Maupassant yvette
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Guy de Maupassant YVETTE (1884) Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » TABLE DES MATIÈRES À PROPOS DE CETTE ÉDITION ÉLECTRONIQUE Document source à l’origine de cette publication sur http://maupassant.free.fr : le site de référence sur Maupas-sant, à consulter impérativement – l’œuvre intégrale, bibliogra-phie, biographie, etc. 1Yvette I En sortant du Café Riche, Jean de Servigny dit à Léon Sa-val : – Si tu veux, nous irons à pied. Le temps est trop beau pour prendre un fiacre. Et son ami répondit : – Je ne demande pas mieux. Jean reprit : – Il est à peine onze heures, nous arriverons beaucoup avant minuit, allons donc doucement. Une cohue agitée grouillait sur le boulevard, cette foule des nuits d’été qui remue, boit, murmure et coule comme un fleuve, pleine de bien-être et de joie. De place en place, un café jetait une grande clarté sur le tas de buveurs assis sur le trottoir de-vant les petites tables couvertes de bouteilles et de verres, en-combrant le passage de leur foule pressée. Et sur la chaussée, 1 Texte publié dans Le Figaro du 29 août au 9 septembre 1884, puis publié dans le recueil auquel il donne son nom. – 3 – les fiacres aux yeux rouges, bleus ou verts, passaient brusque-ment dans la lueur vive de la devanture illuminée, montrant une seconde la silhouette maigre et trottinante du cheval, le profil élevé du cocher, et le coffre sombre de la voiture. Ceux ...

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Guy de Maupassant YVETTE (1884) Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » TABLE DES MATIÈRES À PROPOS DE CETTE ÉDITION ÉLECTRONIQUE Document source à l’origine de cette publication sur http://maupassant.free.fr : le site de référence sur Maupas- sant, à consulter impérativement – l’œuvre intégrale, bibliogra- phie, biographie, etc. 1Yvette I En sortant du Café Riche, Jean de Servigny dit à Léon Sa- val : – Si tu veux, nous irons à pied. Le temps est trop beau pour prendre un fiacre. Et son ami répondit : – Je ne demande pas mieux. Jean reprit : – Il est à peine onze heures, nous arriverons beaucoup avant minuit, allons donc doucement. Une cohue agitée grouillait sur le boulevard, cette foule des nuits d’été qui remue, boit, murmure et coule comme un fleuve, pleine de bien-être et de joie. De place en place, un café jetait une grande clarté sur le tas de buveurs assis sur le trottoir de- vant les petites tables couvertes de bouteilles et de verres, en- combrant le passage de leur foule pressée. Et sur la chaussée, 1 Texte publié dans Le Figaro du 29 août au 9 septembre 1884, puis publié dans le recueil auquel il donne son nom. – 3 – les fiacres aux yeux rouges, bleus ou verts, passaient brusque- ment dans la lueur vive de la devanture illuminée, montrant une seconde la silhouette maigre et trottinante du cheval, le profil élevé du cocher, et le coffre sombre de la voiture. Ceux de l’Urbaine faisaient des taches claires et rapides avec leurs pan- neaux jaunes frappés par la lumière. Les deux amis marchaient d’un pas lent, un cigare à la bou- che, en habit, le pardessus sur le bras, une fleur à la boutonnière et le chapeau un peu sur le côté comme on le porte quelquefois, par nonchalance, quand on a bien dîné et quand la brise est tiède. Ils étaient liés depuis le collège par une affection étroite, dévouée, solide. Jean de Servigny, petit, svelte, un peu chauve, un peu frêle, très élégant, la moustache frisée, les yeux clairs, la lèvre fine, était un de ces hommes de nuit qui semblent nés et grandis sur le boulevard, infatigable bien qu’il eût toujours l’air exténué, vigoureux bien que pâle, un de ces minces Parisiens en qui le gymnase, l’escrime, les douches et l’étuve ont mis une force