"Passé imparfait" de Julian Fellowes - Extrait de livre
80 pages
Français

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Description

Lorsque commence cette histoire, le narrateur est sans nouvelles de Damien Baxter depuis près de quarante ans. Inséparables durant leurs études à Cambridge, leur indéfectible amitié s’est muée en une haine féroce, suite à de mystérieux événements survenus lors de vacances au Portugal en 1970. Aussi, le jour où notre homme reçoit une invitation de Damien, la surprise est-elle de taille. Après des retrouvailles déconcertantes dans un magnifique manoir de la campagne anglaise où Damien vit seul, entouré de son personnel, ce dernier fait à son invité une révélation inattendue : il est atteint d’une maladie incurable et n’a pas d’héritier à qui léguer son immense fortune. À moins que... Quelques années auparavant, une femme lui a adressé une lettre anonyme dans laquelle elle prétendait qu’il était le père de son enfant. Une femme rencontrée entre 1968 et 1970. Damien propose alors à notre héros de partir à la recherche de ses anciennes conquêtes, cinq jeunes filles de bonne famille que les deux amis ont fréquentées dans le Londres des Swinging Sixties. C’est le début d’un voyage vers un passé plein de fantômes, de secrets et de révélations surprenantes.

Retraçant l’évolution de la haute société anglaise depuis la fin des années 1960, Julian Fellowes dresse le tableau d’une classe et d’un pays en pleine mutation. Il nous offre surtout un personnage inoubliable qui, au rythme de révélations qui le bouleverseront tout autant que le lecteur, va peu à peu prendre conscience que si les temps ont changé, lui aussi.

