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Suivez l'histoire de la gentille petite Isis, et découvrez comment sa vie prend soudainement un tournant décisif...

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Publié le 12 mars 2014
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Paternité, pas de modification
Langue Français

Extrait

Préjugé
Il faisait noir. Cela devait probablement faire des heures qu’elle était enfermée, seule dans la pénombre. Malgré sa petite taille, l’endroit restait trop étroit pour qu’elle puisse s’y mouvoir correctement et l’air lui manquait. Parfois, sans signe avant-coureur, son étrange prison était soudainement secouée et elle s’écroulait lourdement dans les copeaux de bois qui tapissaient le sol de sa prison. Maladroite et complètement perdue, elle tentait de tourner sur elle-même, de trouver une issue dans cet espace confiné, un chemin qui la ramènerait auprès de sa mère ainsi que de ses frères et sœurs, en vain. Chaque tentative la confrontait à une paroi aussi noire qu’une nuit sans nuages et se soldait systématiquement par un échec. Désespérée, elle se mit à pousser les cloisons qui la séquestraient, à les griffer, doucement d’abord, puis avec de plus en plus d’acharnement. Hélas, cela aussi resta sans résultat. Le mur, ou quoi que cela puisse être, bougea, mais jamais ne céda. Elle prit alors conscience de son impuissance et de sa solitude. Elle n’avait ni à manger ni à boire, ne savait pas où elle était ni où on l’emmenait. Pour combler le tout, sa famille lui manquait. Retourner auprès des siens, retrouver ses précieux repères, voilà ce qu’elle désirait le plus. Mais rien de tout cela ne semblait pouvoir lui être accordé. Les pupilles dilatées, loin des odeurs habituelles et de son petit nid douillet, elle se sentit gagnée par l’angoisse et ne put se retenir de pleurer. Pourquoi elle ? Qu’avait-elle fait pour être ainsi punie ?C’est alors qu’une voix s’éleva. Bien qu’étouffée par les parois et l’étrange vrombissement discontinu qui n’avait jamais cessé depuis qu’on l’avait enfermé ici, elle devina la proximité de la personne. Une inconnue, certes, mais une inconnue qui voulait visiblement se montrer rassurante. Plus surprise que réellement réconfortée, elle se fit silencieuse durant un instant. Mais dans cet endroit sombre et austère, son angoisse ne tarda pas à reprendre le dessus et de nouveaux pleurs retentirent bientôt. Bien après avoir perdu le fil du temps, le ronronnement redondant cessa enfin. Des claquements retentirent et sa sombre prison se mit à cahoter plus violemment encore. Elle se sentit comme soulevée, puis bringuebalée de droite à gauche à un rythme régulier. On la déplaçait! Les bruits s’enchainèrent : grincement de bois, tintement de métal, écho… Apeurée, plus un son ne sortit de sa bouche et elle se recroquevilla à l’endroit même où elle se trouvait. C’est alors qu’elle remarqua que les parois n’étaient pas aussi opaques qu’elles en avaient l’air. En effet, des rais de lumière apparaissaient ici et là, chassant une partie de l’étouffante obscurité. Elle n’eut pas le temps de s’en réjouir. Après un dernier claquement, des voix s’élevèrent sans qu’elle n’en saisisse le moindre sens. Le balancement se poursuivit un instant puis s’arrêta soudainement. Il était temps ! Il s’en était fallu de peu pour qu’elle rende son dernier repas ! Ce calme tant apprécié fut toutefois de bien courte durée. Elle eut à peine le temps de se redresser que déjà un bruit de froissement l’abasourdit. Sa prison entière trembla et elle se recroquevilla de plus belle. Effrayée, elle regarda dans toutes les directions, puis leva les yeux quand une main immense fit une entaille dans le plafond avant de l’ouvrir largement. Une lumière vive, presque aveuglante, remplaça tout à coup les ténèbres auxquelles elle s’était habituée et une grande silhouette se découpa dans son champ de vision. Les yeux implorants, elle découvrit le visage d’un homme qui, la bouche ouverte, semblait aussi surpris qu’elle. Après un bref instant de réflexion, ses
sourcils se levèrent et il devint euphorique. Se sentant plus petite que jamais, elle tressaillit et se fit dessus pour la troisième fois depuis que son étrange voyage avait commencé. L’homme plongea alors ses deux mains vers elle. Il les glissa délicatement sous ses aisselles chaudes, et l’extirpa de sa petite boite. Il la brandit à bout de bras, tel un trophée, et l’observa sous tous les angles avant de la placer juste devant son visage émerveillé. Elle en profita pour tendre le cou et renifler cet étrange personnage. Sa fine langue sortit lentement de sa bouche et parcourut le nez de l’homme qui se mit à rire et l’embrassa bruyamment sur la joue. Une voix retentit à côté, identique à celle qu’elle avait entendue lorsqu’elle était plongée dans le noir. Tournant la tête, elle découvrit la même femme qu’elle avait vue plus tôt, tandis qu’elle se chamaillait avec les siens et mordait l’oreille de l’un de ses frères. Celle-ci tenait un petit objet devant elle. Tout à coup, une lumière éblouissante en jaillit, suivie d’une explosion d’étoiles dans ses yeux. La panique l’envahit. Elle détourna la tête et se débattit. Privée de ses mouvements, elle commença à gémir puis à pleurer. L’homme sembla comprendre sa détresse puisqu’il la posa sur ses genoux et commença à lui caresser le dos. Cela l’apaisa presque aussitôt. Reprenant un peu d’assurance, la jeune femelle laissa son regard balayer furtivement son nouvel environnement. Elle constata que ses hôtes étaient assis sur un grand canapé d’angle et qu’un grand rectangle plat émettait toute une panoplie de