Le Flair et la Griffe
156 pages
Français

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Le Flair et la Griffe , livre ebook

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Description

Que pensent nos animaux familiers de nos moindres gestes, de nos petits travers journaliers ou de nos gros défauts manifestes ?
Ils escortent au fil des jours nos coutumes et nos manies. Nous leur imposons nos parcours et leur décernons nos tyrannies.
Bêtes à cœur, à coups de pattes, ils nous mettent en examen. À nos pieds, d'en bas, ils constatent ce qu'est le Bestiaire humain.

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1998
Nombre de lectures 39
EAN13 9782876234369
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0084€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

THÉORÈME ET LANIMAL VERTICAL
Aplomb corporel et hardiesse grimpante…
Moi, Théorème constamment à quatre pattes... Dans les jardins, les rues, sous les tables, partout... J'admire le défi des hommes qui dressés sur leurs pattes arrière font les beaux à longueur de temps !!!
Dans leur attitude de fierté, le mâle et la femelle crâneurs semblent décidés à fanfaronner jusqu'à la fin du monde. Verticaux, ils marchent, sautent, tour-billonnent, courent, dansent ! Espérant par leur bran-le-bas, se frayer un chemin dans la vie. Leurs pattes avant s'agitent dans l'air afin d'attraper ce qui y passe. Elles s'abaissent pour ramasser de l'argent.
Nous, les « bêtes canines », au mieux de notre
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forme sommes posés sur le sol avec quatre points d'appui, au besoin cinq lorsque notre queue se lasse de ses enthousiasmes. Les quadrupèdes humains, eux, verticabrés et verticambrés, funambules en équilibre instable dans l'espace, y déploient une persévérance stupéfiante.
Afin de se récompenser de leur numéro permanent, tous ces gens-là achètent des sucreries à la moindre occasion.
Les bêtes-debouts ont décidé de nommer jambes et pieds leurs pattes du bas, bras et mains celles du haut. La nuit, l'orgueilleux édifice tombe en berne. À l'ho-rizontale, il ronfle pour écarter les bêtes fauves qui pourraient l'attaquer.
J'observe le remue-ménage à raz de sol et à force de me promener à la racine des choses, je désire connaître ce qui fleurit au dessus.
Sur un coup de tête, mon bisaïeul a quitté l'équi-page d'une chasse ancestrale. Je suis un épagneul recyclé en citadin, copropriétaire avec mon maître Arthus de trois touffes d'herbe et d'un platane. J'habite une ruelle, baroque, enfouie sous de grands arbres. Ses pavés cahoteux usés par le temps, longent des petits jardins d'ateliers d'artistes.
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Baptisé « Théorème Ier », fêté par le chant des oiseaux, j'ai débuté ma vie un jour ensoleillé d'avril, parmi un envol de manuscrits qu'Arthus ce matin-là lançait en l'air pour manifester sa joie de faire ma connaissance. À cet instant, je me suis promis d'ac-compagner ce verticopain dans toutes les circons-tances.
Le surplace galopant de leurs orteils piaffants…
Par une fin d'après-midi, j'ai vu passer dans notre paysage agreste, une âme exquise. Tous les soirs à la même heure, je reviens devant chez elle pour la voir plus belle que le jour précédent. Elle s'appelle Aglaë.
Après avoir grignoté une feuille de marronnier, je m'installe près de l'atelier 7 afin d'assister à son appa-rition.
Les verticos en émotion se grattent le crâne, se tor-dent les mains, se croquent les ongles, et leurs pieds gigotent pointés vers l'intérieur. Ils cherchent ins-tinctivement en eux-mêmes le contact d'un ami et se mettent doigt dans le nez, pouce dans la bouche, etc. Moi, je me tortille l'oreille gauche par petits coups saccadés et je l'enroule autour de ma patte comme je fais souvent lorsqu'une chose m'impressionne.
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J'ai des oreilles de luxe qui se dandinent le long de mon visage, en forme de gouttes d'ambre comme celles des lustres vénitiens qui arborent leur cristal blond dans la lumière des salons raffinés. Je suis fier de ces étendards soyeux qui flottent au front de ma race.
