Le printemps désespéré : vies d Algériens
176 pages
Français

Le printemps désespéré : vies d'Algériens , livre ebook

-

176 pages
Français

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1985
Nombre de lectures 11
EAN13 9782296313071
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ecritures arabes
Collection dirigée par Marc GontardCollection Ecritures arabes
1 BAROUDIAbdallah, Poèmes sur les âmes mortes.N°
2 ACCADEvelyne, L'excisée.N°
3 ZRlKA Abdallah, Rires de l'arbre à palabre. Poè-N°
mes.
4 La parole confisquée. Textes, dessins, peinturesN°
de prisonniers politiques marocains.
ABA Noureddine, C'était hier Sabra et Chatila.
5 ABA L'annonce fait à Marco ou AN°
l'aube et sans couronne. Théâtre.
6 AMROUCHEJean, Cendres. Poèmes.N°
7Jean, Etoile secrète.N°
8 SoUHEL Arys, Moi ton enfant Ephraïm.N°
9 BEN Myriam, Sur le chemin de nos pas. Poè-N°
mes.
N° 10 TOUATIFettouma, Le printemps désespéré.
@
L'Harmattan, 1984
ISBN: 2-85802-391-0Fettouma Touati
Le
printemps
désespéré
Vies d'Algériennes
Editions L'Harmattan
5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique
75005 ParisCollection Ecritures arabes
Cette collection se propose d'accueillir des
textes arabes de langue française, qu'ils viennent du
Maghreb ou du Machrek, ainsi que des textes
traduits de l'arabe.
Il s'agit, avant tout de donner aux jeunes
auteurs la possibilité de s'exprimer en
contournant le pouvoir des groupes d'édition pour
lesquels compte surtout l'impact commercial du
texte littéraire.
Dans cet esprit, nous nous attacherons à
découvrir de nouvelles écritures, romanesques
ou poétiques, de nouveaux modes d'expression
capables d'ébranler les formes sclérosées du
discours littéraire dominant.
Aux auteurs plus connus ou déjà célèbres,
nous donnerons la place qui leur revient dans la
mesure où leur renom reste étranger à toute
application de recettes à succès, sommaires et
démagogiques.
Nous nous efforcerons enfin de faire entendre
toute voix capable de transmettre une parole,
une expérience, un vécu dont la force émotive
excède l'écriture elle-même.
Marc GontardVa dans ta chambre, ordonne à tes
servantes d'aller à leur besogne. La
parole est l'affaire des hommes, la
mienne surtout; car c'est moi qui suis
le maitre dans la maison.
L'Odyssée. Télémaque répondant à sa mère Pénélope.Faroudja
Abdelkader et Sekoura eurent en tout douze enfants. Cinq
moururent en bas âge. Un garçon fut emporté par le typhus,
mais la mère prétend que c'est le mauvais œil d'une !ennemie
qui tua son fIls. Deux filles mariées, .mères d'une nombreuse
progéniture vivent à Alger. Une autre fille, Djohra, veuve à
vingt-quatre ans et mère de trois enfants: Salah, Yasmina,
Fatma. L'avant-dernier fIls de Sekoura, Saïd vivait en France
avec sa femme Aïcha. Le benjamin, Mohand, revint du
maquis à demi fou.
Dès que Mohand manifesta le désir d'aller au maquis, sa
mère lui dit:
- Tu vas te marier, ainsi si je te perds, il y aura tes enfants
pour prolonger ta vie.
Mohand était beau. D'une beauté délicate. Il était très grand,
mince, presque maigre. Des cheveux très noirs ondulés, une
peau blanche. Sa femme, Faroudja, était brune, de taille
moyenne, avec d'immenses yeux dorés, très doux; d'ailleurs,
elle était très douce, n'élevait jamais la voix. Bien qu'elle ne vit
son mari que le jour de la noce, elle tomba amoureuse de lui
tout de suite.
Mohand partit au maquis, très souvent il revenait voir sa
jeune femme. Ils eurent une fille qu'ils appelèrent Fatiha. De
nouveau une fille Nadia. Enfin, à la grande joie de tous,
naquit un garçon. Suivant la coutume kabyle, on l'appela
comme le grand-père: Abdelkader.
Mohand fut emprisonné, torturé. Il fut libre à
l'Indépen7dance. La guerre, le sang, la torture, la faim, rendirent à
Faroudja un mari presque fou. Il restait silencieux des heures
entières, les yeux grand ouverts, perdu dans des pensées au
goût âcre de sang. Parfois, les mains sur les oreilles, il hurlait
comme une bête que l'on égorge. Les enfants, au début le
regardaient sans frayeur, trouvant sympathique qu'un adulte
hurle de la sorte. Quand une crise survenait, leur mère les