couleurs et de sons. Entre les deux, une petite table en bois. Plus loin, d’autres meubles en bois tout en longueur. Visuellement, ce n’était pas si différent que ce qu’elle avait toujours connut. Mais quand même, les meubles n’étaient pas agencés de la même manière et, surtout, les odeurs lui étaient dans l’ensemble inconnues. Voyant qu’elle voulait découvrir les lieux, l’homme la posa au sol. La surface était lisse et froide sous ses coussinets. Hésitante, elle observa d’abord sans bouger. Puis elle avança de quelques pas et s’arrêta de nouveau pour renifler. Il y avait tant de nouvelles odeurs! Lentement, elle prit le temps de les assimiler avant de continuer. Derrière elle, les voix s’élevèrent. L’homme et sa compagne la regardaient, un grand sourire aux lèvres. Ils lui paraissaient gentils, mais elle était encore trop surprise pour surmonter sa timidité. Plus loin, elle vit une grande table ainsi que plusieurs chaises en bois. Plus loin encore, quatre portes se dressèrent face à elle et l’empêchèrent de poursuivre son exploration. Des bruits de pas la poussèrent à se retourner. L’homme approchait. Debout, il lui donnait l’impression d’être un géant. Ne sachant à quoi s’attendre, elle se roula en boule et attendit, tremblante. L’hôte ouvrit les portes et lui laissa ainsi la possibilité de visiter le reste de la maison. Elle découvrit alors la salle de bain, une pièce qui servait de bureau et une autre à entreposer un tas de choses comme des cartons, des sacs, des vêtements… La dernière pièce était une chambre. Un grand lit se dévoila sur sa gauche quand elle y entra, et une grande armoire se dressa en face. Elle la parcourut de long en large, se laissant diriger d’une odeur à une autre par son odorat. Puis elle s’immobilisa brusquement et tourna vivement la tête. Quelqu’un la regardait ! Fourrure gris velours, un trait blanc lui découpait la tête en deux du sommet du crâne à la pointe du museau et recouvrait ses pattes et le bout de sa queue, tel un pinceau. C’était sa sœur ! Elle s’approcha. Sa sœur aussi. Lorsque les deux se retrouvèrent l’une en face de l’autre, elles tendirent le cou pour se renifler, mais, curieusement, elle ne ressentit rien. Comme c’était étrange. De plus, en y regardant de plus près, elle constata quelques différences avec sa sœur, subtiles, certes, mais qui suffisaient à lui faire comprendre que ce n’était pas elle qui lui faisait face. Qui alors ?Elle voulut contourner la nouvelle venue, mais celle-ci se dressait toujours sur son chemin, imitant sesmouvements à la perfection. Un petit nuage de buée apparut quand elle tenta de la
renifler. Elle recula alors vivement. En face aussi ! Voulait-elle jouer ? Oubliant aussitôt la buée, elle se mit en position de jeu, les pattes avant baissées, le bassin relevé, la queue fouettant l’air. L’autre aussi ! Elle s’apprêtait à bondir quand l’homme qui l’avait sorti de sa boite se mit à rire de bon cœur. Elle redressa la tête, plus intriguée que jamais. Le son de sa voix venait de derrière elle, mais elle le voyait en face, juste derrière le chiot qu’elle venait de prendre pour sa sœur. Comment était-ce possible ? Elle se retourna et découvrit son hôte dans l’encadrement de la porte, toujours souriant. Son regard bascula de l’un à l’autre. Là, c’était vraiment étrange… Des questions fusèrent à toute allure dans sa tête et elle n’avait aucune réponse à leur apporter. Un sifflement capta soudain toute son attention. Cela venait de la première pièce qu’elle avait vue, là où il y avait le canapé. L’homme s’écarta pour la laisser passer tandis qu’elle tentait de courir de sa démarche mal assurée. Lorsqu’elle arriva sur place, la femme lui avait installé un gros coussin avec quelques jouets qu’elle ne remarqua pas et était accroupie à côté de deux petites gamelles. Soudain méfiante, elle ralentit et s’approcha doucement afin de prendre le temps de renifler le contenu de chacune. Il y avait de l’eau dans celle de gauche, une odeur de viande séchée dans celle de droite. L’eau à la bouche, elle sélectionna quelques croquettes qui croustillèrent sous ses petites dents pointues. Après quelques lampées d’eau fraiche et un petit rot pour faire passer le tout, elle quitta sa position. L’homme et la femme s’étaient installés l’un à côté de l’autre dans le canapé. Ils lui jetèrent des regards en coin, mais le chiot ne se douta de rien. Croyant échapper à la vigilance de ses nouveaux hôtes, elle continua d’arpenter les lieux en laissant trainer sa truffe partout où des odeurs inconnues la guidaient. Et il y en avait ! Après un certain temps, l’homme siffla. Intriguée par ce son aigu, elle accourut dans sa direction. Ce dernier pointait du doigt le gros coussin et articula des mots qu’elle ne comprenait décidément pas. Il se mit alors à tapoter sur le bord du tissu. Le chiot s’approcha encore. Quand elle fut à portée, il la saisit et la posa au centre du coussin tout en continuant à lui parler et à tapoter au niveau de ses pattes. «Coucher» finit-elle par comprendre. Elle avait su déchiffrer un mot, mais était bien en peine pour savoir ce qu’il signifiait. L’homme exerça alors une petite pression sur ses hanches et la fit s’allonger. Il la caressa et continua de lui parler durant un petit instant, le temps qu’elle se calme. Puis il se leva et rejoignit la femme à qui il passa un bras derrière la tête. Le chiot resta immobile durant plusieurs minutes, à observer les faits et gestes de ses hôtes, à écouter les nouveaux bruits qui assaillaient ses oreilles, à sentir les nouvelles odeurs qui ne cessaient de capter son attention. Puis elle se sentit seule et délaissée. Trouvant cette