ner- veuse et factice. Il était connu par ses noces autant que par son esprit, par sa fortune, par ses relations, par cette sociabilité, cette amabilité, cette galanterie mondaine, spéciales à certains hommes. Vrai Parisien, d’ailleurs, léger, sceptique, changeant, en- traînable, énergique et irrésolu, capable de tout et de rien, égoïste par principe et généreux par élans, il mangeait ses ren- tes avec modération et s’amusait avec hygiène. Indifférent et passionné, il se laissait aller et se reprenait sans cesse, combattu par des instincts contraires et cédant à tous pour obéir, en défi- nitive, à sa raison de viveur dégourdi dont la logique de gi- rouette consistait à suivre le vent et à tirer profit des circonstan- ces sans prendre la peine de les faire naître. – 4 – Son compagnon Léon Saval, riche aussi, était un de ces su- perbes colosses qui font se retourner les femmes dans les rues. Il donnait l’idée d’un monument fait homme, d’un type de la race, comme ces objets modèles qu’on envoie aux expositions. Trop beau, trop grand, trop large, trop fort, il péchait un peu par excès de tout, par excès de qualités. Il avait fait d’innombrables passions. Il demanda, comme ils arrivaient devant le Vaudeville : – As-tu prévenu cette dame que tu allais me présenter chez elle ? Servigny se mit à rire. – Prévenir la marquise Obardi ! Fais-tu prévenir un cocher d’omnibus que tu monteras dans sa voiture au coin du boule- vard ? Saval, alors, un peu perplexe, demanda : – Qu’est-ce donc au juste que cette personne ? Et son ami répondit : – Une parvenue, une rastaquouère, une drôlesse char- mante, sortie on ne sait d’où, apparue un jour, on ne sait com- ment, dans le monde des aventuriers, et sachant y faire figure. Que nous importe d’ailleurs. On dit que son vrai nom, son nom de fille, car elle est restée fille à tous les titres, sauf au titre inno- cence, est Octavie Bardin, d’où Obardi, en conservant la pre- mière lettre du prénom et en supprimant la dernière du nom. C’est d’ailleurs une aimable femme, dont tu seras inévitable- ment l’amant, toi, de par ton physique. On n’introduit pas Her- cule chez Messaline, sans qu’il se produise quelque chose. – 5 – J’ajoute cependant que si l’entrée est libre en cette demeure, comme dans les bazars, on n’est pas strictement forcé d’acheter ce qui se débite dans la maison. On y tient l’amour et les cartes, mais on ne vous contraint ni à l’un ni aux autres. La sortie aussi est libre. Elle s’installa dans le quartier de l’Étoile, quartier suspect, voici trois ans, et ouvrit ses salons à cette écume des continents qui vient exercer à Paris ses talents divers, redoutables et crimi- nels. J’allai chez elle ! Comment ? Je ne le sais plus. J’y allai, comme nous allons tous là-dedans, parce qu’on y joue, parce que les femmes sont faciles et les hommes malhonnêtes. J’aime ce monde de flibustiers à décorations variées, tous étrangers, tous nobles, tous titrés, tous inconnus à leurs ambassades, à l’exception des espions. Tous parlent de l’honneur à propos de bottes, citent leurs ancêtres à propos de rien, racontent leur vie à propos de tout, hâbleurs, menteurs, filous, dangereux comme leurs cartes, trompeurs comme leurs noms, braves parce qu’il le faut, à la façon des assassins qui ne peuvent dépouiller les gens qu’à la condition d’exposer leur vie. C’est l’aristocratie du bagne, enfin. Je les adore. Ils sont intéressants à pénétrer, intéressants à connaître, amusants à entendre, souvent spirituels, jamais ba- nals comme des fonctionnaires français. Leurs femmes sont toujours jolies, avec une petite saveur de coquinerie étrangère, avec le mystère de leur existence passée, passée peut-être à moi- tié dans une maison de correction. Elles ont en général des yeux superbes et des cheveux