On attend Robert
356 pages
Français

On attend Robert , livre ebook

356 pages
Français

Description

La Belle épine n'a pas toujours été le plus grand centre commercial d'Europe. Au voisinage de l'aéroport d'Orly et de l'usine Técalémit, dans les années cinquante, c'est un simple carrefour avec une gendarmerie en meulière et un stade dont le grand père de l'auteure a la garde. C'est là que l'été 1944, la Quatrième Division d'Infanterie américaine du Général Barton a cantonné la veille d'entrer par la porte d'Italie pour libérer Paris. Mais si les vainqueurs sont parvenus à imposer un armistice quelques jours après la naissance de la narratrice, dans ce biotope industriel, légal et sportif, le bohu-bohu demeure.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2014
Nombre de lectures 11
EAN13 9782336341439
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

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Extrait

ON ATTEND ROBERT
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En application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouVrage est interdite sans autorisation du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.
© INDIGO & Côté-femmes éditions 55 rue des Petites Écuries 75010 Paris contact.indigo-cf@dbmail.com http://www.indigo-cf.com e Dépôt légal : 2 trimestre 2012 ISBN2-35260-087-1 EAN 9782352600879
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Jeanne HYVrard
ON ATTEND ROBERT
roman
INDIGO
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On attend Robert. La guerre est finie. Il n’est pas rentré.
Entre deux hurlements, Grand-mère maudit son autre fils, Papa, d’être lui ViVant. Nous ses enfants sommes inclus dans la malédiction. Elle ne fait pas le détail. Nous formons un lot dont elle ne Veut pas. Un lot indu. Un lot qui n’a pas à être là dans sa salle à manger. Mes collatéraux, mes deux aînés ne s’en émeuVent point. Ce sont des Vétérans. Ils ont eu l’occasion de s’aguerrir en descendant à la caVe pendant les bombardements, Rue Clairaut aVec Maman et Mademoiselle Nicole, la Voisine.
Papa n’étant pas là, il a bien fallu qu’ils se débrouillent sans lui. Maman a pris goût à cette indépendance et elle reste tranquillement dans le coin où elle est installée aVec son petit sourire supérieur parce que guerre ou pas, tout ce qui Vient de la famille de Papa est nul et non aVenu. Et pas seulement de la famille de Papa, mais du monde entier. Il n’Y a pas à se rendre malade pour cela, elle me l’a bien assez dit et elle me le répète souVent. Chaque fois que je suis émue. Et toute digue emportée, le déferlement de la mère de mon père, me laisse au bas mot, interloquée.
Pépé n’interVient pas. Il reste assis dans son grand fauteuil pliant tendu de toile raYée, installation stratégique depuis laquelle il écoute le Dimanche après-midi, la retransmission du match de rugbY à la TSF et pour entendre quand même correctement les commentaires du journaliste, il est alors bien obligé de monter le son, ce qui horripile Maman qui n’aime ni la Voix du reporter, ni le rugbY, ni Pépé qu’elle accuse de n’aVoir pas – contrairement à son père à elle – fait la guerre de Quatorze, l’autre, celle d’aVant, la Grande. Elle ne Va pas tarder à demander, toujours très poliment, elle s’en Vante bien assez, de son petit air doucereux que je connais si bien : - Pépé ! Vous ne pourriez pas baisser un peu la radio !
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JEANNE HyvRARD Comme ce n’est pas une Vraie question et que Pépé est d’un caractère plutôt arrangeant, il le baisse un peu, le son.
Dans sa caisse, une grande caisse en gros bois sous la table de la cuisine, yankee somnole. Ce labrador noir a été laissé à nos Grands Parents par les Américains qui ont cantonné là sur le stade de La Belle Épine, aVant d’entrer dans Paris, trois mois après le Débarquement. Lui aussi, comme mes deux aînés, il en a Vu d’autres et il a l’habitude. Lui aussi il a fait la guerre et démobilisé, mène désormais une Vie de retraité.
En fait, ils ont tous fait la guerre, sauf moi. Même Mémé à qui Papa a interdit d’emploYer l’expressionLes Bochespour ne pas propager la haine de l’ennemi héréditaire, faute de quoi on en finira jamais et qui s’est sans difficultés rabattue sur l’expressionLes Prussiensqui me laisse, chaque fois qu’elle l’emploie, médusée.
