Les théories de l'histoire face à la mondialisation

Arnaud Rosset

Description

La division du métier d'historien en une multiplicité d'approches locales, la parcellisation généralisée des sciences humaines et sociales, la fragmentation de la philosophie en zones séparées ne témoignent-elles pas d'un vide théorique plutôt que d'un modèle satisfaisant ? C'est ce vide théorique que nous entendons mettre en valeur, tant du point de vue de ses conséquences épistémologiques que du point de vue de ses implications politiques.

Sujets

• Philosophie
• Histoire

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 septembre 2010
• Nombre de lectures: 234
• EAN13: 9782296260535
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 4 Mo

Extrait

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Ouverture philosophique
Collection dirigée parAlineCaillet,
DominiqueChateauetBrunoPéquignot

Une collection d'ouvrages qui sepropose d'accueillirdes travaux
originaux sansexclusive d'écoles oudethématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des
réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou
non.On n'yconfondra donc pas la philosophie avecune discipline
académiquelle est répe ;utéeêtrele faitdetousceuxqu'habitela
passiondepenser,qu'ils soient professeursdephilosophie,spécialistes
des scienceshumaines,sociales ounaturelles,ou…polisseursde
verresdelunettesastronomiques.

Dernières parutions

JeanPIWNICA,L'homme imaginaire.Essai sur l'imagination,2010.
DominiqueLEVY-EISENBERG,LeFaune revisité.Figures du
souhait dansL'Après-midid'unfaunedeMallarmé,2010.
CélineMORETTI-MAQUA,Bacchus de la civilisation pompéienne
aumonde médiéval,2010.
MichelFATTAL,SaintPaul face auxphilosophes épicuriens et
stoïciens,2010.
JeanMOREL,Kierkegaard etHeidegger.Essai sur la décision,2010.
Silvia MATTEI,Voltaire et lesvoyages de la raison,2010.
JacquesSTEIWER,Versune théorie de la connaissance systémique,
2010.
FrancisHUTCHESON,Epistémologie de la morale,Illustrations sur le
sens moral(1728),Correspondance entre GilbertBurnetetFrancis
Hutcheson(1725),Réflexions sur lerire etRemarques sur la fable des
abeilles(1725-1726),Avant-propos,introductionet traduction inédite
del'anglaisdeOlivierAbiteboul,2010,
YvesMAYZAUD,Personne, communauté et monade chez Husserl,
2010,
SusannaLINDBERG,Heidegger contreHegel :les irréconciliables,
2010.
NISHIDA Kitarô,Essaisdephilosophie, III : La Science
expérimentale,Explications schématiques,traductiondeMichel
DalissieretIbaragiDaisuké,2010.

62+9. "377/8

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oP QMPM#$M

PyL+6q+88+2

© L’Harmattan,2010
5-7,rue del’Ecole-Polytechnique,75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
[e-mail]
[e-mail]

ISBN:978-2-296-12302-1
EAN:9782296123021

Jetiensà adresser mes remerciementsà cellesetceuxquim’ont
permisde menercetravailàson terme : AndréToseletRobertSasso
pourl’avoir, chacunàleurfaçon, appelé;mes parentsetami-e-s pour
leur soutien permanent ; enfin, Yma,QuentinetMelissapour leur
affectionet leur patience.

A.R.

Introduction

e
Vers la fin dsièu XXcle,le goûtdu grandiose adéserté
l’espace des sciences humaines. Dispersion des champs d’analyse,
éclatementdes savoirs, pluralitédes approches,respectdes
perspectives,autantde formules qui ontconvergévers un même
refus des visions totalisantes de l’histoire. Ce geste commun a
assignéà la rechercheleslimitesde son horizon de sens,et
l’investigation savante du passé, sous la tutelle des historiens, des
sociologues ou des philosophes, s’est définitivement éloignéede
tout gigantisme. Le rejetdes théoriesprétendant embrasser
l’ensemble de l’évolution humaine aura donc été consommé durant
cette èrehâtivement qualifiéedepostmoderne. Troisdécennies
plus tard, ilestdifficiledenier quecettedisparition continuede
modeler l’imaginaire de notre époque, façonnant les consciences
qui s’y déploient, signe pour les uns d’une lucidité accrue,
symptôme selon les autres d’un désabusement plus profond. Car,
dans tous les cas, qu’on l’approuve ou non, nul n’estcenséignorer
cedéclin des grands récits.
1
Cependant, la révocation des théories de l’Histoirene s’est pas
imposée toute seule,encoremoins soudainement. Elle résulte
d’une tendance civilisationnelle plus large, d’un abandon
progressifde toute formed’aspiration collective à l’absolu.
L’ensemble ayant fini par former, pour la philosophie de notre
temps,une sortede récitmythique,une épopéeau sein delaquelle
la conscience moderne dépasse les illusions qui l’avaient précédée,
mais aussi celles qu’ellea, àson insu,générées.Disons-le
d’emblée, ce récit de la fin des grands récits contient, par-delàsa
partdevérité, denombreusesimprécisions.Ilfaut en accepterles
charmes sans lui accorder une pleine authenticité. En d’autres

