C'est pour mieux placer mes rides fiston

Yakoub Abdellatif

Description

La brise souffle en continu sur la gare abandonnée. Max, un vieil homme, attend le train. Il se rend à Délice, un village situé sur la côte, là où la mer n'a plus d'eau, cette source de vie. Délice, c'est le terminus. Max est forcé de se débarrasser de la dernière larme, sa fragilité. L'attente, c'est la vie, une sagesse où il faut cuisiner la distance. (...) La naïveté, c'est Sam, le jeune homme prétentieux qui défie Dieu. Il court après quelqu'un, quelque chose ou l'image. Max et Sam sont des tueurs à gages, il n'y a qu'un seul billet. Ils se retrouvent sur ce quai pour détruire.

Sujets

• Harmattan Littérature
• Littérature
• Pièce de théâtre

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 novembre 2011
• Nombre de lectures: 18
• EAN13: 9782296471955
• Langue: Français

Extrait

C’est pour mieux placer mes rides, fiston
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
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ISBN : 978-2-296-55109-1
EAN : 978229655109-1

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Yakoub Abdellatif


C’est pour mieux placer mes rides, fiston


L’Harmattan
À mon père Abdellah ABDELLATIF
Et à mon grand frère Haroun ABDELLATIF
qui ont pris le train.
À Malik TILLIER-ABDELLATIF et Adeline DURIEZ
qui attendent sur le quai les vagues d’émotions pour voir
si la mer a encore de l’eau, cette source de vie…
À ma femme


À Éric LAINE
Quand on est jeune, on a peur de ses parents.
Après, on a peur pour eux…

Ewa Lewinson

À ma mère
LES PERSONNAGES
2 comédiens.

Max
Sam


L’âge des comédiens n’a pas d’importance car l’homme peut être double. Vieux et immature, jeune et mature.
Il est intéressant qu’un des deux rôles soit tenu par une femme par souci d’égalité. Elle est homme aussi.
Tableau 1
Une gare.
Un léger vent.
Max, un vieil homme, est en train de cuisiner. Un petit réchaud à gaz posé à même le sol. Dessus, une cocotte minute.
Un autre homme plus jeune, Sam, arrive en courant, une valise à la main.


Sam
Monsieur, tu n’aurais pas vu passer un type qui courait ?

Max [Il répond sans se retourner]

Des types qui passent en courant, mon brave garçon, ce n’est pas ce qui manque ici, il y en a tous les jours.

Sam
Un gars de mon âge qui a un bouc de deux jours. Il a une casquette et puis un tee-shirt qui a des rayures blanches.

Max [Il se retourne]
Il se pourrait bien. Sur le dernier train, il y avait un drôle de lascar qui n’arrêtait pas de se retourner. Un mec bizarre avec des yeux en amande.

Sam
C’est lui.

Max
Je m’en souviens bien maintenant que tu le dis. Tu parles, il est arrivé comme un mufle pour me bousculer sans s’excuser. C’est que l’idiot, il a failli me faire tomber. Puis, aussitôt après, dès que son train s’est arrêté, il est monté dedans tête baissée et penaud comme un chien blessé. Si tu veux mon avis, ce type ne doit pas être très fier de lui puisqu’il se cachait le visage.

Sam
Il va où ce train ?

Max
Vers un petit village qui se trouve sur la côte, Délice. C’est une station balnéaire pas plus grande qu’un hameau. Pour te la décrire un peu, mes cinq doigts de la main suffisent pour compter ses habitants. [ Un léger temps ]
J’ai l’impression que c’est la providence qui t’envoie, tu tombes à pic. [ Il se retourne ] Tu ne veux pas m’aider à éplucher ces oignons, je n’y arrive pas, ils me font chialer comme une madeleine.

Sam
Je ne suis pas ta bonne, monsieur.

Max [ Il se retourne ]
Je te demandais juste un service.

Sam
Je n’ai pas que ça à foutre. C’est les horaires ?

Max
Il ne faut pas se fier à ce qu’il est écrit sur ce tableau. Ici, le règlement est particulier, les trains circulent toujours quand Dieu le veut.

Sam
Le prochain part à quelle heure ?

Max
Si lui haut nous prête vie, demain à la tombée de la nuit.

Sam
Quoi ! Ça ne va pas non ? Je ne vais pas poireauter ici jusqu’à demain.

Max
Tiens, goûte. [ Un léger temps ] Tu ne veux pas goûter ? [ Il suce son doigt ] Tu as tort, cette sauce est bigrement bonne.

Sam
Je n’ai pas envie.

Max
Qu’à cela ne tienne, mon brave garçon, j’ai l’habitude de goûter seul. Je t’avertis quand même, on ne sait jamais, des fois que tu aurais des regrets. Ne viens pas te plaindre par la suite. Tu connais le refrain, avant l’heure, ce n’est pas l’heure, après l’heure, ce n’est plus l’heure.
[ Un temps ]

Sam
Merde, merde et merde ! Trois fois merde ! [ Il jette sa casquette par terre et marche dessus ]

Max [ Il sursaute ]
Qu’est-ce qui te prend ? Tu m’as fait peur, idiot.

Sam
Fait chier !

Max
Hé, mon gars, il est hors de question que tu débarques ici pour briser le silence. Ici, on apprécie surtout le calme. C’est qu’on en a bien besoin pour lire et deviner le vent. [ L’assiette est vide. Max mime de manger tout en regardant Sam ] Délice, c’est le terminus, espèce de gamin. Ton pote ne pourra pas aller plus loin ! [ Il s’essuie les lèvres ] Ce n’est pas exagéré question piment. C’est même parfait. J’adore cette sauce. Je la tiens de ma mère. J’en fais pratiquement tous les jours et je l’étale ensuite sur le plat que je viens de cuisiner.
[ Un temps ].

Sam
Il y a un hôtel où je peux dormir dans le coin ?

Max
Qu’est que je ferais ici s’il y en avait un.

Sam
Même pas une auberge ?

Max
J’ai compris, je ne suis pas simplet. Non, il n’y a rien.

Sam
Qu’est-ce qu’on branle alors une fois qu’on est là ?

Max
Tu fais comme tout le monde. Soit tu fais marche arrière et tu avances à reculons, soit tu patientes pour voir si ton bonheur est au bout de ce quai [ Un temps. Sam fait les cent pas. Soudain, il repart et se ravise aussitôt ] Pourquoi tu le cherches ? C’est un membre de ta famille ?

Sam
C’est un ami.
[Un léger temps]

Max
Je ne te crois pas, fiston. Il n’y a pas d’amis dans la vie mais que des frères ou des ennemis. Alors, c’est oui ou c’est non pour ces oignons ?

Sam
Je n’aime pas comment tu me parles, le vieux, je ne suis pas ton fiston !
Et à l’avenir surtout, ce n’est pas la peine que tu espères quoi que ce soit. Le bénévolat, ça s’appelle un bonhomme volé. Où sont les toilettes ? J’ai envie de pisser.

Max [Il le regarde]
Là, derrière ce bâtiment. [Un léger temps] Hé fiston, tu m’autorises quand même à te le signaler : les toilettes fonctionnent comme toi, elles ne font rien de gratuit. Il te faut sortir une pièce et la mettre dans la fente de la porte pour réussir à l’ouvrir. [Sam va uriner. Il revient]. À tout hasard, tu n’aurais pas une pièce en trop, moi aussi, je ne tiens plus.

Sam
Tu n’as qu’à faire comme moi, pisse à l’extérieur.