, retentit nette et ferme, d’une énergie voulue, comme pour mieux braver une rude et sifflante reprise du vent, qui soufflait du sud-ouest, avec ses plus aigres, ses plus menaçants miaulements de bête mauvaise et colère.
Un des hommes, un vieux pensif, aux yeux laiteux à force de décoloration par les années successives, à la face sombre écrasée de résignation, se courbant vers les dalles glissantes de la cale inclinée, dénoua rapidement l’amarre, sans hésitation, sans une question, l’enroula d’une torsion du poignet et la lança de tout son élan, d’un bloc, en pesant anneau trempé d’eau salée, sur le plancher de la barque.
Il ajouta très bas, résolu et têtu :
« Il a raison, le patron ; faut en finir. Arrive qu’arrive !… »
Les autres, les mains solidement crochées dans les drisses saisies à pleins poings, hissaient vivement les deux voiles brunes, sous lesquelles les mâts plièrent, faisant piquer la barque du nez en pleine lame.
Le patron, le suroît enfoncé jusqu’aux yeux, retomba assis, la barre assujettie sous le bras droit, tenue comme dans un étau, les deux pieds calés contre une traverse de bois pour offrir plus de résistance, les muscles de son large dos tendus sous la capote de toile cirée qui le défendait des paquets de mer.
Depuis le matin qu’ils étaient là à attendre une embellie, bien amarrés à l’abri dans ce petit port de l’île de Sein, leur Reine-des-Anges ayant sa cale pleine à déborder de raies, de turbots, de homards et de langoustes, après la plus merveilleuse pêche qu’ils eussent encore faite de tout l’hiver, ils se dévoraient d’impatience et de chagrin de se voir immobilisés dans cet isolement désolé du Raz et de l’île de Sein, quand ils auraient déjà dû être rendus depuis le matin à Camaret, où ils étaient assurés de réaliser un si beau bénéfice.
Même entre eux, toujours d’accord et de bonne entente jusque-là, des paroles de colère ronflaient, le dépit, l’impuissance de s’en aller, une lassitude de ce tête-à-tête plus long que d’habitude, les dressant les uns contre les autres pour des petits faits insignifiants, des vétilles du métier, des paroles mal reçues.
Tous étaient également furieux du retard occasionné par ce vent de malheur, qui avait subitement commencé sur la fin de la nuit, avant le lever du jour, bataillant de plus en plus fort contre les vagues, au point de finir par envelopper l’île entière d’une telle ceinture d’écume, qu’on eût dit un champ de neige gagnant peu à peu la mer tout autour d’eux.
Ils connaissaient trop les terribles parages dans lesquels ils se trouvaient pour ne pas savoir que partir avec cette tempête commençante, c’était aller au-devant d’une mort certaine ; ils n’arriveraient même pas à franchir les récifs de Sein. Alors ils avaient attendu, se résignant à laisser passer cette première grosse fureur de l’ouragan et comptant sur l’accalmie qui ne pouvait manquer de se produire au moment de la basse mer.

Ils hissaient vivement les deux voilas brunes.
Lentement, péniblement, les heures avaient passé, dans une oisiveté bourrue et malcontente, sans qu’ils se décidassent à quitter leur barque, afin d’être immédiatement prêts à saisir l’occasion et de pouvoir s’éloigner dès que le temps le permettrait.
Ordinairement peu intéressés, vivant au jour le jour, à la merci des évènements, avec cette grande philosophie résignée et patiente que donne à la longue la continuelle existence sur mer, ils attachaient peu d’importance à un retard de vingt-quatre ou de quarante-huit heures passées même dans ce lieu d’éternelle désolation, dans cet asile dénué de toute ressource qu’est l’île de Sein. Mais voilà que cependant une certaine cupidité leur était poussée brusquement au fond de l’âme, en présence de cette pêche inattendue, supérieure à celle de leurs camarades les plus favorisés, avec tous les espoirs de jouissances matérielles et de satisfactions physiques qu’elle leur offrait en séduisant mirage, après le dur et long chômage des premières semaines d’hiver, après l’abstinence forcée.