Ils ont tous fait la guerre, même Robert qui ne reVient pas et qui l’a fait là bas si loin qu’on n’en a pas de nouVelles. Je suis née, moi, juste deux semaines aVant l’Armistice. Je suis née pendant la Guerre, mais je ne l’ai pas faite. Sauf peut-être dans le Ventre de Maman. On n’aVait pas Vraiment besoin de moi, on a même essaYé de s’en débarrasser, mais on n’a pas réussi. Dans le chaos général, je passe relatiVement inaperçue. Ce n’est pas comme mon père qui par ses cris, ses éclats, ses colères, ses fracas, ses coups, sa Violence inouïe, sème la terreur dans tout le biotope.
On manque de tout sauf de ce qu’en partant ont laissé les Américains qui juste aVant d’entrer dans la Capitale, n’aVaient plus besoin de tout ce barda. Des piles de couVertures kaki qui dès qu’on a froid, on en reçoit une, on a même pas besoin de la demander deux fois. Les grands coffres à charbon peints bleu ciel derrière la maison dans lesquels lorsqu’ils sont Vides s’enferment mon frère et ma sur pour jouer à des jeux qui ne plaisent pas à Papa qui alors selon le terme consacréintervientfaisant pleuVoir des punitions. Cela ne risque pas de m’arriVer à moi, ils ne Veulent pas que je joue aVec eux. Pas seulement à ces jeux là, mais à aucun autre non plus. Je suis trop petite et je les empoisonne.
Il Y aussi la pâte à saVon granuleuse et grise dans la boîte ronde et
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métallique qui permet de se laVer les mains sans eau, c’est très pratique lorsqu’on est sur les routes, ce qui arriVe assez souVent parce que mes parents ont de longues Vacances et adorent Visiter la France et les paYs étrangers et pas seulement les plus Voisins, car ce sont de grands VoYageurs. Moins grands tout de même que l’Oncle Robert ou que les Américains qui ont dû traVerser l’Atlantique et la Manche.
On a aussi des contenants de toutes sortes, de toutes les formes et de toutes les tailles, des boîtes, des sacs, des grands, des petits, des oblongs et des parallélépipédiques toujours kaki, c’est à cause des libérateurs la couleur dominante de notre fourniment, fourniture et des cartons épais presque comme la caisse de yankee dans lesquels Maman range dans le cagibi de la rue Clairaut où nous habitons, tout ce qui peut serVir. Surtout les morceaux de tissu dans lesquels elle Va choisir ce qu’il faut pour nous faire nos habits.
Mais le plus précieux de tout, c’est l’élixir transparent dont une seule goutte bien appliquée au bon endroit, soulage de la plus terrible des piqûres de guêpe. C’est notre paternel qui en a la garde et il ne lâche jamais le flacon qu’il ne pose même pas sur la table lorsqu’il nous soigne. Il le garde à la main et le range aussitôt dans un endroit secret qu’on ne sait même pas où il le met, et sans doute Maman non plus. Ce n’est pas comme son grattoir qu’on parVient à lui piquer en douce, ma sur et moi pour tailler nos craYons, parce qu’il est quand même plus efficace que mes taille-craYons, même métalliques.
C’est aussi Papa qui donne du papier lorsqu’on Veut dessiner. Lui aussi nous Vient des Américains, de l’Armée de l’Air, c’est marqué sur chaque feuille. Une partie est occupée de petites cases à remplir, libellées dans une langue qu’on ne comprend pas mais cela mis à part, on a largement de la place. Pour le papier comme pour le reste, il ne faut pas le gaspiller. PourVu qu’on en use rationnellement, on a autant qu’on en a besoin. Ce n’est pas Vrai pour tout, mais le fait est là, le papier lui n’est pas rationné.
Il Y a aussi sa magnifique trousse en cuir rouge, d’un beau rouge entre le brique et l’acajou, rigide et marquée elle aussi comme presque tout les objets dont on dispose d’un US ArmY et quand il la déplie, on Voit les
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outils brillants, bien rangés les uns contre les autres. Tout ce qu’il faut pour être dépanné. Dès que Papa a ouVert sa trousse, on est sûr que ce qui ne fonctionnait pas, Va marcher. Il suffit de demander. On n’a pas forcément satisfaction immédiatement parce que Papa encore plus que les autres adultes a beaucoup de choses à faire, mais il n’Y a pas besoin de le lui redemander. Contrairement à Maman à qui cela ne sert à rien de demander quoi que ce soit parce que de toutes façons, elle ne donnera rien du tout.
