Le Tour du monde en vélocipède
167 pages
Français

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Le Tour du monde en vélocipède , livre ebook

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Description

Extrait : "Il ne faut pas être excessif. La Fontaine disait : « Rien de trop. » La Bruyère et La Rochefoucauld ont soutenu des thèses pareilles. Mais Jonathan Shopp n'était pas de leur avis. Les plus sages raisonnements, les dilemmes les plus serrés échouaient devant l'enthousiasme naturel de son caractère. Il s'entraînait, pour ainsi dire, et se grisait de ses idées. Il fallait cet entêtement indomptable à cet excellent cœur, pour que le Vélocipède, aux premiers jours de..."

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 36
EAN13 9782335043136
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335043136

 
©Ligaran 2015

Il ne faut pas être excessif. La Fontaine disait : « Rien de trop. » La Bruyère et La Rochefoucauld ont soutenu des thèses pareilles. Mais Jonathan Shopp n’était pas de leur avis. Les plus belles leçons morales, les plus sages raisonnements, les dilemmes les plus serrés échouaient devant l’enthousiasme naturel de son caractère. Il s’entraînait, pour ainsi dire, et se grisait de ses idées. Il fallait cet entêtement indomptable à cet excellent cœur, pour que le Vélocipède, aux premiers jours de sa création, eût son martyr.
Il y a près de dix-huit mois qu’un industriel célèbre, le Napoléon du Vélocipède, – ce nom le désigne suffisamment, – reçut la visite du brave Jonathan Shopp, Américain pur sang, Yankee jusqu’au bout des ongles, dont la richesse et la signature étaient connues dans les deux mondes. Les dollars frémissaient au grincement de sa plume. Grand, sec, nerveux, fier de ses libertés nationales, Jonathan incarnait en lui le type de ces fiers républicains qui se sentent maîtres de l’avenir. Dans son allure, dans ses paroles, on admirait cette noblesse un peu flère qui résulte de l’exercice incontesté des droits de l’homme, et auprès de laquelle les morgues aristocratiques ou militaires sont si mesquines.


