La Psychanalyse du Duce
68 pages
Français

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La Psychanalyse du Duce , livre ebook

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Description

La fiction d'une psychanalyse d'un dictateur pour mettre en scène la réalité de l'Histoire. Les faits se situent en avril 1945, dans une Italie livrée au chaos. La Marche sur Rome hante encore pourtant le Duce à Salo, cette éphémère capitale de sa république fantoche. Déprimé, c'est son médecin qui lui conseille une psychanalyse. Une rencontre inattendue entre ce dictateur et ce psychanalyste juif de Rome. On y découvre un Mussolini comique, sympathique, cruel et désemparé. Les tyrans sont parfois sympathiques, c'est à ce titre qu'ils sont dangereux...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 108
EAN13 9782296699731
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA PSYCHANALYSE DU DUCE
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de I’ÉcoIe-polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11969-7
EAN : 9782296119697

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Roland Brunner


LA PSYCHANALYSE DU DUCE


Benito Mussolini (1883-1945)

Une mise en scène de l’histoire
Écrit 21
Collection dirigée par Alain Brun


Collection de littérature, Ecrits 21 reçoit des textes courts, offrant un regard et une lecture littéraire aux problématiques contemporaines. Essais, récits, poésie, théâtre, autant d’actes littéraires possibles, pour peu que le ronronnement cesse, et que se pose l’implication de la pensée de l’auteur.
Consultation
(Le 23 septembre 1943, la République sociale italienne est proclamée. La capitale est à Salo au bord du lac de Garde. La scène se passe dans le cabinet d’un psychanalyste romain de renom. Le bureau est constitué d’une grande pièce dans une villa patricienne. Marbres, copies de statues antiques. Un bureau-ministre, un fauteuil et un divan en velours rouge théâtre. Trois portes-fenêtres et un balcon donnent sur le lac.)

(3 avril 1945,17h. Un personnage important pénètre dans la pièce. L’homme a le crâne rasé, il est vêtu d’un costume croisé clair. Un visage à la fois bovin et porcin avec une mâchoire chevaline. Il a maigri si on le compare aux portraits de la propagande. Son allure est gauche, faussement martiale. Il se dirige vers le Dottore.)


Le Dottore
(Stupéfait, il masque sa surprise, se lève et va vers le visiteur en lui tendant la main.) Bonjour Monsieur. Asseyez-vous.


Le Duce
Je déteste les poignées de main, question d’hygiène… Je fais exception pour vous. Je reste debout. Je vois que vous êtes bien installé Dottore. Moi, je dois me contenter du bureau du maire. Enfin, vivement que le gouvernement déménage à Milan !

Vous voyez, je tenais absolument à vous rencontrer et faire avec vous, comment appelez-vous ça ? Ah, oui ! Une psychanalyse. Je ne sais pas trop à quoi ça consiste, mais mon médecin m’a dit que ça pouvait m’aider et faire du bien à mon estomac. Il en a bien besoin, ce régime m’épuise. Maudit ulcère. (Il frappe son estomac.)


Le Dottore
Oui ?

Le Duce
(Il fait le tour de la pièce.)

Mes services m’ont informé. Je sais tout sur vous. Vous ne vous appelez pas Lanfranchi, mais Marco Goldstein, vous êtes juif et votre cabinet était sur le l’Aventin. Vous avez appartenu au groupe d’Eduardo Weiss à Rome, via dei Gracchi. Weiss, mais pourquoi a-t-il fui aux Etats-Unis ? Il n’a pas voulu changer de nom. Bianco, ça au moins c’est italien ! Vous êtes courageux, vous n’avez pas déserté, vous avez changé de nom en graissant la patte d’un fonctionnaire. Ne protestez pas, je sais tout ! C’est la comtesse Ornella Sforza, qui n’avait pas trop de sympathie pour moi, qui vous a prêté ce palais pour vous permettre de disparaître de Rome sous un faux nom et vous faire un peu oublier. "Courageuse" la comtesse, elle est allée se réfugier à Lugano et vous a laissé les clés de son palais pour faire le gardien… (Un sourire narquois). (Ironique) Vous n’êtes pas trop à l’étroit avec ces vingt et une pièces et vos douze domestiques ? Deux sont payés par moi pour vous espionner. Vous voyez, je suis bien informé… Une vie de moine, malgré votre femme réfugiée en Suisse. La Suisse, c’est une manie, même quand j’étais jeune, je me suis réfugié en Suisse… Mais je n’étais pas un moine, les belles tessinoises ! (Rire graveleux)

