Le Moulin Blant
82 pages
Français

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Le Moulin Blant , livre ebook

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Description

Ils étaient sur le trottoir de la place à l'encognure du Minage, la petite rue qui mène à la Halle, où l'on danse à toutes ces Saint-Martin. Bras dessus bras dessous, ils rentrèrent au grand bal, au bal commun à moitié vide, ouvriers et charretiers des fermes et villages voisins, la plupart en blouse et en casquette servantes, toute leur humble toilette étalée, aux chapeaux fleuris de gros rouge comme leur teint ; clercs et jeunes gens de la ville et quelques jeunes officiers en bourgeois, avec les couturières, les petites des magasins, beaucoup jolies, éveillées, heureuses de cette joie pimpante et facile des grisettes que la province conserve encore. Une dizaine de quadrilles isolés, quand tout à l'heure on ne pouvait point se remuer. Sur les bancs, des groupes également rares, rangés par villages, les garçons un bras à la taille de leur voisine, le menton sur leur épaule, les attirant, leur chauffant le cou de leurs propositions de départ, les braves filles au sang épais peu à peu s'apprêtant, luisant des yeux, des joues, des lèvres, acceptant de les suivre sans dire oui. Et les couples à la file quittant la salle, enlacés d'avance, tranquilles à leurs baisers comme si ç'avait été déjà autour d'eux la grande plaine déserte et la nuit. » Le Moulin Blant est de la veine de ces beaux romans sociaux qui nous décrivent la vie et les mœurs d'un terroir il y a cent ans. Les personnages et l'intrigue ne gâchent rien. Le Moulin Blant est de ces romans que l'on aime relire et qu'on apprécie encore mieux la seconde fois.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 février 2015
Nombre de lectures 30
EAN13 9782365751995
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Émile Dodillon