sensation désagréable, elle se releva et entreprit de rejoindre ses hôtes. Après tout, mieux valait se faire caresser par des inconnus que de rester seule. Elle s’approcha du bord du coussin. «Non !» Elle s’immobilisa, comme foudroyée. L’homme la regardait et tendait un doigt dans sa direction. À la réflexion, elle comprit que ce n’était pas elle qu’il désignait, mais le coussin. Nul besoin de dessin pour comprendre cette fois. Dans un soupir, elle fit volte-face, tourna plusieurs fois sur elle-même et se coucha en boule, tête tournée vers le canapé. Certainement pas disposée à dormir, elle tenta d’amadouer ses hôtes en gémissant. Aucune réaction. Peut-être ne l’entendaient-ils pas. Elle gémit plus fort. Toujours rien. Elle leva la tête et commença à faire semblant de pleurer. Pas même l’ombre d’un regard. Le faisaient-ils exprès? Elle pleura donc plus fort encore. Soudain, l’homme la fusilla du regard et frappa une fois dans ses mains. Son petit cœur bondit dans sa poitrine
et elle sursauta. Elle avait compris. C’était fini pour aujourd’hui. Résignée, elle prit une grande inspiration, posa la tête sur ses pattes avant et poussa un long soupire d’exaspération. Dans le canapé, la femme plaça une main devant sa bouche pour dissimuler son sourire. De son côté, l’homme détourna le regard, incapable de cacher son hilarité et sa joie. Peu après, le chiot s’endormit et ronfla légèrement. Sa journée avait été riche en émotion et son sommeil était agité. Lorsqu’elle se réveilla, il faisait noir et elle n’y voyait presque rien. Où était-elle ? Où était sa mère ? Où étaient ses frères et sœurs qui lui tenaient chaud durant la nuit ? Perdu, apeuré, le chiot quitta le coussin et déambula sur le carrelage à la recherche d’un réconfort. Soudain, elle s’arrêta. Un petit besoin s’imposait. Une fois soulagée, elle reprit son chemin en reniflant à tout va. L’odeur de ses hôtes la conduisit jusqu’à la chambre à coucher. La porte était malheureusement fermée. Ne supportant plus d’être seule, elle commença à gémir. Elle gratta le bas de la porte et pleura de plus en plus fort. Hélas, personne ne vint à elle. Personne ne vint la réconforter. Elle était seule et le resterait. Ses pleurs se transformèrent alors en cris de désespoir. «Coucher !» gronda une voix grave. Aussitôt, une image se forma dans l’esprit du chiot. C’était celle de son coussin. Elle ne voulait pas retourner se coucher, mais au ton de la voix de son hôte, elle comprit que cela n’était pas négociable. À contrecœur, elle y retourna, s’y coucha en boule, et pleura encore un peu avant de s’endormir la boule au ventre. Lorsque la porte de la chambre s’ouvrir enfin, des rayons de lumière traversaient la partie haute des fenêtres et baignaient la grande pièce d’une aura dorée. Comme s’il avait le feu aux trousses, le chiot quitta son coussin aussi vite que ses petites pattes le lui permirent et courut rejoindre ses hôtes. Il fut accueilli par une petite ovation de la part de la femme à qui il renifla les pieds et lécha les jambes recouvertes d’une fine pellicule de sueur. L’homme suivait et eut le droit au même traitement de faveur. En retour, elle reçut un petit biscuit et des caresses stimulantes. Elle aimait ça et lécha de plus belle tout ce qui passait à portée de sa bouche et de sa petite langue rose. Puis l’homme et la femme se mirent à table. De nouvelles odeurs vinrent chatouiller son odorat. Le museau frémissant, le chiot s’approcha, désireux de gouter la nourriture alléchante. La tête haute, il passa et repassa devant comme sous la table, se frottant contre les jambes de ses hôtes. Mais ni l’un ni l’autre ne daigna la regarder. Elle se dressa alors sur ses deux pattes arrière et prit appui sur la jambe de l’homme. « Non ! » Surprise, elle descendit aussitôt. Cependant, elle n’avait pas encore dit son dernier mot. Elle refit les cent pas puis alla vers la femme. Peut-être serait-elle plus clémente… Raté ! Elle essuya un nouveau refus. Tout en repartant bredouille, le chiot soupira pour manifester son mécontentement. Puisqu’ils ne voulaient pas lui donner à manger, l’intérêt qu’elle nourrissait pour ses hôtes disparut bientôt et elle s’éloigna pour explorer d’autres horizons. Elle arriva devant sa gamelle, avala quelques croquettes, but un peu d’eau, puis retourna à son coussin. Lorsqu’elle se coucha, un petit sifflement sous ses fesses la fit sursauter et elle se retrouva de nouveau sur quatre pattes. Elle regardait tout autour d’elle quand quelque chose heurta ses pattes avant. L’odeur de cette chose était étrange. Elle observa l’objet, le renifla consciencieusement, mais ne parvint pas à déterminer sa nature. Cela ne ressemblait à rien qu’elle avait déjà vu. Elle posa sa truffe dessus, appuya et redressa subitement la tête quand le bruit se reproduisit. Plus intriguée, ses oreilles se redressèrent et elle gratta la puce de la patte. Le bruit retentit une fois encore, plus étouffé toutefois. Elle bondit en arrière, se baissa sur ses pattes avant et garda le bassin levé, prête à charger. Qu’était-ce ? La puce était immobile sur le coussin. Deux yeux dessinés dessus la fixaient sans ciller, ce qui l’intrigua davantage. Sa queue