Cette soif de bien-être, de plaisirs, s’avivait de la méchanceté même du temps, qui, à la suite d’une magnifique semaine passée dans un dur labeur, venait si brutalement de changer, au moment de recueillir le fruit de leur peine, quand ils faisaient leurs préparatifs de départ.
Ils ne cessaient de grommeler, de jurer contre cette mauvaise chance, qui les frappait à l’improviste, et arrivaient à en perdre toute mesure, toute pensée de prudence, dans l’excès de leur exaspération.
« Faut-il que nous en ayons tout de même de la misère, que ce satané coup de suroît nous tombe en plein dessus, à l’heure du réveil, et qu’il s’allonge, qu’il s’allonge, qu’on n’en voit plus la fin !… Ah ! misère, misère ! » faisait un tout jeune, grand gaillard robuste, à la mine fleurie, la peau duvetée d’une barbe naissante.
Il tendait vers le large son poing fermé, un dépit d’enfant contrarié mettant presque des larmes dans le bleu naïf de ses yeux.
« T’as pourtant ni femme ni enfants qui t’attendent en ton logis de Kermeur ! Être ici, être là-bas, qu’est-ce que ça peut bien te faire au juste ? » ripostait un autre, un barbu à peau tannée, à carrure solide d’homme ayant la pleine quarantaine, qui suçotait un bout de pipe, le fourneau renversé en dessous pour empêcher le vent d’éparpiller le tabac.
Il continua, bourru :
« Moi, j’ai toute la nichée qui espère après mon retour, rapport à la pâtée que je dois envoyer avec moi pour lui emplir le ventre. Ça crève la faim, tous ces pauvres petits goélands, quand je ne suis pas là !… Toi, t’as que ton bec à fournir, tu n’as pas besoin d’être chez toi pour ça ! »
Le patron, lui, ne disait d’abord rien, écoutant les uns, les autres. Il passait nerveusement d’un coup de langue rapide sa chique d’une joue à l’autre, les sourcils en barre sur le front, une grandissante mauvaise humeur faisant seulement flamber d’un éclat plus vif son petit œil clair enfoui sous ses paupières plissées, chaque fois que son regard tombait sur les amas de raies, sur le grouillement de homards et de langoustes emplissant toute la cale du bateau, débordant jusque sur le plancher, où ils s’entassaient sous les plats-bords. Il semblait supputer en lui-même la grosse perte qui allait en résulter pour ses hommes, pour lui, s’il s’attardait encore à Sein.
Peu à peu des grognements sourds commençaient à s’échapper de ses lèvres, au fur et à mesure que la journée s’avançait, sans que la même grosse voix de tempête cessât ses hurlements, toujours là-bas, dans les vapeurs mystérieuses du sud-ouest.
Malgré son calme habituel, malgré son ordinaire empire sur lui, des gestes à demi retenus prouvaient les débats intérieurs qui remuaient son âme. Bientôt il ne put se dominer davantage ; des syllabes jaillirent du fond de sa gorge, des mots, des phrases, où s’épanchaient sa rancœur, ses désillusions, sa souffrance morale, toute une obscure angoisse :
« Tout allait trop bien pour que ça continue, faut croire !… Si je n’amène pas mon poisson à Camaret, c’est autant à jeter à l’eau, et qui sait si on retrouvera ce coup de fortune !… »
Il s’agitait, ne pouvant tenir en place, se redressant à tout instant, une main en manière de visière au-dessus des yeux pour fouiller le large et mieux percer l’énigme de l’Atlantique.
Des découragements lourds le rejetaient sur son banc, avec la constatation douloureuse :
« Toujours pas de changement !… Ma pêche perdue, plus d’espoir !… Ça ne se

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