chassait de la pièce, fermait la porte, essayait de sa voix douce
de calmer le malade.
- Allons! allons! Mohand, calme-toi! Tu effraies tes
enfants... Attends, je vais te mettre du vinaigre sur le front...
tu verras, cela. ira mieux. Allons! calme-toi! Préfères-tu une
tisane? Les voisins vont t'entendre... Tu veux qu'ils t'appellent
le fou? Tu veux qu'ils se moquent de nous?
Parfois au son de cette voix si douce, si lasse, Mohand se
calmait. Parfois on entendait des bruits de lutte. Abdelkader
accourait pour maîtriser son flis. Faroudja sortait de la pièce,
échevelée, fatiguée. Alors, la peur gagna les enfants. Ils se
tenaient tous les trois serrés les uns contre les autres.
Silencieux, les yeux ouverts sur cette vie qu'ils ne comprenaient
pas.
Leur mère ne remarquait pas leur frayeur. Ils étaient sages,
c'était tout ce qui importait.
Le père ne pouvait travailler, le grand-père prenait de l'âge,
mais « il bricolait» comme il aimait à dire. Ce qui signifiait
que de temps en temps il ramenait quelques pièces à la
maison. L'oncle Saïd avait neuf enfants à nourrir. Même s'il avait
éprouvé l'envie d'aider ses parents, Aïcha, sa femme aurait
refusé. Elle était d'une rapacité monstrueuse, ses propres
enfants manquaient du strict nécessaire.
C'était Sekoura et Faroudja qui faisaient bouillir la marmite.
Depuis le début de la guerre, tous ceux qui partaient pour un
monde meilleur étaient lavés par Sekoura. Elle recevait en
remerciement des vêtements ou quelques pièces. Souvent, elle
était appelée pour aider à la naissance d'un enfant. On lui
donnait des œufs, de la semoule, qu'elle ramenait précieusement à
la maison.
Faroudja, elle, de l'aube au crépuscule, bêchait, ratissait,
plantait, arrosait. L'hiver, elle ramassait les olives des riches.
Pour paiement, elle recevait quelques litres d'huile. L'automne,
8elle ramassait des couffms de glands qu'elle vendait pour
quelques pièces aux plus fortunés. Ces glands étaient destinés à
leurs moutons.
Parfois elle se levait à cinq heures du matin et ramassait
dans la forêt d'énormes fagots de bois pour les bourgeoises du
village, qui, elles, ne sortaient pas. Elle revenait vers onze
heures. Des gouttes de sueur dégou1inaie~t de son front, puis le
long de sa joue et allaient se perdre sur sa poitrine ou dans la
poussière. Perles de sueur! perles de souffrance! le diamant
du pauvre. Triste Faroudja, de son mariage elle n'aura connu
qu'un mois de vrai bonheur. Au plus fort de la guerre, quand
il n'y avait pour vaincre la faim qu'un couscous noir fait de
glands séchés et moulus, que même les moutons des riches
n'auraient pas voulu, ce couscous ne l'avait pas tant humiliée
que la certitude de n'avoir jamais plus un mari normal. Elle
pensait que l'on s'habituait à tout. L'irrémédiable. L'horrible.
Et elle ne s'habituait pas. C'était une mutilation de sa vie de
femme. Une mutilation dans la vie de son mari qu'elle avait
connu si doux !... si doux !... comme maintenant quand il n'a
pas de crise. Maintenant... il y a l'angoisse: va-t-il avoir une
crise! aujourd'hui ?.. Dans huit jours ?... Demain?
Attention qu'il n'y ait pas de couteau près de lui !... Attention !...
Attention !... Toujours attention... Elle en avait assez de faire
attention. Attention à la guerre. Attention, il n'y aura rien à
manger demain... Attention le petit marche presque nu...
Pour que ses enfants mangent à leur faim et soient à peu
près vêtus, le soir, à la chandelle, elle usait ses yeux à
confectionner des ceintures (agouss (1) ) qu'elle revendait aux futures
mariées. Plus elles étaient chatoyantes, plus elles étaient chères.
Les enfants poussaient. Fatiha avait maintenant huit ans.
Quand sa grand-mère lavait les morts, sa mère aux champs,
les tâches ménagères lui incombaient, la garde du petit dernier
et de Nadia.
L'état de Mohand empirait. Sa mère ramenait des
marabouts, des guérisseurs, tous plus onéreux que des médecins.
Abdelkader l'emmena d'hôpitaux en hôpitaux. Les psychiatres
refusaient de le garder. Les hôpitaux psychiatriques étaient
surpeuplés.
(I)

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