fouetta l’air de plus en plus fort. Pourquoi cela ne bougeait-il pas ? Pourquoi est-ce que cela la fixait ainsi ?Elle fit mine de bondir, mais se retint au dernier moment. Aucune réaction de la part de l’étrange jouet. Un grondement résonna dans sa gorge suivie d’un jappement aigu. Elle se redressa. Était-ce elle qui venait de crier ainsi ? Derrière elle, des rires attirèrent son attention. Toujours attablés, ses hôtes la regardaient sans rien dire. L’instant d’après, la femme se leva et débarrassa la table avant de disparaitre dans la salle de bain. L’homme, quant à lui, se dirigea vers le chiot. Des mots sortirent de sa bouche tandis qu’il approchait, mais la jeune femelle n’en comprit toujours pas le sens. La queue ballant toujours de droite à gauche, elle vint aussi à sa rencontre. Une main lui caressa le dos et le sommet du crâne, ce qui déclencha en elle une série de frissons agréable. Puis, l’homme s’accroupit à côté de son coussin, saisit le jouet et le pressa. Chaque pression déclencha un nouveau sifflement aigu qui assaillit les oreilles du chiot. Tout en lui faisant produire du bruit, l’hôte approcha le jouet de son museau. Intriguée, elle tendit le cou pour le prendre, mais déjà le jouet lui avait été retiré. L’homme la regardait avec un grand sourire. Il approcha une fois encore le jouet et le retira avant qu’elle ne puisse le saisir. Pas assez rapide ! Elle recommença et tenta de faire mieux, en vain. Elle grogna de frustration et se vit pousser de la main par l’homme. Incapable de résister à cette force, elle perdit l’équilibre, roula sur le dos et se releva d’un bond. C’était amusant! La bouche entre ouverte, babines retroussées, elle découvrit une fine rangée de dents blanches et pointues, et resta sur le qui-vive, prête à charger. L’homme tendit sa main. Elle bondit. Ses mâchoires se refermèrent sur le bord en caoutchouc du jouet. Gagnée! Décidée à ne plus laisser partir sa proie, elle tira de toutes ses forces en arrière. Elle glissa sur le sol carrelé et ne parvint à rien avec cette méthode. Les dents solidement agrippées au jouet, elle réessaya, par à-coups réguliers cette fois. La puce glissa progressivement entre les doigts de l’homme qui finit par lâcher prise. Victorieuse, elle secoua vigoureusement la tête pour exposer son trophée qui siffla à chaque fois qu’il heurtait un côté ou l’autre de ses mâchoires. L’homme tendit sa main pour récupérer le jouet. Pas question qu’il s’en tire à si bon compte ! Comme s’il voulait protéger son bien le plus précieux, le chiot se tourna, préférant exposer son dos plutôt que de se voir privée de sa puce. La main tenta de passer par la droite, puis vers la gauche, au-dessus d’elle, puis en dessous. À chaque fois, le chiot se tourna, chassa la main de ses hanches ou se contorsionna pour conserver sa prise hors de portée. Lorsque la main repartait ,elle refaisait face à l’homme et tendait le cou pour l’inciter à venir chercher le jouer. L’hôte se prit au jeu, lui aussi, et il poussa le chiot dans une direction pour tenter de passer par le côté opposé, il feinta dans un sens, puis dans l’autre. Le chiot grogna, mais d’excitation cette fois. Finalement, son hôte parvint à récupérer la puce et retira sa main avant qu’elle n’ait le temps de faire quoi que ce soit. Il leva le bras, si haut qu’elle dût reculer pour pouvoir conserver son jouet en vue. Le bras s’abaissa et la puce fut projetée à travers tout le salon. Ni une ni deux, elle fit volte-face et courut après. Ses petites pattes glissèrent sur le carrelage, et quand elle rattrapa son jouet, celui-ci s’était déjà arrêté de bouger depuis quelques secondes. Elle sauta tout de même dessus, le mordilla et le secoua frénétiquement, si bien qu’elle en oublia même son hôte. L’homme remplaça ensuite la femme dans la salle de bain. Au passage, la femme caressa le chiot, mais ne s’y attarda pas. Elle continua de s’affairer. La petite femelle perçut le changement et cessa de jouer. Elle fut prise d’une envie soudaine. « Non ! »
Avant qu’elle n’ait le temps de comprendre qu’on s’adressait à elle, le chiot fut saisi par la peau du cou, soulevé de terre et déposé sur une feuille de papier journal posé devant la porte d’entrée. Elle leva la tête, les oreilles tombant de chaque côté de sa tête tandis qu’elle se faisait gronder. Qu’avait-elle fait de mal ? Elle vit alors la femme désigner la petite flaque qui se répandait doucement sur le carrelage puis pointer le journal du doigt tout en maugréant. Le chiot la regarda attentivement. Voudrait-elle qu’elle fasse ses besoins sur le journal ? Quel intérêt ? La réprimande passée, la femme regarda le chiot quitter le journal pour s’en aller vers son coussin, la queue entre les pattes. La femelle réfléchit à ce qui venait de se passer, pas certaine d’avoir saisi le message. Distraite par une odeur passagère, elle en oublia presque aussitôt le sermon et se laissa guider par son flair. Quand l’homme sortit de la salle de bain, les choses allèrent très vite. Chacun courut à droite et à gauche, s’embrassa en passant par ici, caressant le chiot en passant par là. Après avoir fermé toutes les portes, les deux hôtes ouvrirent la porte principale et la refermèrent derrière eux. Le silence se fit si soudain que le chiot mit un instant à comprendre qu’il se retrouvait désormais seul. Mais après toute cette agitation, cela n’était pas pour lui déplaire. Il avança à pas hésitant, renifla le pied du canapé, le carrelage, la table de cuisine… et se sentit bientôt très seul, trop même. Tout en pleurant à moitié, il poursuivit son exploration, profitant de l’absence de ses hôtes pour pouvoir mettre son museau partout, jusque dans les moindres recoins. Hélas, l’ennui ne tarda pas à la gagner et la femelle commença à pleurer. Pourquoi personne n’était-il là pour s’occuper d’elle ? L’avait-on abandonné ? Elle pleura durant un long moment avant de se fatiguer.Alors, elle se coucha sur son coussin où elle dormit. Elle pleura de nouveau à son réveil, par intermittence toutefois. Le temps passa. D’abord des minutes, puis des heures. Les ombres se déplacèrent