Toutefois, Jonathan n’était pas parfait, et, loin d’en faire un héros de roman, nous avons dévoilé les défauts de sa riche nature. Il mettait une obstination absurde nu service de ses caprices, – je dirais presque de ses lubies, sans le respect qu’on doit à un millionnaire. On s’apercevait qu’il coulait dans ses veines un vieux reste de sang anglais, qui bouillonnait à ses heures, et où l’on retrouvait les violences du sang normand mêlé de saxon. Ainsi les vins coupés, dit-on, fermentent plus facilement que ceux d’origine pure, À tout prendre, nos voisins de la Manche, toute révérence gardée, ne sont qu’un alliage français qui date de Guillaume le Conquérant.
Le directeur de la fabrique de Vélocipèdes reçut l’étranger avec beaucoup de courtoisie et s’informa du motif de sa visite. Sur sa demande, les plus beaux modèles de Vélocipèdes lui furent montrés ; mais il secoua la tête, comme s’il les trouvait insuffisants.
– Ce n’est pas cela, dit-il, et cependant c’est ce que j’ai vu de mieux jusqu’à présent. Essayez de comprendre mon idée. Vous ne répugnez pas, je suppose, à exécuter des Vélocipèdes de commande ?
– Non, sans doute.
– À la bonne heure. Vous voyez que je suis de haute taille. Je voudrais un Vélocipède de première grandeur, forgé d’un métal solide, souple et tenace à la fois, capable de résister à des chocs imprévus, à des fatigues extrêmes. Son poids peut être porté à trente ou quarante kilogrammes. Je vous indiquerai des perfectionnements, des aménagements spéciaux. Le prix, je vous prie ?
– Mille francs.
– Hum ! fit l’étranger…
Il y eut un silence. Le marchand crut que son chiffre paraissait trop élevé et entreprit de le défendre. Mais l’Américain l’arrêta aux premiers mots :
– Ce n’est pas cela, dit-il ; j’y mettrai le prix que vous voudrez. Mais je crois que vous ne m’avez pas compris.
– En effet, dit le fabricant, j’ai eu un moment de distraction dont je vous demande pardon. Je devine ce qu’il vous faut. Le siège de votre Vélocipède et ses barres de suspension seront forgés en vermeil, à un peu plus d’un dixième d’alliage, ce qui les rendra plus résistants que le métal des monnaies. Une doublure d’acier et un système d’articulations que j’imagine donneront à l’appareil une élasticité parfaite. Les moyeux des roues seront en acier de Norwége, forgé après la trempe, d’après les nouveaux procédés médaillés à la dernière Exposition. Les essieux seront en platine, ainsi que la barre du gouvernail. Quant aux poignées, nous les ferons simplement en argent, au titre des pièces américaines. Mais il sera facile de les orner de quelques diamants, rubis, saphirs ou topazes, pour faire ressortir le fini du travail.
– Non, dit Jonathan, je ne tiens qu’à la solidité.
– Nous nous contenterons alors d’un Vélocipède simple, exécuté dans tes conditions que je viens de développer. Pour vous faire un prix rond, vous le paierez vingt mille francs.
– Très volontiers, dit Jonathan, mais vous me servirez en conscience.
– Assurément, dit le marchand, quand je demis y mettre du mien.
– Il me reste, dit l’étranger, à vous donner quelques instructions particulières.
Les deux interlocuteurs entrèrent dans un cabinet voisin, et le digne Shopp exhiba au fabricant quelques dessins dont il lui expliqua longuement les détails.
– C’est entendu, dit celui-ci ; je comprends parfaitement ; votre machine sera prête dans deux mois.
– Dans deux mois, soit. J’y compte, dit Shopp en prenant congé.
Je crois inutile d’entrer dans les détails de fabrication de cet appareil. Cela ne pourrait intéresser que les gens du métier. Le fabricant craignit plus d’une fois d’avoir demandé trop peu de temps. Le travail du platine présenta des difficultés singulières, et ne put s’exécuter qu’à l’aide d’un chalumeau à gaz oxygène et hydrogène, d’un modèle nouveau, de l’invention d’Aristide Roger. Toutefois, le Véloce fut prêt deux jours avant le terme fixé, – mais le fabricant se plaignait amèrement d’avoir mal calculé son prix de revient et de solder l’opération en perte. Ce sont les chances du commerce.
Jonathan fronça les sourcils, quand on lui présenta son Vélocipède poli, brillant et reluisant au soleil qui faisait étinceler ses arêtes. Il le fit peindre, séance tenante, d’une couleur grise uniforme, et annonça qu’il viendrait le prendre, le surlendemain. L’essai du véhicule se fit aux Champs-Élysées. Jonathan fut content, paya le marchand, et donna quelques louis au garçon. Après quoi, il enfourcha la machine et se dirigea vers le Grand-Hôtel où il était descendu.
Je connaissais Jonathan pour lui avoir prêté de l’argent, – en omnibus, – un jour qu’il avait oublié sa bourse. Il me doit même encore les six sous que je lui offris ce jour-là ; – je ne les lui reproche pas. S’il était pauvre, ce serait une autre affaire. Tel qui refuse dix centimes à un aveugle serait heureux de les faire accepter à M. de Rothschild.
Mais nous ne sommes pas ici pour faire de la philosophie. Après cette belle histoire de Vélocipède, je vis arriver Jonathan chez moi, la figure ouverte, l’œil clair, la face épanouie, se frottant largement les mains et riant en dedans.
– Eh bien ! lui dis-je, ce fameux Véloce ?
– Il est sous vos fenêtres, dit-il, et vous pouvez le voir d’ici. Je viens vous faire mes adieux, mon ami ; je pars.
– Vous partez, Jonathan ? Pour le bois de Boulogne ?
– Non, pas précisément.
– Pour où donc ?
– Je ne sais, dit-il en hésitant ; c’est une idée qui m’est venue ; je voudrais aller toujours tout droit au nord-est.
– En Belgique ?
– Plus loin. Venez-vous avec moi ? Il me faut acheter un sac de voyage, de l’extrait de Liébig, un almanach et un révolver.


– Vous allez en Prusse ?
– Plus loin. Il me faut aussi des fourrures.
– Vous allez en Russie ?
– Plus loin. Au reste, ajouta-t-il avec un grand sang-froid, je n’ai pas de secret pour vous. Vous savez comment je conduis un Vélocipède ? Je ne suis pas embarrassé pour faire mes trente lieues par jour ; – j’ai envie de faire le tour du monde…
– En Vélocipède ?
– Oui, en Vélocipède.
– Vous rêvez, Jonathan.
– Pourquoi cela ? Je voudrais bien savoir qui pourrait m’en empêcher. Je suis vigoureux et je me porte bien ; le Vélocipède qu’on m’a fabriqué est d’une excellente allure ; je puis donc hardiment le charger de 30 kilogrammes de provisions et garder mes effets sur mes épaules. En choisissant des substances nutritives concentrées, telles que le pemmican, j’aurai devant moi trente jours d’aliments ; c’est de quoi faire un millier de lieues. J’aurai bien du malheur si, pendant un pareil trajet, je ne trouve pas à renouveler mes approvi

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