Cherche secrétaire aimant Vermeer
157 pages
Français

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Cherche secrétaire aimant Vermeer , livre ebook

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Description

Mademoiselle, J'ai l'honneur de vous faire conaître que vous avez satisfait à la première épreuve de sélection. Afin de me permettre d'affiner mon choix, je me vois contraint de vous soumettre à une deuxième épreuve, écrite cette fois. Merci de bien vouloir réfléchir à la question suivante : Aimez-vous vraiment Vermeer ? Si oui, dites pourquoi. Votre réponse ne pourra pas comporter plus de 7000 caractères et devra me parvenir au plus tard le 24 août avant minuit etc.


Anne-Marie est bien décidée à relever le défi et à se faire embaucher comme collaboratrice du collectionneur Honoré Sigolen, mais quelle idée d'aller s'isoler pendant cinq jours à la Pension Flora (06 – Saint-Michel-sur-Mer) pour réfléchir à Vermeer !

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1996
Nombre de lectures 21
EAN13 9782876235892
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0084€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

« Coquin de sort ! Mais vous faites du trafic de galets, ma parole ! » s'exclama une nouvelle fois le chauffeur de taxi en déposant la mallette à coque bleue sur le trottoir. Depuis l'aéroport de Nice, il n'avait cessé d'émietter des considérations friables et de les jeter distraitement en direction de sa passagè-re, assise à droite sur la banquette arrière ; la tête, les épaules, les genoux d'Anne-Marie B orignol en étaient comme ensablés. Il faisait chaud de surcroît, bien plus chaud qu'à Paris, a fortiori que dans l'avion dont l'air pressurisé laissait aux muqueuses un avant-goût de mistral. Anne-Marie s'épongea le front, claqua la portière, songea à la douche qu'elle
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allait pouvoir prendre et sourit au chauffeur, qui lui tendit alors sa carte en soulevant sa casquette avant de se réinstaller au volant de sa voiture. Saisissant la dragonne, Anne-Marie commença à tirer la valise. Le mur d'enceinte, une sorte de rempart bombé en calcaire aveuglant haut de trois mètres environ, la décontenança un instant : le prospectus reçu le matin même ne montrait-il pas les abords très dégagés d'une bâtisse dix-neuvième ? Peut-être la photo avait-elle été prise avec un grand angle à l’intérieur de la propriété, au débouché d'une allée cavalière ? Une grille de palmiers rêches plantés en léger retrait de l’autre côté de la muraille, l'odeur âcre de poussière, de sel, de buis surchauffés, un silence assommant rayé des seules stridulations d'insectes, lui firent presser le pas. Anne-Marie tourna dans l'impasse des Cyprès, qu'une barrière rouge et blanche protégeait des voitures étrangères. Sur sa gauche, elle remarqua quelques tennis déserts et supputa qu'ils appartenaient au Domaine des Cyprès, appellation pompeuse pour un ensemble de constructions en béton brut inspirées fortement des bories provençales – quoique plus volumineuses – et percées de nombreux hublots à balcon, le tout agré-menté d'ifs et de cyprès taillés exclusivement en sphères, en cubes et en cylindres.
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Après avoir redressé plusieurs fois sa valise qui trébuchait sur les lauzes et transformé les bories en igloos débonnaires, Anne-Marie vit sur sa droite le parapet s'abaisser en pente douce, puis un dernier palmier à demi étouffé dans du lierre précéda un court pilier de pierre surmonté d'un bilboquet en fer forgé. Une allée s'ouvrait entre deux grilles basses dont seul le battant droit demeurait entrebâillé, mais la perspective s'échouait à quelques mètres contre un mur blanc tandis que le chemin, se dérobant, dis-paraissait dans la verdure. Anne-Marie hésita tout d'abord, puis elle avisa à l'intérieur un lutrin qui pouvait faire office de porte-menu, s'enhardit, pous-sa la grille et entra. Sous un plastique jauni et cra-quelé, on pouvait lire en effet un menu, un menu pantagruélique tapé à la machine sur une vieille mécanique dont le chariot devait patiner sérieuse-ment. Anne-Marie pensa au bureau qu'elle parta-geait avec mademoiselle Rebout, à La Défense, une pièce étroite encombrée de cinq ou six micros et ter-minaux, du copieur, du fax et des trois imprimantes. Qu'il était loin le temps du papier carbone ! Elle s'amusa encore de la date imprimée : dimanche 13 avril, puis, comme elle avançait dans l'allée sablée, elle crut voir contre le mur, droit devant elle, une théorie de sorbets multicolores entamer une ronde
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frénétique autour d'une tête de veau soudain ravigo-tée. Plantant là sa valise, elle ouvrit son sac à main, fouilla jusqu'à ce qu'elle eût retrouvé ses lunettes de soleil. Quand elle eût franchi deux ou trois coudes du chemin, Anne-Marie reconnut la pension. Peu à peu, le sol ferme laissait place à du gravier dans lequel les roulettes creusèrent des sillons de plus en plus pro-fonds.
Depuis les derniers jours de juillet, la chance sou-riait : le 28, Anne-Marie avait enfin reçu une répon-se d'Honoré Sigolen qui lui fixait rendez-vous à son hôtel particulier du Vésinet. Il ne l'avait pas reçue lui-même : son secrétaire en partance, une sorte de majordome couleur endive – le foie ? le caractère du Maître ? ou la trop grande fréquentation des caves blindées de la maison ? –, avait recueilli sur bande magnétique les propos d'Anne-Marie. Par bonheur, celle-ci avait passé tellement de temps à mettre au point un argumentaire qu'elle avait fini par l'apprendre par cœur, en sorte qu'elle n'avait pas été trop désarçonnée devant le magnétophone et qu'il n'avait pas manqué à Vermeer une tache de lumière. Restée seule dans un boudoir à rideaux