sur le sol carrelé avant de s’allonger. Le chiot s’était lové sur son coussin et respirait lourdement. Non loin, ses gamelles étaient restées intactes. Dans le chagrin de sa solitude, il n’avait pas trouvé le goût de manger ou de boire. Il avait cessé de pleurer, mais ne se sentait pas moins triste pour autant. Tout à coup, un tintement métallique derrière la porte d’entrée lui fit redresser la tête. Des voix l’accompagnèrent. Son cœur bondit dans sa petite poitrine tandis qu’il quittait son coussin au pas de course pour rejoindre la grande porte qui pivota sur son axe. Ses hôtes étaient de retour ! La queue fouettant l’air à tout va derrière elle, la femelle hésita, mais ne put s’empêcher d’approcher en dodelinant et en pleurant de joie. Elle ne s’en aperçut pas, mais quelques gouttes d’urine parsemèrent le sol sur son passage tandis que sa vessie se relâchait sous le coup de l’émotion. Elle agrippa leurs jambes tour à tour, réclamant un tas de caresses qu’elle n’avait pas pu obtenir durant cette longue journée. Ces derniers, afin de pouvoir entrer, furent obligés de la repousser gentiment, mais ne furent pas avares. Tout en prodiguant un feu nourri de caresses et de petites tapes sur ses fesses qui promettaient d’être musclées, l’homme inspecta le salon. Quelques besoins étaient visibles ici et là, que la femme s’empressa d’essuyer pendant que l’homme occupait le chiot, mais aucun dégât n’était à déplorer sur les meubles. Les jours qui suivirent se ressemblèrent en bien des points. Bien que toujours affecté par la solitude, le chiot commença à assimiler le rythme qui lui imposaient ses hôtes et parvint même à anticiper leur retour avec de plus en plus de précision. Mais vint un jour qui sembla différent des autres. Dans un premier temps, l’homme et la femme se levèrent plus tard. Ensuite, ils semblèrent moins tendus qu’à l'accoutumée. Ils prirent le temps de discuter durant leur repas du matin, s’embrassèrent, vinrent même s’asseoir dans le canapé pour se blottir l’un contre l’autre. La femelle les regarda, plein d’espoir dans les yeux. Allaient-ils rester avec elle aujourd’hui? Elle s’approcha.
L’homme se pencha pour l’attraper et la posa sur ses genoux tout en lui parlant. «Isis» finit-elle par comprendre. Isis ? Était-ce ainsi qu’il souhaitait l’appeler ? L’homme répéta ce mot plusieurs fois en la fixant droit dans les yeux. Elle se souvint alors l’avoir déjà entendu prononcer ce mot à son attention. Une étrange sensation naquit tout à coup en elle. À cet instant, elle prit conscience de ne plus être qu’une simple invitée passagère dans cette maison. Elle prit conscience que l’homme et la femme qui se tenaient à ses côtés n’étaient plus de simples hôtes qui lui donnaient à manger et jouaient avec elle de temps en temps. Pour la première fois depuis trop longtemps à son goût, elle se sentit vraiment bien, vraiment chez elle. Elle avait retrouvé une famille, une famille bienveillante. Elle était heureuse. Le chiot regarda son maître… oui, réalisa-t-il, il le considérait désormais comme étant son maître. Si la matinée s’était écoulée paisiblement, l’après-midi s’avéra être riche en émotion. Pour la première fois depuis qu’elle était arrivée dans sa nouvelle maison, Isis sortit en plein air. Son cœur battait la chamade et sa tête s’agitait de droite à gauche à chaque bruit qu’elle entendait. Elle avait déjà entendu la plupart, mais, une fois la porte d’entrée passée, ceux-là semblaient tous exacerbés au point d’être agressifs. Bien qu’elle soit protégée par les bras de sa maîtresse qui la tenait fermement contre elle, la femelle ne put s’empêcher de se sentir vulnérable face au monde immense qui se dévoilait sous ses yeux. Le soleil brillait si fort qu’il en était éblouissant. Le vent chaud s’engouffrait dans ses poils et lui fouettait le visage. Quant aux odeurs… Elles l’assaillirent par milliers. Il y en avait partout, de tout type, si bien qu’Isis ne sut dire d’où elles provenaient. Ses maîtres entrèrent dans une étrange boite. La chaleur y était plus étouffante encore. Isis tenta de se dégager, mais sa maîtresse la tenait fermement. Au moins le bruit était-il moins oppressant à l’intérieur. Il diminua davantage lorsqu’une secousse suivie d’un ronronnement retentit. Isis se souvint alors d’avoir entendu le même bruit lorsqu’elle était arrivée dans sa nouvelle famille. Le ronronnement s’accentua et la boite métallique dans laquelle ils se trouvaient commença à avancer. Le voyage ne dura pas longtemps, mais fut plaisant. Le chiot se redressa sur ses pattes arrière et observa tout ce qui l’entourait. À l’extérieur, le paysage défilait à une vitesse impressionnante, pourtant elle n’avait pas l’impression d’être en mouvement. Lorsqu’ils s’arrêtèrent, la femme sortit en la tenant toujours contre elle. Ses maîtres se dirigèrent alors vers un petit bâtiment dans lequel ils entrèrent. À l’intérieur, l’air était frais et une quantité incroyable d’odeurs se dévoila d’un coup. Isis distingua immédiatement la présence d’autres animaux et sentit des relents de produits. Sur sa droite, un petit chien tenu en laisse par une grosse dame ne cessait d’aboyer malgré les remontrances qu’il essuyait. Il semblait être en détresse et celle-ci fut rapidement communiquée à Isis qui se fit la plus petite possible. Sa maîtresse sentit son angoisse et la serra contre sa poitrine tout en la caressant doucement. «Chuuut» murmura-t-elle à son oreille. Le cœur battant à tout rompre, Isis tenta de se calmer. Finalement, elle posa la tête contre l’épaule de la femme et s’endormit. La femelle se réveilla quand sa maîtresse se mit en mouvement. Ils furent conduits dans une petite pièce tapissée de blanc et à l’odeur âcre. Ses maîtres s’assirent face à une troisième personne en blouse blanche qu’elle n’avait jamais rencontrée. Enfin libérée de l’étreinte de la femme, Isis put enfin marcher librement dans la petite salle. Tout en l’observant, l’inconnu parlementait avec ses maîtres. Après quelques minutes, l’homme en blouse se leva, souleva le chiot et le plaça sur une petite table haute. Isis fut observée sous tous les angles. Sa queue, ses pattes, ses griffes, ses oreilles, ses dents… tout y passa ! Jamais elle ne s’était sentie ainsi observée ! Quand on la relâcha enfin, elle