Le Moulin Blant








I


– Tu es sûre ?
– Dame !
– Tu l’as vu ?
– Oui, que je te répète. Comme je dansais avec Blaise, non, avec le grand Prieur.
– Prieur, lequel ?
– Le grand.
– L’aîné ?
– Non, le grand, c’est le cadet comme chez vous. Je dansais avec lui quand il me l’a montré en blaguant : « Regarde donc ton beau-frère, les yeux qu’il fait dans le bal des riches. Je vas finir par croire qu’il va avec l’idiote. – Tu es bête, que j’y réponds, y a pas que Julie par là. – C’est vrai, qu’il a repris, mais y a toujours que sur celle-là qu’il peut espérer dans le beau bal. »
– Il pouvait être à boire et que ça ne soit pas pour le beau bal.
– Mon Dieu, que tu es drôle ! Puisque je te dis que si, na. Y ne buvait pas. Même qu’il était assis à moitié sur une table sans rien dessus, et les coudes sur le treillage de la barrière pour mieux regarder de tous ses yeux.
– Seul ?
– Tu m’ennuies, à la fin. Oui, na, seul, oui, oui ! Vrai, t’en faut faire des ramanances ! Viens-y plutôt voir.
– Voilà une heure que je te le demande. Rentrons.
– Ah ! le carottier ! Et mes biscuits ?
– En nous en allant.
– Partons. Il ne pleut plus.
– Oui, mais faut que j’y parle. J’ai toujours pas monté sur les chevaux de bois.
– En nous en allant.
Ils étaient sur le trottoir de la place à l’encognure du Minage, la petite rue qui mène à la Halle, où l’on danse à toutes ces Saint-Martin. Bras dessus bras dessous, ils rentrèrent au grand bal, au bal commun à moitié vide ; ouvriers et charretiers des fermes et villages voisins, la plupart en blouse et en casquette servante, toute leur humble toilette étalée, aux chapeaux fleuris de gros rouge comme leur teint ; clercs et jeunes gens de la ville et quelques jeunes officiers en bourgeois, avec les couturières, les petites des magasins, beaucoup jolies, éveillées, heureuses de cette joie pimpante et facile des grisettes que la province conserve encore. Une dizaine de quadrilles isolés, quand tout à l’heure on ne pouvait point se remuer. Sur les bancs, des groupes également rares, rangés par villages, les garçons un bras à la taille de leur voisine, le menton sur leur épaule, les attirant, leur chauffant le cou de leurs propositions de départ, les braves filles au sang épais peu à peu s’apprêtant, luisant des yeux, des joues, des lèvres, acceptant de les suivre sans dire oui. Et les couples à la file quittant la salle, enlacés d’avance, tranquilles à leurs baisers comme si ç’avait été déjà autour d’eux la grande plaine déserte et la nuit.
Mélanie s’assit entre Zoé Prieur et Maria Cheviot, deux de ses camarades de La Bretonnière, village à un kilomètre de la ferme de ses parents.
– Tiens, on te croyait partie avec Sosthène.
– Non. Elle était bien sortie avec lui, tirer des macarons, mais il avait voulu parler à son frère.
– Évariste ? Ah il est amusant, dans le beau bal, à lorgner l’idiote comme le chien d’un récalleux à la porte d’une soupière.
Mélanie poussa le coude de Zoé pour lui montrer que Sosthène pouvait les entendre. Celui-ci en effet attendait auprès d’elles que le quadrille fût fini pour traverser le bal et aller retrouver son frère à la buvette du fond.
Une heure du matin sonnait, et les huit musiciens de l’orchestre, en train depuis la tombée du soir, ne jouaient plus guère qu’en se relayant par moitié, sommeillant ; le premier violon, un gros court, calait souvent son nez sur son instrument, l’instrument sur son bedon, et s’affaissait alors ; la cymbale ou le trombone jetant l’éclat d’un rappel, tous se secouaient, grattaient, soufflaient, et c’étaient des soubresauts d’accords furibonds pareils à ces pétarades de fugitives étincelles dont se ranime parfois un feu quasi éteint.
Évariste, assis comme l’avait vu Mélanie sur une table vide, les coudes à la barrière, ne s’inquiétait que du beau bal et pas le moins du monde des arrêts de la musique. Sosthène lui mit la main sur l’épaule et lui demanda ce qu’il faisait.
– Rien, tu le vois ben, je regarde.
– Ce que je vois, reprit Sosthène, c’est que tu as toujours les mêmes idées. Tu as tort, frère.
– Fiche-moi la paix, gronda bas Évariste, je ne me mêle pas de tes affaires.
– Tu n’as pas besoin de t’en mêler pour les savoir, frère, puisque je te les raconte. Je m’en allais avec Mélanie.
– La Aubé ?
– Tu sais ben que je n’en connais pas d’autre. Pourquoi éveiller nos parents chacun notre tour ? Rentre avec nous.
– Soit, mais quand leur drôle de danse de par ici sera finie.
Sosthène s’assit sur un tabouret.
Cette partie gauche de la halle, plus étroite que l’autre, dont elle est séparée par des tentures à bandes rouges et jaunes, contient le beau bal, le bal riche, à deux francs par cavalier ; jeunes fermiers et fermières des environs, trois ou quatre sous-officiers sanglés dans la tunique d’uniforme, les cheveux en ailes sur le front et la moustache trop parfumée, et quelques jeunes gens de la ville passant d’un bal à l’autre, ceux qui par leur profession ont à faire dans les fermes et à y plaire, fils de bouchers et de grainetiers, clercs d’huissiers ou de notaires devant s’établir en Brie et soignant la clientèle future. On danse le quadrille croisé, les lanciers. La salle est mieux décorée, les bancs recouverts de toiles peintes; des drapeaux et des oriflammes sont accrochés à la charpente de fer. Les jeunes filles ont leurs mères causant sur les banquettes et près desquelles les danseurs les ramènent ; les très jeunes, sorties du pensionnat aux dernières vacances ou depuis un an, fraîches, encore vives et à l’aise dans leur toilette, leurs gants et leurs révérences ; les plus âgées, hâlées, taille alourdie, démarche engoncée, et les gants surtout, les gants craqués aux joints, les doigts roides et boudinés, le poignet bourrelant par-dessus le dernier bouton. Quant aux jeunes fermiers, sauf aussi l’empêtrement des gants, de la redingote étroite et des cheveux trop plaqués et pommadés par l’exagération des plus nouvelles modes, ils sont gaîment solides, la pourpre du teint amoindrie par la franche tannure des charrues en plein air ; et la plupart, dégourdis par l’année de volontariat, ont de fréquents regards vers l’autre bal, attendant avec une impatience mal dissimulée le départ de leurs sœurs pour courir à leur tour faire sauter les petites couturières. L’orchestre est échafaudé entre les deux bals, moitié dans l’un, moitié dans l’autre. Les quinquets, à de longues tiges descendant du haut toit perdu dans l’ombre, commencent à grésiller, et leur lumière diminuée vacille au vent des quadrilles et semble faire trembler les inscriptions en grosses lettres noires sur les murailles plâtrées de la halle : Orge, Avoine, Méteil, Froment, l’adresse d’un marchand de toile à sac, le tarif pour la vente des veaux.
Sosthène, ayant suivi les yeux de son frère, le vit ne s’intéresser, dans sa longue et silencieuse contemplation, qu’à une jeune fille ne dansant pas, assise au bord du banc, juste sous l’enseigne Avoine, entre une jeune femme et une vieille, et qui lui rendait son attention inquiète, ses regards longs et silencieux. Maigre, sans poitrine, les joues creuses, les mains nues et blanches, les sourcils étrangement épais, la chevelure en bandeaux plats terminés par des nattes arrondies des tempes au chignon, elle eût instantanément fixé la curiosité d’un peintre, d’un fureteur parisien égaré dans cette fête de provinciaux, d’un seul coup de ses prunelles noires, profondes, ouvertes, immobiles des minutes qui semblaient des heures, comme dans un noiement d’extase mystique, ou au contraire agitées de fluctuations continuelles. Et comme si la vue de cette jeune fille, vue en laquelle son frère s’absorbait, lui eût fait mal, Sosthène détournait la tête et causait à des camarades, danseurs et danseuses du bal commun faisant mousser leurs verres de limonade à une table à côté.
– Trinques-tu, Sosthène ?
– J’en sors.
– Regarde donc la belle femme, lui disait une des buveuses.
Au bout, à une table, très entourée, une fille de la ville déployait ses bénéfices

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