(Il dévisage le Dottore, les mains sur les hanches.)
N’ayez pas peur, vous êtes sous ma protection. Gare à celui qui touche le moindre poil de vos cheveux. D’ailleurs, je n’ai rien contre les Juifs. C’est vrai, j’ai eu la faiblesse d’imiter Hitler après sa visite à Rome et de promulguer les lois antijuives. C’était une erreur, le peuple italien n’est pas antisémite. Heureusement que mon administration les a médiocrement appliquées. Mon armée répugnait à ces opérations de basse police. Vous comprenez, l’honneur militaire… Au début, vous ne pouvez pas savoir le nombre de Juifs qui ont adhéré au Parti fasciste. Vous savez que Margherita, ma maîtresse, était juive. Ça c’était une femme, une intellectuelle, une journaliste, nationaliste, spécialiste de l’art romain. (Silencieux) Mais j’ai dû l’écarter ; après les lois, je ne pouvais garder une Juive près de moi… Enfin, c’est du passé tout ça… (Pensif) Non, vraiment, l’antisémitisme m’a toujours semblé loin de moi. Je n’avais aucune imagination pour me plaindre des Juifs. Ils avaient même combattu courageusement dans nos rangs pendant la Première Guerre. J’ai dû trouver des plumitifs, des universitaires complaisants pour m’écrire un manifeste de défense de la race. Ils exaltaient la pureté du type physique italien, immuable, un physique qui doit être préservé de la souillure. Ils m’ont bien fait rire... (Sérieux tout à coup) Mais il a bien fallu chasser les Juifs de l’Armée, de l’Administration, du Parti fasciste et de l’Université. (Songeur) Beaucoup de psychanalystes sont juifs, n’est-ce pas ? (Le Dottore ne répond pas.) Trop de gens indispensables à la Patrie comme vous sont partis. Pourtant quand les Allemands ont occupé le Sud de la France, beaucoup de Juifs sont venus se réfugier chez nous, c’est un comble… (Songeur) Nice… Je me demande pourquoi on a donné Nice à la France… Nos cousins latins… Vous savez que j’ai été professeur de français ? Je suis entré en guerre à contrecœur contre la France. Ils ont été nos alliés après tout… Ils n’avaient qu’à pas être du mauvais côté ! (Il grimace.) Mais il faut bien l’avouer, les Français sont un peuple rongé par l’alcool, la syphilis et le journalisme… Je sais de quoi je parle, j’ai été journaliste…


Le Dottore
C’est peut-être vous qui êtes du mauvais côté ?

(Le Duce se retient pour ne pas éclater. Il se calme et se dirige vers le balcon, puis contemple le lac.)


Le Duce
Vous savez comment on surnommait ce lac dans l’Antiquité ? Il Benaco…

Ce lac me fait penser au lac Léman. J’aimais son allure marine. J’aimais ses lumières changeantes, le bleu, l’argent, le vers sombre. J’aimais ses tempêtes. J’aimais ces croisières sur les grands vapeurs blancs. Lausanne, la rade de Genève, le phare des Pâquis… J’aime les lacs, ça me calme, moi qui suis tellement impulsif. J’aimais la Suisse, je m’y suis enfui. C’était en 1902. Et dire que c’était pour échapper au service militaire. J’en ai honte maintenant. On ne m’a pas oublié là-bas et l’on m’a nommé docteur honoris causa à l’Université de Lausanne. (Songeur) Je me sentais bien aussi au Tessin, je parlais italien avec ma boulangère et ma crémière. J’avoue que j’ai eu l’idée d’annexer ce canton à la Patrie… Bon, mais c’est loin tout ça !

(Silence)


Le Dottore
Oui ?
Le Duce
Vous avez été un psychanalyste renommé à Rome. C’est pour ça que je viens vous voir. Je ne supporte pas la médiocrité. Vous devez faire quelque chose pour moi. Les derniers évènements m’ont épuisé. Malgré mon régime, mon estomac me fait de plus en plus mal. Ce doit être, comment dites-vous ? Ah oui ! Ce doit être psychosomatique, n’est-ce pas ?


Le Dottore
Peut-être…


Le Duce
La psychanalyse, je n’y crois pas trop, c’est une "science juive", mais je vous fais confiance. Vous saviez que Freud, votre maître, m’a envoyé en son temps une aimable dédicace sur son livre "Pourquoi la guerre ? " Je me demande bien pourquoi ce titre ? Nous n’étions pourtant pas encore en guerre à l’époque… Il m’encourageait à poursuivre mon œuvre culturelle en Italie... Ça m’a fait plaisir que Freud soit un admirateur. Mais j’en ai d’autres, vous savez, comme Lénine, Churchill ou Gandhi. Et puis d’Annunzio, Marinetti et toute la bande des futuristes en ont pincé pour moi. Ça vous en bouche un coin, hein !

Votre psychanalyse, ça va durer longtemps ? Je suis pressé.


Le Dottore
Ça va durer le temps qu’il convient…
Le Duce
Bon je reviens demain à la même heure. Je reviendrai chaque jour. Bien entendu, je compte sur votre discrétion. Sinon…


Le Dottore
Sinon ?


Le Duce
Non, rien.
Comme je suppose que vous ne voulez pas être payé en lires, vos honoraires seront de 1000 francs suisses la séance.

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