poussa un soupir de protestation qui sembla faire rire les trois individus. Tandis que l’inconnu s’éloignait, son maître s’approcha d’elle et la caressa doucement. Le cœur du chiot battit à un rythme plus lent. C’est alors qu’une vive démangeaison la foudroya dans le dos. Le chiot se débattit, jappa, mais son maître le tenait fermement et il lui fut impossible de se dégager. Puis, aussi vite qu’elle était apparue, la douleur cessa. Isis se retourna vivement, renifla l’endroit où elle avait ressenti la piqûre, mais ne trouva rien. On la laissa encore un instant sur la table. L’homme en blouse la caressa distraitement tout en conversant avec ses maîtres. Une fois reposée au sol, elle se hâta d’uriner pour se venger de ce qu’on venait de lui infliger. Après la visite chez l’homme en blouse blanche, ses maîtres placèrent autour du cou de la jeune femelle un collier en tissus. Au début, Isis avait tenté de s’en débarrasser par tous les moyens, tentant de se contorsionner, de se dévisser la tête pour l’attraper du bout des dents,en se grattant avec les pattes arrière… Mais elle avait dû se résigner. Seuls ses maîtres pourraient le lui retirer. A défaut d’avoir d’autres choix, elle s’y habituerait. Les deux jours qui suivirent furent sensiblement identiques aux premiers, ses maîtres la laissant seule la majeure partie de la journée. Le troisième, quant à lui, fut d’un tout nouveau genre pour Isis. Son maître, après un réveil plus matinal que d’habitude, attacha ce qui lui sembla être une corde à son collier et la conduisit dehors. Hésitante, Isis fit toutefois suffisamment confiance à son maître pour lui emboiter le pas. Mais, lorsqu’ils arrièrent sur le trottoir, le chiot fut tétanisé. Le vent matinal était frais et les petites bourrasques irrégulières manquaient de lui faire perdre l’équilibre. Le sol sous ses coussinets était rugueux et pourrait s’avérer irritant à la longue. Mais le pire restait sans conteste la quantité astronomique d’odeurs qui l’assaillait. Il y en avait tant qu’elle ne savait plus où donner de la tête. Sans parler du bruit… Son maître fit quelques pas, jusqu’à ce que la laisse se tende derrière lui. Isis n’avait pas bougé d’un poil. Les yeux écarquillés, elle se tassa plus qu’elle ne s’assit et tourna la tête à chaque bruit qu’elle entendit. Une boite métallique, une autre qui klaxonnait, des sirènes qui retentissaient au loin, une cloche qui sonnait au coin de la rue, un homme qui parlait fort sur le trottoir opposé… Il y avait tant de choses qu’elle se sentait perdue. Elle se sentit minuscule et fragile dans ce monde géant. «Isis»
Son maître l’appelait. Il s’était accroupi et lui tendait une main pour l’encourager à approcher. Son regard était serein, amical même. Contrairement à elle, il ne semblait pas être incommodé par tout ce qui l’entourait. Le chiot avait envie de le rejoindre, mais son corps refusait d’avancer. L’homme s’en aperçut. Il fouilla dans ses poches et brandit un petit biscuit. Isis redressa la tête, l’eau lui montant déjà à la bouche. Une récompense ! «Allé, Isis. Viens! » Elle avait peur, mais la vue du biscuit commençait à dissiper ses craintes. Isis savait que pour en bénéficier, elle devait faire plaisir à son maître. Et elle avait envie de lui faire plaisir, de mériter la récompense. Le chiot tendit le cou et avança une patte. Le reste de son corps suivit. Nouvel encouragement, nouveau pas. Finalement, Isis parvint à rejoindre son maître et dégusta le biscuit bien mérité tout en se laissant caresser. Après cela, elle se dressa sur ses pattes arrière pour supplier son maître de la prendre dans ses bras, mais ce dernier s’éloigna à nouveau de quelques pas. Il sortit un autre biscuit et encouragea encore la jeune femelle. Après plusieurs essais, et plusieurs biscuits engloutis, Isis se lassa de ce petit jeu et décida de ne plus avancer. Conciliant, son maître revint vers
elle, la souleva de terre et la glissa sous son manteau, à l’abri du vent et des éléments extérieurs. Reconnaissante, elle lui lécha la main. Isis vécut une expérience identique le soir même. Cette fois, ce fut sa maîtresse qui l’accompagna. La promenade ne fut guère plus glorieuse, mais Isis trouva néanmoins quelques odeurs intéressantes. Les jours suivants lui permirent de prendre confiance en elle. Elle commençait à connaitre la zone du trottoir et l’appréhendait de moins en moins. Elle fut également surprise de susciter autant d’intérêt. En effet, à chaque fois qu’ils la voyaient, des enfants se précipitaient sur elle pour pouvoir la caresser et la porter. Même leurs parents semblaient intrigués par cette petite boule de poils sur le trottoir et s’arrêtaient un instant pour discuter avec ses maîtres pendant qu’Isis était occupée à lécher et à jouer avec les enfants. Tout se passait pour le mieux. Bientôt, désireuse de passer plus de temps dehors, d’aller plus loin et de sentir d’autres odeurs, ce fut Isis qui les pressa de sortir. Le chiot, désormais plus robuste que lors de son arrivée, sautait