Le Bouscassié
126 pages
Français

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Le Bouscassié , livre ebook

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Description

Guillaume est un enfant trouvé par des vendangeurs sous la souche d'une vigne. Son enfance est misérable, il est délaissé par les hommes et s'attache plus aux animaux de la ferme qu'aux humains. Sa vie va basculer le jour où il rencontrera des bûcherons, qui lui apprennent leur métier. L'enfant découvre ses semblables et bientôt il connaîtra l'amour...


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 février 2015
Nombre de lectures 27
EAN13 9782365751971
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Léon Cladel



Le Bouscassié








À Pierre CLADEL, mon père,

À Jeanne-Rose MONTASTRUC, ma mère,

Parents, je vous dédie ce livre que j’écrivis,
entre vous deux, sous le toit familial.

LÉON-ALPINIEN CLADEL.

Paris, 27 Mai 1869.


Le Bouscassié



S’il est des chrétiens qui naissent tout vêtus, comme on dit en Quercy, le Bouscassié (bûcheron habitant les bois) n’a certes pas été du nombre. En 1845, des vendangeurs l’ayant trouvé sous une souche, nu comme un ver et venant de naître, le portèrent incontinent chez le curé de Saint-Guillaume-le-Tambourineur. Bien que la recherche de la paternité fût interdite alors comme elle l’est aujourd’hui, le curé fit, à ce sujet, une enquête des plus minutieuses et qui n’aboutit point. Après maints et maints discours en l’air et force allées et mille venues en tous sens, on avança trois ou quatre hypothèses et l’on finit par admettre la dernière et la plus vraisemblable : quelque fille des environs, jalouse d’anéantir la preuve de ses amours clandestines, avait sans doute, à peine délivrée, abandonné l’enfant. Encore humide de rosée et tout couvert de terre, il fut baptisé sans retard, afin qu’en cas de mort il pût se présenter en l’autre monde plus décemment qu’il ne l’avait fait en celui-ci. Comme il avait été relevé le jour de la fête et sur la paroisse de Saint-Guillaume-le-Tambourineur, on l’appela Guillaume ; et plus tard, pour le distinguer de ses divers homonymes, les paysans du lieu l’intitulèrent Inot, du nom même de la veuve Inot décédée sans progéniture, et à laquelle appartenait la vigne où, par un soir pluvieux d’automne, il avait été ramassé plus mort que vif. « Il va s’envoler, c’est un ange », avaient pronostiqué, le voyant prêt à rendre l’âme, ceux qui l’avaient recueilli.
Mais à peine ondoyé, le nouveau Guillaume, né sournois sans doute, n’eut plus l’air de vouloir s’en aller là-haut et se mit dès lors à vivre ici-bas avec une opiniâtreté d’orphelin. N’ayant pour toute fortune que ses émoluments de fonctionnaire ecclésiastique et les légumes du potager confinant au presbytère, le curé de Saint-Guillaume, après avoir nourri durant quelques mois l’enfant à la fiole, tantôt avec du lait de vache et tantôt avec du lait de chèvre, parla tout à coup de le transporter à l’hôpital de Moissac. « À la longue, disait-il, il achèverait de boire toutes mes messes et me mangerait, toutes crues, et l’aube et l’étole. »
Oyant par hasard ce propos, un tailleur de pierres qui réparait l’architrave de l’église paroissiale, affirma que, si l’on voulait lui confier « la petite bête », il s’en chargerait avec beaucoup de plaisir et la garderait tant qu’elle aurait envie et besoin de téter. Attention ! il y avait eu moins de piété que de calcul en cette proposition, et celui qui l’avait faite était un malin.
Il possédait une belle chienne de garde dont la portée était morte et que le lait tracassait à tel point qu’on avait dû, pour la soulager, lui mettre un collier de bouchons de liège, « et si cela ne suffit point à la guérir, avait prononcé le mage, il n’y a pas d’autre moyen de la sauver que de la traire abondamment et d’heure en heure, matin et soir ».
Ayant donc emporté le petit que, pour dire vrai, le prêtre avait béni de grand cœur, le tailleur de pierres s’avisa de tenter aussitôt cette très singulière expérience d’une chienne allaitant et faisant vivre un enfant, et le nourrisson sauvegardant la nourrice en la tétant.
