De l Oubli à l Histoire
374 pages
Français

De l'Oubli à l'Histoire , livre ebook

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374 pages
Français

Description

Comment vaincre l'Oubli ? L'Oubli qui enchaîne les corps et les esprits. L'Oubli qui enferme les colonisés claquemurés dans l'ignorance de l'Histoire. Dans ce passage obligé de l'Oubli à la réappropriation de l'Histoire, on comprendra mieux l'importance de la critique du vocabulaire hérité de la colonisation, la nécessité d'effectuer des recherches scientifiques et l'obligation de transmettre l'expérience des ancêtres aux générations qui montent sur le front des luttes.

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Informations

Publié par
Date de parution 15 août 2015
Nombre de lectures 6
EAN13 9782336388144
Langue Français
Poids de l'ouvrage 45 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ORUNO D. LARA
Del’Oubliàl’HistOire
Espace et identité Caraïbes
25/06/15 15:27
DE L’OUBLIÀ L’HISTOIRE
E space et identité Caraïbes
ORUNO D. LARA DE L’OUBLIÀ L’HISTOIREE space et identité Caraïbes Guadeloupe, Guyane, H aïti, Martinique
Réédition de l’ouvrage paru en 1998 à Paris, É ditions Maisonneuve et Larose Ouvrage publié avec le concours du CE NTRE DE RE CHE RCHE S CARAÏBE SAMÉ RIQUE S – CE RCAM, orunodlaracercamleblog © L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-06917-3 EAN : 9782343069173
Préface à la réédition 2015 RE CONSTRUCTION
On a appelé « Reconstruction » la période qui suit, aux É tatsUnis, l’abolition de l’esclavage et la fin de la Guerre de Sécession. La reconstruction dont il s’agit ici est une période qui débute également après une abolition de l’esclavage, celle des colonies françaises en 1848, qui ne concerne que des territoires colonisés par la France : Guadeloupe, Guyane, Martinique, Inde, La Réunion, NossyBé et Sénégal. La suppression de l’esclavage dans les colonies françaises résulte d’une décision politique prise par le Gouvernement provisoire le 25 février 1848. Les colonisés l’apprennent par le décret du 4 mars qui stipule : « Nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves ». 1 Une commission d’abolition présidée par Victor SCHŒLCHE R , sous l’autorité de son ministre ARAGO, commence ses travaux le 6 mars. La commission d’indemnité se met au travail le 19 juin sous la présidence de ROGE R (du Loiret). De la première commission sortiront les décrets du 27 avril ; de la seconde, la répartition de l’indemnité coloniale attendue si impatiemment par les colons. Une nouvelle société coloniale se profile derrière ces textes : les nouveaux libres doivent quitter leurs masures sur les plantations, sous la surveillance de la police et des gardeschampêtres nommés à cet effet. Les affranchis de la dernière heure partent sans rien en poche : aucune indemnité n’est prévue pour eux. Ils tombent en quelque sorte de Charybde en Scylla. Ils sortent du système esclavagiste pour entrer dans un autre système organisé autour du travail libre. C’est une reconstruction qui s’échafaude autour d’un marché du travail libre sous la surveillance des colons anciens propriétaires d’esclaves et de l’É tat représenté par l’administration coloniale.
1 SCHŒLCHE R avait été nommé le 4 mars soussecrétaire d’É tat à la Marine.
I
Dans cette reconstruction, tout va se jouer finalement dans une coexistence que l’É tat français va imposer aux deux groupes de colo nisés : les anciens libres et les nouveaux citoyens. Cette reconstruction s’effectue évidemment avec l’appui du groupe des colons békés, le groupe dominant de ces territoires. Cette coexistence imposée ne peut tenir qu’en se fondant sur un substrat granitique : l’Oubli du Passé. Pour comprendre l’importance des fondements de cette recons truction et se rendre compte des difficultés qui se posaient aux gouvernants de l’époque, nous devons bien circonscrire les deux groupes antagonistes. Les affranchis qui sont projetés dans une nouvelle existence après la levée d’écrous sans aucune indemnité, sans aucun logement et sans aucun travail de prévu. Que prévoient les décrets en leur faveur ? Ils possèdent le droit de vote, du moins les hommes seulement, pas les femmes. Les autorités coloniales les abreuvent de discours visant tous à les inciter à travailler, soit individuellement, soit en associations. Travailler pour un maître déterminé, bien sûr. Un maître qui pourrait certifier que tel ou tel de ces affranchis travaille pour lui ou pour un autre maître. Ses maîtres lui fourniraient un billet