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jaunes en compagnie d'un siphon d'eau de Seltz et d'un carafon de gin auxquels elle n'avait pas touché, elle s'était appliquée à rendre naturelle une presta-tion qui ne l'était guère, surtout à habiter les mots du discours qui sortait sans effort ; un peu de trac avait fait le reste. Sans doute avait-elle été convaincante puisqu'elle s'était vue sélectionnée pour la finale. Là, il ne s'agissait plus d'un entretien d'embauche, fut-il réalisé par magnétophone interposé, ni même de recenser avec conviction les évidentes qualités artistiques du peintre, il fallait se soumettre à une épreuve écrite, courte – sept mille caractères au maximum – mais déterminante : rédiger, pour le 24 août avant minuit , une relation sentie de ses motiva-tions à vouloir fréquenter intimement l'œuvre de Vermeer. La circulaire était ainsi libellée : « Aimez-vousvraim entVermeer ? Si oui, dites pourquoi. » Anne-Marie ne connaissait que de très loin et par ouï-dire la personnalité du collectionneur ; comment dans ces conditions arriver à le convaincre qu'elle étaitvraim entla collaboratrice idéale ? Pourtant, du jour où elle reçut la lettre, Anne-Marie se mit en tête de décrocher le contrat à n'im-porte quel prix. Son travail à l'Équipement lui devint odieux ; malgré le ronflement impassible de la cli-matisation, son bureau lui sembla rétrécir et man-
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quer d'air ; ses rapports avec Estelle Rebout tournè-rent à l'aigre. Anne-Marie persuada son chef de ser-vice de lui accorder en urgence une grande semaine de vacances, alors qu'elle avait déjà réservé la deuxième quinzaine de septembre pour un séjour à l'Ile Maurice, puis, s'avisant que ses correspondantes québécoises arrivaient le 16 août, qu'elle s'était offerte à les loger – ne l'avaient-elles pas promenée dans toute la B elle Province pendant un mois entier, l'été précédent ? –, qu'elles comptaient bien séjour-ner à Paris jusqu'à la fin août avant de descendre en Espagne, elle eut un instant de panique : il était tout aussi irréaliste de songer à s'isoler dans l'une des trois petites pièces en enfilade qui composaient son appartement que d'annuler la visite des canadiennes – c'eût été complètement incorrect et bien tardif ( on était déjà le 11 ) –, ou de dénicher une chambre d'hôtel assez tranquille. Que faire ? Comme elle hésitait encore sur la nature exacte du travail à fournir, elle appela Le Vésinet et tomba sur Martial, le secrétaire blême. — Il faut vous mettre au vert, conseilla-t-il aima-blement. Mise en confiance, elle évoqua ses difficultés : — En plein mois d'août, tout est complet... — Il reste encore une place, s'exclama-t-il,
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puisque ma tante s'en va ! La pauvre s'est cassé le col du fémur et je la rapatrie jeudi. Mais c'est loin, c'est à côté de Nice. — J e peux peut-être essayer d'appeler... — Si vous voulez. C'est la Pension F lora, à Saint-Michel-sur-Mer. Vous trouverez dans l'annuaire. Si vous téléphonez, recommandez-vous de ma tante, madame Wallis : c'est un établissement sérieux, mais un peu fermé. — Wallis ? Comme F utuna ? Une heure plus tard, l'affaire était conclue. On garantissait à Anne-Marie, pendant cinq jours et pour un prix modique, une chambre calme en pen-sion complète, avec une grande table pour travailler.
Anne-Marie n'avait pas rencontré une âme en tra-versant le parc. Elle fut séduite par les tables et fau-teuils de jardin disséminés ici et là devant la maison et prit la résolution de descendre chaque matin de bonne heure pour travailler sous un parasol bleu. Comme au portail, un seul battant de la porte d'en-trée était entrebâillé ; à l'abri d'un auvent de toile, somnolaient deux grands chiens roux, un épagneul et un boxer. Anne-Marie s'approcha avec précaution. L'épagneul, plus joueur, renifla la valise ; l'autre ne
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broncha même pas. Tandis qu'elle hésitait ensuite devant la sonnette, la porte s'ouvrit, et apparut une petite femme à chignon argenté, chargée d'un plein cageot de haricots verts. Anne-Marie s'effaçait pour la laisser passer quand la femme leva les yeux sur elle, sourit, se pencha pour poser la caissette, tira sur son gant de caoutchouc, tendit enfin une main de bienvenue : — Mademoiselle B orignol, je suppose ? Excusez-moi de vous recevoir dans cette tenue ( elle montra son tablier à bavette, un vichy à petits carreaux ). J e viens d'encaustiquer le grand salon. Anne-Marie se dit qu'il s'agissait probablement de madame de B lagy et non d'une employée, mais elle balança un instant en consultant ses pieds et finit par demander la directrice. À ces mots, la petite femme cambra les reins, claqua des talons, brandit un nez qu'elle portait long et mince : — Mais jeSUISMadeleine de B lagy ! Anne-Marie n'eut plus qu'à s'excuser. On la fit alors patienter dans un grand hall dallé, « le temps que j'aille donner mes haricots à éplucher ». Dans la pénombre, l'odeur de cire était suffocante. Anne-Marie remarqua que, sur les murs, poêles et bassi-noires en cuivre bien astiquées alternaient avec des trophées de chasse, cors, carabines, têtes de cerf
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