devant la porte pour se faire comprendre. Elle avait appris à aimer les promenades, mais pas encore compris leur réel intérêt pour ses maîtres. Elle le comprit un mois plus tard, lorsque, par le plus grand des hasards, elle ne put se retenir d’uriner au pied d’un trottoir. S’attendant à se faire sermonner, elle resta ébahie quand elle reçut une vague de caresses, de félicitations et même un biscuit pour l’occasion. Peu après, le journal disparut de devant la porte d’entrée et Isis sut qu’elle devait désormais se retenir pour faire ses besoins dehors. La vie du chiot fut paisible. Isis avait compris qu’elle passerait beaucoup de temps seule et trouvait toujours une solution pour faire passer le temps. Ses journées s’enchainaient, aujourd’hui étant presque toujours un autre hier, mais elle aimait cela. Ses maîtres lui donnaient à manger et à boire, ils la laissaient dormir à sa guise, n’étaient pas avare en caresses et elle était promenée deux à trois fois par jour. Cela suffisait à son bonheur. Parfois, on la conduisait chez l’homme en blouse blanche qu’elle regardait toujours avec méfiance depuis sa première expérience. Mais ses maîtres étaient à ses côtés et elle leur faisait entièrement confiance pour veiller sur elle dans ces moments là. Un jour, il y eut une promenade particulière. Son maître, qui habituellement lui demandait de marcher à côté d’elle, se mit à courir. Prenant cela pour une course, Isis partit aussitôt dans un sprint, mais fut stoppée par la longueur de la laisse. «Au pied, Isis !» Une course au pied? Le chiot, désormais âgé de six mois, était plein d’énergie et ne comprenait pas la requête de son maître. Il revint donc au pied, comme on le lui avait appris, jusqu’à ce que l’homme recommence à courir. Ni une ni deux, Isis s’élança et fut rapidement bloquée par la longe. «Au pied, Isis !» Il faut savoir! Isis se retourna, regarda son maître et soupira. Que voulait-il à la fin? Ils recommencèrent plusieurs fois l’exercice avant d’abandonner. La même expérience fut refaite quelques jours plus tard, puis plus tard encore. Isis mit du temps à comprendre que son maître ne voulait pas s’époumoner en un seul sprint, mais courir sur une longue période. Dès que cela fut acquis, le chiot découvrit alors une nouvelle sensation: l’épuisement. Ses muscles travaillèrent durement et se dessinèrent progressivement sous sa robe soyeuse grise, chaque fibre ondulant gracieusement à chaque mouvement. L’animal avait également développé un appétit énorme, conséquence de l’activité physique qu’il devait fournir. Sa masse musculaire devint impressionnante, mais toujours harmonieuse. Parfois, ils couraient moins longtemps, mais s’adonnaient ensuite à d’autres jeux tout aussi exaltants comme sauter au-dessus de plusieurs obstacles, passer sous d’autres, courir après un bâton ou une balle. D’autres fois, il s’agissait plutôt de jeux ludiques qui
apprenaient à Isis à obéir à la parole de son maître, celle-ci devant rester assise tandis que son maître s’éloignait avant de le rejoindre sur son ordre, de ne pas se ruer sur la nourriture, de ne pas courir après les autres chiens ou sauter sur les individus qu’elle croisait. Étrangement, plus Isis grandissait, moins on s’intéressait à elle à l’extérieur, durant ses promenades. Plus étrange encore, les parents qui autrefois discutaient avec ses maîtres tout en laissant leurs enfants jouer avec elle préféraient parfois changer de trottoir en la voyant. Isis n’en comprit pas les raisons, tout comme elle ne comprit pas pourquoi ses maîtres l’affublèrent bientôt d’un masque noir lorsqu’ils sortaient. Ne comprenaient-ils pas que ce morceau de tissu lui empêchait d’ouvrir la gueule? Mais, mis à part ces quelques petits désagréments de passage, la vie d’Isis continuait d’être plaisante. Ces maîtres restaient attentifs à elle et cela seul comptait vraiment. Les jours passèrent, puis les semaines, et enfin les mois. Le chiot était devenu un beau chien, tout en muscle, obéissant, et parfaitement adapté à son environnement. Un beau jour cependant, ses maîtres partirent précipitamment de la maison. Ils restèrent absents longtemps, plus que d’habitude, ce qui inquiéta Isis. Lorsqu’ils rentrèrent enfin, la femme tenait un petit paquet contre son corps. Celui-ci était enroulé de tissu blanc et l’odeur qui s’en dégageait intrigua particulièrement le chien. Ce dernier resta le museau en l’air jusqu’à ce qu’on le lui montre. Après s’être débarrassés de leurs manteaux, ses maîtres s’assirent sur le canapé. L’homme la saisit par son collier tandis que la femme semblait protéger de ses bras ce qu’elle tenait. Curieuse, Isis renifla dans sa direction et ce qu’elle sentit toucha une corde sensible chez elle. Qu’était-ce là ? Elle tenta de s’approcher, mais fut stoppée par son maître. «Doucement !» L’homme la rappelait à l’ordre. Isis avait remarqué que sa force était devenue importante, au point de parfois bousculer ou de pouvoir faire mal sans s’en rendre compte. Au son de la voix de son maître qu’elle affectionnait particulièrement, elle posa délicatement sa grosse tête sur les genoux de sa maîtresse. Cette dernière commença donc à écarter le tissu et dévoila ce qu’il recouvrait. Isis vit une main miniature se lever, rose et délicate. Un petit! Isis le regarda s’agiter, mais il restait parfaitement silencieux. Elle le contempla un moment, sans ciller. Puis elle avança prudemment la tête, toujours retenue par son maître, et renifla attentivement le bambin. L’odeur, tout en restant différente de tout ce qu’elle avait connu, n’était pas sans lui rappeler l’homme en blouse blanche. La tension sur son collier se