Le sol chuchote... Aglaë ! Les jolis souliers ! assor-tis à la ceinture et... bien astiqués ! Une politesse qui se perd. Être chaussé propre et élégant est un hon-neur qu'on fait aux chiens. Beaucoup d'individus n'ont pas l'air de se douter que la présentation de leurs pieds m'est plaisir ou désagrément. Je raffole des carrosseries pédestromobiles lorsque, laquées, elles me donnent l'impression d'être escorté par une Rolls ou une Mercédes.
Les jambes d'Aglaë sont droites comme les tuteurs des fleurs fragiles, ses mollets ont le galbe parfait des œufs d'aépyornis. D'un blond chaud, sa chevelure et les boutons dorés de son manteau resplendissent parmi les cuivres d'automne. Elle aime sûrement les trompes de chasse.
Elle a regardé dans la boîte aux lettres de son por-tail en lattes de bois et se cambre dans le vent. Jolis gestes. Qu'a-t-elle sous le bras ? Une boule de fourru-re assortie à son bonnet. Un manchon, cette cachette que maman trouvait plus douce qu'une niche ?
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Le manchon remue. Oh ! C'est un chat ! Quelle horreur ! Je vais devoir « cohabiter » avec ce matou luisant !
Dans la perspective de notre allée, je regarde mar-cher les habitants inconscients de ce que leurs pieds révèlent. Leurs cerveaux parcourent la terre, leurs cœurs s'envolent d'une affection à l'autre... C'est quinze centimètres de rectangle de chair, frangés de dix orteils, qui règlent la marche du monde, condui-sant ci où là sur patins des gratte-ciel, articulés, ges-ticulants.
L'Académie Française dans son dictionnaire néglige le pied, s'obstine sur « emmener », « amener » alors qu'il s'agit d' « empédestrer », d' « appédestrer ».
Je me faufile de l'un à l'autre pour guetter des informations, flairer comment vont les choses. Notre sort canin dépend des ronds de jambe ou des crocs-en-jambe que les bêtes altières se font entre elles, nous entraînant dans le tourbillon de leurs utopies. Épuisés par ce pied à patte avec l'humanité en marche, nous avons besoin de la campagne pour nous apaiser. C'est pourquoi partout où nous passons, nous arrosons les arbres afin de les aider à pousser.
Novembre. J'aime à me cacher dans les feuilles
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rousses que je fais voler d'un coup de patte afin de les voir retomber et glisser sur mon dos comme une caresse.
En automne, les hommes composent des bouquets de fleurs séchés afin que leurs regards fassent le pont jusqu'aux bourgeons d'un nouveau printemps… Ne serait-ce que le printemps des autres.
Jeu d'enfant…
Dans l'Atelier 12, un sculpteur râblé ébauche une scène d'intérieur : « Mère allaitant ». Il a déniché un vrai nourrisson et sa mère nourricière ! Il met souvent un chien au bas de ses compositions. Me voici aux pieds de ce bébé suçant et de cette dame dont un sein sort carrément du corsage.
Les dames mammifères qui courent sur la terre ronde tendent aimablement leurs seins gonflés d'un suc délicieux ! Ces sources divines, animales et humaines, nourrissent le monde et lui font aimer le galbe, la chair, les douceurs du goût, de la vue et du toucher. La musique de la succion offre de tendres concerts.
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Le sein indépendant de son compagnon en est éloi-gné par le creux d'un vallon que les nostalgies du cœur dévalent et remontent d'un bord à l'autre. Parfois, il dresse un tétin en signe de ralliement et celui de l'autre versant marque sa compréhension en en faisant autant. Avant-poste de constructions phy-siques et sentimentales, le sein aux nobles desseins s’offre aux conscrits de la vie, qui s’y abreuvent.
Le sculpteur hésite entre le sein droit et le sein gauche. La dame modèle, docile, sort successivement l'un ou l'autre. L'artiste tergiverse, avance, recule, il ne sait pas lequel est le plus beau. Le nourrisson s'im-patiente. Couché par terre au bas de cette composi-tion, je savoure le spectacle, la ronde de bosse m'ins-pire.
Joyau ballonné, la jolie nounou « Albana », prénom lacté par excellence, ne doit pas être un modèle pro-fessionnel car elle rit de ce que l'artiste lui fait faire. Néanmoins elle présente ballon après ballon, avec bonne grâce.
La scène commence. Le nourrisson de plus en plus réveillé, voit s'approcher de son visage, ces suaves pla-nètes, et y trouve des fontaines pour désaltérer sa soif de la vie.
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