qu’il pourrait montrer aux gendarmes ou à la police. Car sans ce billet et sans une attestation de travail, le nouveau libre pourrait se retrouver très vite enfermé dans une geôle, accusé de vagabondage. Soulignons que les affranchis de 1848, nos ancêtres, tombèrent dans le travail libre sous la menace du chômage et du vagabondage. Car les gouvernants avaient beau parler du travail et exhorter les nouveaux libres à se mettre en quête d’un maître, il n’est pas moins vrai que pour certaines raisons que nous exposerons plus loin, l’absence de salariat et la mainmise des planteurs sur le marché du travail aboutissaient à cette vérité : le chômage s’affiche dans ces colonies dès 1848. Les nouveaux citoyens bénéficient en outre de la possibilité de se marier à l’É glise – ce qui leur est recommandé par le clergé colonial qui trouve dans cet emploi l’occasion de se refaire une virginité en quittant leurs occupations de producteurs dans l’économie coloniale – et de fréquenter l’É cole élémentaire s’ils le désirent. Les enfants de 6 à 10 ans devaient suivre cet enseignement élémentaire, mais on s’aperçoit en dépouillant les archives que les enfants des affranchis, au cours du demi siècle (18501900), ont très peu fréquenté cette école élémentaire : 6% pour les filles et 14% pour les garçons vers 1900. Résumons donc : ces nouveaux citoyens peuvent voter, peuvent aller à l’église et se marier, ils doivent travailler et trouver un maître, alors que le salariat n’existe pas encore. Sur le marché du travail (libre), les dominants qui se méfient de leurs anciens esclaves vont faire venir des
II
Africains et des Asiatiques pour servir de maind’œuvre corvéable à merci. Ce qui favorise aussi l’inexistence du salariat pendant des décennies. Quant aux anciens propriétaires esclavagistes, ils conservent leurs propriétés, leurs domaines,  je n’aime pas utiliser le terme d’« habi tations » consacré par les békés, qui n’est qu’une tentative d’atténuer la situation de la plantation fonctionnant sur un mode de production esclavagiste – et reçoivent des indemnités. E n outre, des banques coloniales créées par l’É tat doivent les aider à développer leurs cultures et à financer des usines centrales fonctionnant à la vapeur. Ces colons békés gardent leurs belles maisons et leur position sociale dominante dans la colonie. Bref, cette reconstruction qui s’annonce en 1848 et que l’É tat voudrait éterniser apparaît pour K arl MARX et son ami E NGE LS comme un second esclavage dans les colonies Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion. L’administration coloniale et ses complices les colons planteurs créoles, pour cimenter cette reconstruction, ne trouvent qu’un mot d’ordre : prôner la Réconciliation et l’Oubli du passé. Tout se joue donc dans le face à face qui oppose les travailleurs affranchis à leurs anciens maîtres toujours présents sur leurs plantations. Comment l’É tat colonial s’y prendil pour faire respecter aux nouveaux citoyens la domination foncière des planteurs békés ? Comment faire admettre aux anciens libres et aux nouveaux libres non seulement la présence sur le territoire de ces colons blancs mais également leurs richesses, leurs propriétés agricoles, industrielles et leurs banques ? Comment peuton faire coexister deux groupements aussi dissemblables qui, pendant plus de deux siècles (exactement 213 ans) ont vécu sous le régime du système esclavagiste ? Aux maîtres la possession, l’enca drement, la violence, l’enfermement des esclaves, les revenus du travail et la domination politique. Aux esclaves, les souffrances, les tortures, les mutilations, l’emprisonnement à vie, le travail obligatoire. Or, en avril 1848, les fameux décrets signés par le Gouvernement provisoire entendent rompre les chaînes, ouvrir les grilles des camps, libérer les hommes et les femmes. C’est le moment que choisissent certains propriétaires qui comptent sur le travail libre pour assurer leur production, pour prôner à tuetête la Réconciliation et l’Oubli du Passé. Ces maîtres et l’administration coloniale ne se font guère d’illusions et savent très bien que cet appel à la Réconciliation et à l’Oubli ne jouera pleinement qu’avec l’arrivée des autres générations, celles qui n’auront pas connu l’esclavage. Pour les années décisives qui s’ouvrent en mai 1848, les autorités coloniales prennent leurs précautions et arment leurs milices. Il est curieux de noter qu’il faille se rendre à La Réunion à cette
III
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