dissipa peu à peu tandis qu’elle ne faisait aucun mouvement brusque. À compter de ce jour, la vie d’Isis ne fut plus jamais la même. Ses maîtres restaient toujours attentifs à elle, mais ses nuits étaient régulièrement interrompues par les pleurs du bébé. Lui qui était si silencieux à son arrivée était désormais loin de se faire oublier. Sa maîtresse restait à la maison pour s’occuper de son petit, ce qui permettait au chien d’avoir de la compagnie en permanence. Le temps passa. L’enfant grandit, devint un petit garçon et un nouveau compagnon de jeu pour elle. Isis se retrouva de nouveau seule la journée, mais s’amusait bien plus le soir venu. Le jeune Timothée et elle s’adoraient. Dès qu’ils se retrouvaient, les séparer devenait une affaire d’État. Sur le dos, Isis savourait les caresses incessantes des petites mains parcourant son ventre et se délectait du rire mélodieux qu’il poussait quand elle lui léchait abondamment le visage et ébouriffait ses cheveux. Lorsque toute la famille arrivait à se réunir, il leur arrivait de l’emmener en promenade durant la journée entière. Ses maîtres mangeaient sur une couverture, à l’ombre lorsque le soleil tapait fort. Attachée à une corde reliée à un piquet enfoncé dans la terre, elle pouvait circuler sur un large rayon, se rouler dans l’herbe verte, manger et boire quand elle le voulait… Puis venaient les jeux. Son maître sortait un ballon qu’il lançait à son fils, qui le lançait ensuite à sa mère et qu’Isis
venait immanquablement intercepter. Cela faisait beaucoup rire Timothée qui regardait ensuite, complètement hilare, son père jouer avec le chien. Isis se prenait rapidement à toute sorte de jeu. Celui du ballon n’échappait pas à la règle. Sa tête, bien que massive, restait relativement petite et elle éprouvait toujours des difficultés à le saisir dans sa gueule. Généralement, le ballon tournait sur lui-même et lui échappait ce qui l’obligeait à courir après, à changer rapidement de direction… Un jour, alors qu’Isis et son maître jouaient au ballon sous le regard amusé de sa maîtresse et de son fils, le chien parvint à mordre dans le ballon. Ses mâchoires se contractèrent et la pression fut telle que le ballon éclata. Le bruit surprit autant le chien que ses maîtres. Il lâcha le ballon et se coucha, oreilles baissées, certain d’avoir fait de travers. Son maître approcha prit le ballon et le regarda. De petits trous montraient là où les dents s’étaient enfoncées tandis qu’un autre, large comme un poing, montrait là où le ballon avait éclaté. L’homme sembla surpris, mais ne la sermonna pas. Après un haussement d’épaules, il se releva et jeta ce qui restait du ballon pour qu’Isis coure le lui chercher. Un jeu pouvait toujours en remplacer un autre. Le temps continua à s’écouler. Les beaux jours se succédèrent et laissèrent la place à des températures plus basses, de la pluie et du vent. S’ils ne pouvaient plus manger dehors pour l’instant, Isis profitait néanmoins de la chaleur provenant des flammes de la cheminée et continuait à couler des jours heureux. Du coin de l’œil, elle vit son maître enfiler un manteau et une cagoule à Timothée. Le petit garçon tenait toujours à accompagner son père ou sa mère lorsque venait l’heure de la promenade. Profitant des derniers instants de chaleur, elle fit mine de ne pas comprendre, mais sa queue s’agita sur le sol. Elle était toujours aussi heureuse de sortir. «Promener !» C’était le signal. Isis se leva et trottina jusqu’à son maître qui la musela et l’attacha avant de sortir. Le contraste fut saisissant, mais son poil la protégeait bien. Dehors il faisait déjà noir et une pluie fine tombait sur eux. Ils déambulèrent dans les rues sans croiser qui que ce soit. Avec l’hiver qui approchait, les odeurs changeaient également. Comme à son habitude, Isis les savourait toujours autant, le museau pratiquement collé au sol en permanence. Elle connaissait le parcours. Elle l’avait déjà fait des centaines de fois. Il s’agissait d’un simple tour du quartier. Ni trop court ni trop long. Parfaitement adapté au climat actuel. Ils s’engagèrent dans une petite ruelle non éclairée, le seul passage sombre du parcours. On n’y voyait pas très loin. Un homme se découpa face à eux. Isis releva la tête et ses oreilles s’aplatirent sur sa tête. Elle gronda. «Au pied, Isis !» Le chien obéit. Il garda cependant le regard rivé sur l’inconnu qui approchait. Celui-ci marchait lentement, les bras autour de son buste et la tête dans les épaules, comme pour conserver sa chaleur corporelle. Le maître attira Timothée plus près de lui et, ensemble, ils poursuivirent leur chemin. L’inconnu les fit s’arrêter et parla avec son maître. Il ne tenait pas en place et ne cessait de lancer des regards furtifs au chien. Le maître voulut passer, mais l’inconnu l’en empêcha. Ils parlèrent encore. Timothée regardait avec de grands yeux, mais ne disait rien. Le maître baissa les yeux vers son fils puis fouilla ses poches pour en sortir des objets au tintement métallique. Il donna tout à l’homme qui refusa toujours de les laisser passer. Le ton monta entre les deux hommes. Isis n’aimait pas ça. Que voulait cet homme? Pourquoi ne les laissait-il pas terminer la promenade tranquillement ?Perdant patience, le maître le bouscula et voulut passer. C’est alors que l’inconnu dévoila un long bâton et le frappa au visage. Il avait frappé son maître ! SON MAÎTRE ! Son sang ne faisant qu’un tour, Isis grogna et voulut sauter sur l’homme qui recula. Mais, tout en titubant en arrière, son maître tendit la laisse et le chien fut stoppé en plein élan. L’inconnu
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