Papa lutte tant qu’il peut contre le chaos qui déVaste la Belle Épine et dont l’épicentre est le préfabriqué en fibrociment, le paVillon du gardien dans lequel Mémé abrite son magnifique serVice à café en porcelaine de Limoges aVec des guirlandes de fleurs et des anses dorées dont-il faut bien reconnaître que Maman n’a pas l’équiValent. Elle a aussi un cache pot Vert en barbotine aVec des canards sauVages qui s’enVolent au dessus d’un étang. Ou d’une mare, sur une aussi petite surface, on ne peut pas saVoir aVec certitude. Ce qu’elle a de plus précieux, c’est son panier en émaux de LongwY aVec l’anse Turquoise et les piVoines multicolores. Tonton Robert le lui a rapporté aVant la guerre et on n’a pas le droit d’Y toucher. Les menaces qui pleuVent sur nous si jamais on le fait sont si terribles, qu’on acquiert à Vitesse accélérée la notion du sacré.
Mais moi ce que je préfère ce sont les tableaux. Les deux grands qui représentent une ferme dans un bosquet d’arbres, l’un au bord de la riVière et l’autre le long d’un chemin de campagne. Il est bien difficile de saVoir s’il s’agit du même bâtiment Vu sous des angles différents et pourtant on pourrait le croire. En tous cas les tableaux Vont bien ensemble et cela serait dommage de les séparer. Quant au troisième, je l’aime moins. Ce sont deux personnages marchant côte à côte sur une route poussiéreuse, dans un paYsage presque désertique. On a du mal à les identifier.
Chez nous, Rue Clairaut à Paris, dans les trente quatre mètres carrés – Papa n’arrête pas de le répéter – il n’Y a qu’un seul tableau dans la salle à manger. Le cadre n’est pas doré comme ceux de la Belle Épine et il représente le Massif des Drus dans la vallée de Chamonix parce que c’est cela qui intéresse Papa. Il lui a été offert par les amis. La montagne intéresse Maman aussi mais depuis que je suis née, elle ne l’accompagne
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plus dans leurs courses d’alpinisme comme auparaVant. Parait-il que c’est de ma faute et elle m’en Veut beaucoup. Elle ne rate pas une occasion de me le reprocher.
C’est sans doute à cause de cela que j’ai une place particulière. Non seulement je fais partie des enfants du maudit, mais en plus, en moins plutôt à l’intérieur de ce groupe déjà défaVorisé, j’ai mon propre statut personnel. Il est simple : Je n’ai droit à rien. Je me console en regardant les tableaux, le panier et le cache pot et en jouant aVec yankee qui lui n’a pas de préjugés. De toutes façons, il adore être aVec nous les enfants. Il n’a pas de préjugés, mais il a du discernement.
Quand la sérénade débute, c’est-à-dire quand Papa commence à crier et à cogner, yankee lui montre les dents. Papa en a peur. Il n’est donc pas tout puissant. Au dessus de Papa, il Y a yankee et sa denture. J’aimerais bien pouVoir moi aussi montrer les dents ou rester impassible comme le chien en bronze couché dans le marbre sur le bureau de Pépé. Mais j’en suis incapable. Alors, je traVerse la cuisine et je sors.
On ressort du paVillon comme on Veut, il suffit de traVerser la cuisine et d’ouVrir la porte de l’extérieur. Personne ne s’oppose à ce qu’on sorte car la maison n’est pas très grande et il Y a du monde. Et même quand quelqu’un sort Maman essaie de faire qu’on m’emmène aussi. Elle n’Y réussit pas toujours. Moi de mon côté, je préfère aussi être dehors. Même si c’est seulement sur le perron de béton gris.
J’aime bien les deux barres de fonte horizontales à l’opposé de la porte. On peut s’asseoir dessus, s’Y accouder, faire de la gYmnastique – Maman est tout à fait pour – et lorsque je suis installée dessus jamais personne ne me dit quoi que ce soit. Dans leur esprit, c’est sans doute que c’est pour moi l’emplacement idéal. Autrefois, elles ont dû être peintes en lie de Vin, sang de buf ou pourpre comme on dit dans les tragédies de Corneille dans lesquelles on a le sens de la grandeur et qu’on Va Voir aVec Maman à la Comédie-Française. Quant à ma sur elle dirait plutôt qu’elles ont été peintes en couleur aubergine parce qu’elle trouVe que cela fait chic d’éVoquer cette couleur, ce n’est pas chez tout le monde qu’on en mange. C’est d’ailleurs effectiVement ce que Maman nous dit.
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