Informations

Publié par
Publié le 10 juin 2014
Nombre de lectures 93
Langue Français

Extrait

Julian Fellowes
PASSÉ IMPARFAIT
Traduit de l’anglais par Jean Szlamowicz
Directeurs de collection : Arnaud Hofmarcher et Marie Misandeau Coordination éditoriale : Marie Misandeau
Couverture : Rémi Pépin 2014 Photo couverture : © Maciej Toporowicz / Plainpicture-Glasshouse
© Julian Fellowes, 2008 Titre original :Past Imperfect Éditeur original : Weidenfeld and Nicolson
© Sonatine Éditions, 2014, pour la traduction française Sonatine Éditions 21, rue Weber 75116 Paris www.sonatine-editions.fr
« Cetteœuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cetteœuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de p oursuivretoute atteinte à ses droits de prop riétéintellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
ISBN numérique : 978-2-35584-246-7
1
L ondres est désormais pour moi une ville hantée e e suis le fantôme qui erre dans ses rues. Chaque rue, chaque place, chaque avenue semble me susurrer les souvenirs d’une autre époque de mon existence. Mêm un tout petit tourà Chelsea ou Kensingtonme ramène des endroits où je fus jadis bienvenu et où aujourd’hui e serais un parfait étranger. Je me vois apparaître, soudain redevenu jeune, vêtu pourquelque surprise-artie depuis longtemps oubliée, accoutré de vêtements qui ressemblent aucostume local d’une contrée des Balkans en pleine guerre. Ah ! ces pattes d’ep évasées, ces chemises à jabot avec col en Và lacets… Quel goût avions-nous ! Quand je contemple c spectre, cette image de moi-même, plus jeune et plus mince, je vois les ombres des disparus, parents, tantes et grands-mères, grands-oncles et cousins, amis et petites amies, qui ont tous quitté ce monde, ou d moins ce qui me reste de ma vie. On dit que l’un de signes de la vieillesse, c’est quand le passé devien lus réel que le présent. Je sens déjà la poigne de ce décennies perdues s’abattre sur mon imagination e assombrir les souvenirs plus récents d’une lumière
grisâtre et nébuleuse. C’est pourquoi on comprendra aisément que j’ai été un tant soit peu intrigué, en même temps que décontenancé, à la découverte d’une lettre de Damia Baxter parmi les factures, mots de remerciement e invitations à participer à desœuvres caritatives qui s’empilent quotidiennement sur mon bureau. En tou cas, je n’aurais absolument pas pu prévoir une telle missive. Nous ne nous étions pas vus depuis enviro quarante ans et nous n’étions pas restés en contact no lus. Cela pourra paraître étrange, je sais, mais nou avions évolué dans des univers différents e l’Angleterre a beau être, à bien des égards, un peti ays, il reste assez grand pour que nous ne nous soyons amais croisés durant tout ce temps. Mais il y avait un autre raison pour expliquer ma surprise et elle étai eaucoup plus simple. Je détestais Damian Baxter. Un regard m’avait pourtant suffipour deviner d qui venait la lettre. L’écriture sur l’enveloppe m’était familière, mais elle avait quelque chose de changé, comme le visage d’un enfant bien-aimé après le cruel assage des ans. Avant ce matin-là, si j’avais pensé une seule seconde à Damian, je n’aurais jamais p imaginer quoi que ce soit qui puisse le pousser à m’écrire et inversement. Je m’empresse d’ajouter qu
e ne fus pas le moins du monde contrarié par cette lettre. Il est toujours agréable d’avoir des nouvelle d’un vieilami, mais, à mon âge, il est encore plus intéressant de recevoir des nouvelles d’un vieil ennemi. Contrairement à un ami, un ennemi ser susceptible de vous apprendre des choses que vous ne saviez pas sur votre propre passé. Et siDamian n’étai as tout à fait un ennemi, pas dans un sens véritablement nocif, il était un ancien ami, ce qui est cela va sans dire – bien pire. Nous nous étions quitté sur une querelle, dans des circonstances où une colère violente s’était déchaînée, alimentée de manière arfaitement consciente par la chaleur enfiévrée des moments où l’on coupe tous les ponts. Nous étion artis chacun de notre côté, sans nous retourner pour corriger le mal qui avait été fait. La lettre était des plus sincère, je dois l’admettre. Traditionnellement, les Anglais préfèrent ne pas affronter directement une situationqui pourrait se révéler délicate dufait d’événements passés. E général, ils minimisent la portée d’épisodes désagréables et se contentent d’y faire une vague allusion permettant de s’en débarrasser: « Te souviens-tu de cette affreuse soirée chez Jocelyn Je me demande comment nous avons survécu à tou cela. » S’il est vraiment impossible de dédramatise l’événement et de le rendre inoffensif de cette manière, on peut toujours faire comme s’ilne s’était jamais
roduit. Unpréambule comme : « Il y a trop longtemp que nous ne nous sommes pas vus » doit ainsi bie souvent se traduire par « Je n’ai pas envie de fair durer ce conflit davantage. C’était il ya longtemps. Acceptes-tu de passerl’éponge ? » Si le destinatair artage les mêmes sentiments, la réponse se fera dans les termes d’un déni similaire : « C’est vrai, il fau qu’on se voie.Que deviens-tu depuis que tu es parti d la banque Lazard ? » Cela suffit amplement pou signifier la finde la brouille et la reprise de relations normales. Mais, en l’occurrence, Damian avait renoncé à c genre de procédé. De fait, sa sincérité se montrait pou ainsi dire méditerranéenne. Il m’écrivait, d’une mai anguleuse et encore assez agressive : « J’imagin qu’après tout ce qui s’est passé entre nous tu ne t’attendais pas à avoir de mes nouvelles un jour. Je considérerais malgré tout une visite de ta par comme une grande faveur. Je ne vois pas pourquoi t viendrais me voir étant donné ce qui s’est passé la dernière fois, mais, au risque de verser dans le mélodrame, il ne me reste plus longtemps à vivre e cela pourrait passer pour une faveur accordée à u mourant. » Au moins ne pouvais-je pas l’accuser d’employer des faux-fuyants. Pendant unmoment, j’a fait comme si je pesais ma décision, mais je savais déjà que j’accepterais, qu’il me fallait soulager ma curiosité et que je retournerais de plein gré sur les