Or, l’aventure réussit à merveille : la chienne se tira d’affaire, et l’enfant, gros et gras et turbulent, grommela bientôt comme un jeune dogue. En vérité, la chose était surnaturelle et valait qu’on la propageât. On n’eut garde d’y manquer ; on clabauda si fort que Le Courrier de Tarn-et-Garonne consigna le fait et y vit la main de Dieu ; les facultés crièrent à l’impossible et les thaumaturges au miracle ; NN. SS. les évêques de Cahors et de Montauban, et S. E. le cardinal-archevêque de Toulouse lui-même en écrivirent au pape, et S. S. Pie IX, récemment élu, réunit le Sacré-Collège, où il fut sérieusement question de canoniser le bienheureux Guillaume le Tambourineur, qui devait bien être pour quelque chose dans le prodige.
Et, tandis que la rumeur allait grandissant et faisait le tour du monde, grâce aux clairons de la presse ultramontaine, l’enfant qui n’en pouvait mais s’acharnait à vivre et poussait dans son coin. Ayant délaissé le marteau pour la charrue, son premier outil, le tailleur de pierres, qui trouvait de plus en plus aimable la petite bête, s’en amouracha si bien que, même après l’avoir sevrée, il ne voulut point s’en séparer encore. Par instinct, sans doute, elle redoubla de gentillesse, la finaude ! Avisée et bien avisée, elle courait dans les jambes de son maître, s’y frôlait avec des cris inarticulés et doux, s’exprimant au mieux, car n’ayant que très rarement entendu la voix humaine, elle n’avait aucunement appris à parler.
Il avait trois ans, Guillaume, et ne savait pas dire papa, maman, ces deux mots si gentils et si tendres, les premiers qui sortent du berceau. Barbotant dans la mare avec les canards et les oies, rampant sous les bœufs pensifs devant la crèche, fréquentant la chienne qui l’avait allaité, tantôt marchant à quatre pattes comme sa mère de nourrice, et tantôt sur deux avec des allures de volaille, il se dirigeait à l’instar de ses compagnons qu’il avait pris pour modèles. Il mangeait à la manière canine, accroupi sur le ventre, grognant. Il hennissait comme le cheval et ricanait comme l’âne. Il se désaltérait à l’auge, ainsi que les porcs. Ses regards étaient parfois énigmatiques et graves comme ceux du bœuf, et parfois perfides et phosphorescents comme ceux du chat. Il savait bondir, grimper, ramper, montrer la griffe, découvrir la dent, soulever la croupe. Il digérait le foin et la paille aussi bien que le pain. Il avait peur de l’homme. Il redoutait la nuit. Il aimait le grand air et le soleil, l’enfant trouvé.
Hélas ! ses tribulations étaient loin d’être finies. Un beau matin, l’ancien tailleur de pierres, malade, ne se leva point. En vrai fils du Quercy qu’il était, il n’appela ni le médecin ni l’apothicaire, et se laissa ronger par la fièvre, claquemuré dans sa cabane, espérant toujours que le mal passerait. Ils passèrent ensemble.
Le cadavre qui partout attire les corbeaux appela les héritiers. Ils accoururent en foule et de toutes parts. En un clin d’œil la maison fut mise à sac. Qui s’empara des bœufs, qui du porc, qui de l’âne, qui de la chienne de garde, qui des meubles, qui des provisions, qui des ustensiles du défunt ; un retardataire enleva la toiture, un autre abattit la moitié de la bâtisse et s’en appropria le moellon : au dernier la palme ! il voulut mais ne put emporter le terrain ; en somme, chacun se fit arbitre de ses prétentions en attendant que, selon la règle, le tribunal se mît enfin de la partie et prononçât le droit.
Personne ne voulut de l’enfant, cela va sans dire. On le laissa s’arranger à sa guise avec les araignées, les cloportes et les rats, seul entre les quatre murs à nu de la chaumière découronnée. La faim l’en fit bientôt sortir. Il vécut alors comme il put, battant les campagnes, errant, recevant de loin en loin un morceau de pain, se nourrissant de fruits, de racines et de cèpes qu’il trouvait sur son passage, couchant à la belle étoile, abandonné, solitaire et farouche. Il fallait manger tous les jours cependant, et la charité publique ne lui fournit bientôt pas assez de pain pour cela. Que faire ? Inot alla chez un vieux taupier qui parfois lui avait donné l’hospitalité dans sa hutte, et celui-ci lui montra la manière de tendre des pièges et d’y prendre éperviers, furets, belettes, taupes, fouines, faucons, loutres, buses, chouettes et renards. En quelques leçons le petit apprit tout ce que savait son maître et puis il pratiqua pour son propre compte.
On le vit bientôt après aller se pavanant à travers hameaux et villages ; il avait à la main une perche où pendaient les dépouilles de plusieurs sortes de bêtes à bon droit considérées comme très nuisibles et très malfaisantes entre toutes, et soufflait, rose et jouf

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