SPECTRE SEUL ........................................................................3
NOTRE-DAME LA GUILLOTINE............................................ 7
LE SPECTRE ROUGE............................................................. 16
LE NAVIRE DE JULES CÉSAR..............................................22
DANS LE VENTRE DHUITZILOPOCHTLI ..........................29
À propos de cette édition électronique ...................................36
1 SPECTRE SEUL
LOmbre semblait pleuvoir avec les fluides hachures dune averse qui fuyait interminablement dun ciel enfumé, pareil de ton au ciment noirci par de terreuses infiltrations, comme si cette indigente ruelle et toute la maussade ville provinciale elle-même eussent été construites sous les voûtes fangeuses de quelque réservoir souterrain. Déjà la nuit se blottissait aux an-gles de la triste salle de café où jétais assis, une maladroite et rougeaude bonne nen finissait pas de remonter avec une foule de bruits agaçants une demi-douzaine de lampes grin-çantes, et je baillais mortellement, endolori par le tambourine-ment monotone des gouttes sur les vitres et le sourd patauge-ment des passants hâtés parmi les flaques deau sale. Bientôt je maperçus que depuis longtemps déjà mes yeux distraits sétaient fixés sur un homme à la physionomie chagrine qui, comme moi, semblait plongé dans le plus nau-séeux désuvrement. Ayant considéré attentivement pendant que jétais moi-même lobjet dun pareil examen son front dé-garni, ses prunelles décolorées, ses paupières rougies et plissées dune infinité de menues rides, sa lèvre inférieure pendante et son envahissante barbe grise, je fus saisi dune soudaine pitié et, presquau même instant avec une fulgurante rapidité jeus la conscience de posséder au moins passagèrement linexplicable pouvoir de mimmiscer aux plus intimes senti-ments de linconnu et de midentifier avec la substance de ses afflictions.
1Nouvelle parue en octobre 1892 dans la revueLArt social.