Déjà dans le Tassili, au pâturage d'où étaient partis les trois éclaireurs, l'inquiétude était apparue : au fond du cirque noir des grès ferrugineux, sur la mer foisonnante des luzernes d'hiver, le détachement de la Compagnie avait élevé, autour de l'ancien bordj des Turcs, un rempart de briques séchées. Le Tassili, haut plateau montagneux du Sahara Oriental, parcouru par les Touareg Azdjer, fait face, à l'ouest de R'at, à la Tripolitaine, occupée par les Italiens. Or, la garnison italienne de R'at avait dû évacuer la ville sous les premiers coups de la révolte fomentée par les Senoussistes à la faveur de la guerre d'Europe, et qui allait peu à peu incendier tout le désert de l'Est. Harassés par la famine et les étapes de montagne, deux cents Somalis aux foulards jaunes, rouges ou bleus suivant qu'ils avaient tué un lion, un éléphant ou un léopard, s'étaient réfugiés en territoire français.
La révolte déclenchée en Tripolitaine menaçait de gagner les mille kilomètres qui courent de R'at à la mer tunisienne, de franchir la frontière du Sahara français, ligne illusoire qui ne coupe que sur les cartes la continuité de l'erg fauve et de la hammada sanglante. Echelonnés du nord au sud, nos postes de Fort Flatters, de Fort Polignac et de Djanet, dont le dernier, celui de Djanet, ne datait que de 1911, allaient former la couverture