Du même auteur Le Chameau dans la neige et autres récits de migration, récits, Arber Ahmetaj et al., Édition dEn bas, Lausanne 2007 Tu me manques mon amour, poésies, Édition Mergimi AB, Tirana 2010
Arber Ahmetaj LA VILLE DES ÉCRIVAINS FIGÉS Traduit de l'albanais par Edmond Tupja
Mon Petit Éditeur
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Cet ouvrage a fait lobjet dune première publication par Mon Petit Éditeur en 2011
À mon père, à mon fils et à ma ville !

Les gens de ma ville parlent de politique tout en fourrant leur nez dans la vie privée des uns et des autres. Dans ma jeunesse, javais couché sur le papier quelques notes sous le titre desur je ne sais quel diable douvrage littéraireNotes . Cela, tout le monde lavait assez vite su et navait pas attendu longtemps pour me proclamer le plus grand écrivain interdit de la ville. Toutes sortes de légendes sétaient aussitôt mises à circuler, parfois si belles que je métais plu à les tenir pour vraies. Le comble, ce fut quand jai à mon tour commencé à les raconter. Il y a quelques jours, jai sorti dune chemise moisie ces fameuses notes et, assis devant une vieille machine à écrire Olivetti, je passe de longues heures à taper en essayant de leur insuffler la vie. Je suis convaincu dêtre un grand écrivain ! Jai donc décidé décrire un roman. Pourquoi pas, au fond ? Jy pense, sincèrement. Combien de gens dans le monde ont écrit des romans sans pour autant devenir célèbres ! Moi, par contre, je le suis devenu sans avoir encore rien écrit de semblable ! Nest-ce pas là une raison suffisante pour que je commence absolument à en écrire un ? Ma méthode de travail en tant quécrivain nest pas tellement intéressante, aussi cela ne vaut-il pas la peine de vous la décrire par le menu. Ce qui arrive à mon roman est surprenant, plus que surprenant.
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Cahier n° 11, page 130
Dès quon a appris que même le poète le plus connu de la ville sétait adonné au jeu de cartes, nombreux ont été ceux qui soudain ont perdu le nord. La principale maison dédition dÉtat lui avait retourné son dernier manuscrit accompagné dune note de lecture impitoyable. Cela a été une offense non seulement pour lui, mais encore pour la ville tout entière. Ses habitants se sont attroupés devant la mairie, le visage assombri. Ils nont rien fait, se tenant là comme une foule suintant lirritation par contamination plutôt que par émanation. Bien après minuit, ils se sont dispersés pour gagner de sombres bistrots très humides, en proie à une vague révolte, quils ont noyée dans lalcool, les potins et lodeur de moisi. B. M. le second poète connu de la ville, a senti que lheure de sa gloire était proche. Après sêtre enivré deau-de-vie, il est parti rejoindre sa maîtresse, sans tenir compte du calendrier de leurs rendez-vous. Il a sonné comme un fou chez elle et, quelques secondes plus tard, il a vu apparaître devant lui Arlinda C., la jolie femme du pharmacien Myope, suivie de son mari. B. M. a remarqué quils venaient de prendre leur douche : leurs cheveux étaient encore mouillés et ils sentaient le shampooing. (Lui aussi, il sen était servi du même, quelquefois.) Qui cherchez-vous ? lui a demandé poliment Arlinda C. Toi ! a dit B. M. en faisant irruption dans leur appartement. Ici, cest moi le maître de maison ! a crié le pharmacien Myope sur le même ton quArchimède de Syracuse disant aux soldats romains : « Ne touchez pas à mes dessins ! » Le poète B.
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LA VILLE DES ÉCRIVAINS FIGÉS
M. se moquait du pharmacien Myope et de sa maison. Ce quil voulait, cétait sa femme. Les soldats romains avaient tué Archimède de Syracuse sans toucher à ses dessins quils ne comprenaient pas, alors que dans la maison du pharmacien Myope il est arrivé quelque chose qui aurait à tout jamais marqué notre ville si, peu après, un plus grand malheur ne sétait pas abattu sur la ville voisine, qui a jeté dans loubli, pendant de longues années, lincident en question. Et, du même coup, on a oublié le poète soudain devenu joueur passionné de cartes. Relisant un paragraphe de mon cahier n° 11, jai remarqué, glissées sous ma porte, trois feuilles de papier de format A4 remplies dune belle écriture sous le titre : « Tri(patho)logie » :
Première feuille
En ce temps-là jétais très petit. Quel âge javais ? Je lignore. Je ne men souviens pas. Tout ce que je sais, cest que je la voyais tous les jours. Chaque fois que jallais à lécole. Je la retrouvais là, dans la cour de lécole. Elle mattendait, moi. Mince, grande, dune élégance élancée, parfaitement arrondie, lisse, propre. Je la regardais. Elle se tenait tout droit. Jaurais aimé lui monter dessus, mais javais peur. Un jour, jai pris mon parti. Devenu courageux, jai craché dans mes mains et jy suis allé. Elle mattendait là, sans bouger. Je me rappelle que je portais un short. Javais les cuisses écorchées à force de me frotter contre son corps fluet. Je nai pas lâché prise. Javais décidé de parvenir coûte que coûte à mes fins. Quand je me suis vu au-dessus delle et quelle se tenait la tête baissée au-dessous de moi, jai voulu redescendre. Quitter son corps en glissant. Ce fut juste à ce moment-là que jai éprouvé un plaisir
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