terres de ma jeunesse évanouie. En effet, comme j n’avais plus eu de contact avec Damian depuis l’ét 1970, son soudain surgissement me rappela avec acuité à quel point le monde dans lequel je vivais avai changé, ce qui était bien sûr vrai pour tout un chacun.
Malgré le danger que cela représente, j’ai cessé d me battre contre le triste sentiment que le décor de mes années d’enfance était bien plus doux que celui d’aujourd’hui. Les jeunes d’aujourd’hui, selon un poin de vue aussi légitime que compréhensible, défenden leur propre époque et rejettent engénéral nos réminiscences d’un âge d’or où le client avait toujours raison, où les membres de l’Automobile Associatio saluaient le macaron sur votre voiture et où les oliciers portaient la main à leur casque pour vous dire onjour. Ils remercient le ciel pour la fin de cette ériode où régnait la déférence. Mais la déférence es le signe d’un monde ordonné, stable et qui peut, a moins rétrospectivement, procurer une certaine chaleur, voire paraître bienveillant. J’ai l’impressio que ce qui me manque par-dessus tout, c’est la ienveillance de cette Angleterre d’il y a un demi-siècle. Mais, là encore, est-ce cette bienveillance qu e regrette ou ma propre jeunesse ? – Je ne comprends pas bienqui est ce Damia Baxter. Il a tant d’importance que ça ? Tune m’en a
amais parlé, me demanda Bridget ce soir-là, à table, en dégustant un poisson aussicher que mal cuit de notre traiteur italien toujours aussi obséquieux sur Ol Brompton Road. Quand Damian m’envoya sa lettre, il n’y a pas s longtemps, en fait, je vivais encore au rez-de-chaussée d’un grand appartement deWetherby Gardens, confortable et très pratique pour différentes raisons, e arfaitement situé eu égard à la culture du plat à emporter qui s’est emparé de notre société ces dernières années. D’une certaine manière, c’était un adresse très chic, et je n’aurais certainement jamais p me permettre d’acheter une telle résidence si je n’e avais pas hérité de mes parents des années auparavant, quand ils s’étaient finalement retirés de Londres. Mo ère avait bien tenté d’émettre des objections mais ma mère avait insisté avec une certaine sécheresse, affirmant qu’il me fallait « un endroit pour commencer » et il avait cédé. J’ai donc profité de leu générosité et j’avais imaginé non seulemen « commencer » à cet endroit, mais y finir. En vérité, je n’avais guère changé la décoration depuis l’époque où ma mère y habitait et l’appartement était encore rempli de ses affaires. La charmante petite table ronde dans l renfoncement de la fenêtre à laquelle nous dînions lui appartenait et l’appartement dans son ensemble pouvai dégager une atmosphère très féminine avec ses ravissants meubles Régence et le tableau d’un ancêtr au-dessus de la cheminée représentant un petit garço
avec des bouclettes – à cela près que ma virilité ersonnelle s’affirmait par mon absolue e incontestable absence d’intérêt pour toute cette décoration. Au moment où est arrivée la lettre,Bridge FitzGerald était ma… – j’allais dire ma « petit amie », mais je ne suis pas certain que l’on puisse avoir une « petite amie » quand ona plus de 50 ans. D’un autre côté, sil’on est trop vieux pourune « petit amie », on ne l’est encore pas assez pour une « dame de compagnie ». Quelle peut donc bien être l terminologie correcte ? Les habitudes linguistique modernes nous ont volé tant de mots pour les utiliser de manière inappropriée que, si l’on cherche un terme récis, on se retrouve souvent face à un placard vide. Il enva ainsi du mot « partenaire » qui, comme chacu sait, est à la fois banal et dangereux. J’ai récemmen résenté le codirecteur d’une petite entreprise que je ossède comme mon « partenaire » et j’ai mis quelques instants à comprendre la nature des regards que me lançaient différentes personnes qui croyaien usqu’alors tout savoir de moi. Mais, d’un autre côté, l’expression « ma moitié » semble tout droit sortie d’une vieille sitcomayant pour héroïne la secrétaire d’un club de golf.Quant à « ma concubine », nous n’e sommes pas encore là, même si, je dois l’avouer, nous n’en sommes pas loin.Bref, Bridget et moi étion ensemble. Notre couple n’était pas tout à fait assorti.
J’appartenais à la catégorie des « romanciers pe connus » tandis qu’elle était une brillante femme d’affaires irlandaise spécialisée dans les questions immobilières, qui n’avait pas trouvé chaussure à so ied et s’était retrouvée avec moi. Ma mère n’aurait certes pas approuvé, mais m mère était décédée et donc, théoriquement, pe concernée par la question, même si je ne suis pas convaincu que nous puissions nous défaire du regar critique de nos parents, qu’ils soient morts ou pas. On pouvait aussiimaginer que ma mère soit devenu lus tolérante dans l’au-delà mais j’ai des doutes sur le sujet. Peut-être aurais-je dû écouter ses conseil osthumes car je ne peux pas dire que Bridget et mo ayons eu grand-chose en commun. Cela dit, elle étai intelligente et attirante – je n’en méritais pas tant –, sans parler de ma solitude et de ma lassitude envers tous ces gens qui me proposaient de passer déjeuner tous les dimanches midi. En tout cas et quelle qu’e soit la raison, nous nous étions trouvés et même si nous ne vivions pas ensemble à proprement parler, uisqu’elle avait gardé son appartement, nous cheminions de concert depuis deux ans en toute sérénité. Ce n’était pas exactement de l’amour, mais c’était déjà quelque chose. En ce quiconcerne la lettre de Damian, j’avais ét amusé par le ton jaloux qu’avait pris Bridget en faisan référence à un passé dont, par définition, elle ne
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