incomparables, le vrai physique de l’emploi, une grâce qui grise, une séduction qui pousse aux fo- lies, un charme malsain, irrésistible ! Ce sont des conquérantes à la façon des routiers d’autrefois, des rapaces, de vraies femel- les d’oiseaux de proie. Je les adore aussi. – 6 – La marquise Obardi est le type de ces drôlesses élégantes. Mûre et toujours belle, charmeuse et féline, on la sent vicieuse jusque dans les moelles. On s’amuse beaucoup chez elle, on y joue, on y danse, on y soupe… on y fait enfin tout ce qui consti- tue les plaisirs de la vie mondaine. Léon Saval demanda : « As-tu été ou es-tu son amant ? » Servigny répondit : « Je ne l’ai pas été, je ne le suis pas et je ne le serai point. Moi, je vais surtout dans la maison pour la fille. – Ah ! Elle a une fille ? – Si elle a une fille ! Une merveille, mon cher. C’est au- jourd’hui la principale attraction de cette caverne. Grande, ma- gnifique, mûre à point, dix-huit ans, aussi blonde que sa mère est brune, toujours joyeuse, toujours prête pour les fêtes, tou- jours riant à pleine bouche et dansant à corps perdu. Qui l’aura ? ou qui l’a eue ? On ne sait pas. Nous sommes dix qui attendons, qui espérons. Une fille comme ça, entre les mains d’une femme comme la marquise, c’est une fortune. Et elles jouent serré, les deux gail- lardes. On n’y comprend rien. Elles attendent peut-être une oc- casion… meilleure… que moi. Mais, moi, je te réponds bien que je la saisirai… l’occasion, si je la rencontre. Cette fille, Yvette, me déconcerte absolument, d’ailleurs. C’est un mystère. Si elle n’est pas le monstre d’astuce et de per- versité le plus complet que j’aie jamais vu, elle est certes le phé- nomène d’innocence le plus merveilleux qu’on puisse trouver. Elle vit dans ce milieu infâme avec une aisance tranquille et triomphante, admirablement scélérate ou naïve. – 7 – Merveilleux rejeton d’aventurière, poussé sur le fumier de ce monde-là, comme une plante magnifique nourrie de pourri- tures, ou bien fille de quelque homme de haute race, de quelque grand artiste ou de quelque grand seigneur, de quelque prince ou de quelque roi tombé, un soir, dans le lit de la mère, on ne peut comprendre ce qu’elle est ni ce qu’elle pense. Mais tu vas la voir. Saval se mit à rire et dit : – Tu en es amoureux. – Non. Je suis sur les rangs, ce qui n’est pas la même chose. Je te présenterai d’ailleurs mes coprétendants les plus sérieux. Mais j’ai des chances marquées. J’ai de l’avance, on me montre quelque faveur. Saval répéta : – Tu es amoureux. – Non. Elle me trouble, me séduit et m’inquiète, m’attire et m’effraye. Je me méfie d’elle comme d’un piège, et j’ai envie d’elle comme on a envie d’un sorbet quand on a soif. Je subis son charme et je ne l’approche qu’avec l’appréhension qu’on aurait d’un homme soupçonné d’être un adroit voleur. Près d’elle j’éprouve un entraînement irraisonné vers sa candeur possible et une méfiance très raisonnable contre sa rouerie non moins probable. Je me sens en contact avec un être anormal, en dehors des règles naturelles, exquis ou détestable. Je ne sais pas. Saval prononça pour la troisième fois : – 8 – – Je te dis que tu es amoureux. Tu parles d’elle avec une emphase de poète et un lyrisme de troubadour. Allons, descends en toi, tâte ton cœur et avoue. Servigny fit quelques pas sans rien répondre, puis reprit : – C’est possible, après tout. Dans tous les cas, elle me pré- occupe beaucoup. Oui, je suis peut-être amoureux. J’y songe trop. Je pense à elle en m’endormant et aussi en me réveillant… c’est assez grave. Son image me suit, me poursuit, m’accompagne sans cesse, toujours devant moi, autour de moi, en moi. Est-ce de l’amour, cette obsession physique ? Sa figure est entrée si p
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