1
Ici, et par la suite, l’expression théorie de l’Histoire (avec la majuscule donc)
désignede façongénérale toute théorieessayant d’appréhender la totalité de
l’histoire humaine.

7

mots, il convientpour l’instant de s’y abandonner pour mieux
préparer sa critique et surtout afin derevenir vers ces théories de
l’Histoire trop vite enterrées.
Lepremier chapitredu récit, la premièresecousse,est letriple
e e
décentrement qui accompagne, duXVIauXVII siècle,
l’apparition du monde moderne ; un décentrement qui est à la fois
cosmologique (passage du géocentrisme à l’héliocentrisme et
passageprogressif d’un monde conçu comme clos àla
conceptualisation d’un univers infini), anthropologique (la place
privilégiée de l’homme au sein de la nature est remise en question)
et moral (laraison humainedevient àelle-mêmeson propre
fondement). Certes, à l’époque ce décentrement est loin d’être
unanimement vécu comme le signe d’une déchéance de la quête
d’absolu. À l’inverse, certains de ses protagonistes voient en
celuici la possibilité d’une refondation plus cohérente de cette quête.
Ainsi, comment ne pas déceler une forme d’aspiration à l’absolu
derrièrelaperspective d’unemaîtrisethéorique et techniqueinédite
delanatureouvertepar lanouvelleconception physiquedu
monde, derrièrel’espérance dans laperfectibilité delaraison
morale et dans leprogrès des institutions politiques (espérance
renduepossiblepar l’idée d’un sujet humain pleinement
autonome), brefderrièrel’enthousiasmegénéraliséqueles
lumières porteront peuaprèsàsonapogée.Pourtant, c’estbience
décentrement initial quientrouvrelaperspectivedu relativisme
moraletépistémologique;cela en traçant silencieusement l’espace
autour duquel vapar lasuitesedévelopper lalaïcisation propre aux
sociétés moderneset, avec elle,l’évacuation progressive des
absolus transcendants. Pourledire en des termes plus poétiques,
c’estdansce décentrement quela belleinterrogation poséepar
EugèneIonesco trouveiciune esquissederéponse:«À partir de
quelmomentles dieux sesont-ils retirésdu monde […]?Àpartir
dequel moment lemondes’est-ilvidédesasubstance, à partir de
quel moment les signes n’ont-ils plusétédes signes, à partir de
1
quelmomentavons-nousété abandonnés à nous-mêmes[…]?»
Secondesecousseplus tardive et nouvelle étapedel’épopée :
qu’on lanomme«désenchantement», avecl’idéequelarationalité

1
Présent passé, passé présent, MercuredeFrance, 1968, Paris, p. 167.

8

instrumentale et stratégique(exacerbée par l’économie capitaliste,
la technologie industrielle et l’administration moderne) a
e e
définitivement colonisé, duXIX auXXsiècle, ledomainequi
appartenait jadisau sacré etau magico-religieux. Ou qu’on
l’appelle «mort deDieu», avec à l’esprit le fait que, pour le
meilleuret pour lepire, lacroyancedans unarrière-monde
e
métaphysique s’est écroulée devant l’essor, au XIXsiècle, du
positivisme, de l’évolutionnisme et du matérialisme économique et
scientifique. Quel que soit le nom qu’onlui donnedonc, ilfaut
constater dans lemondeoccidental un recul progressifdes
institutions religieuses,et plus largement du sacré,aboutissant à
une mise à l’écart sociale et politique des normes et des valeurs
fondées sur l’idée de transcendance.
Vientalors letroisièmemoment du récit, lasecoussequi nous
concerneleplus directement, lephénomènededésertion de
l’absolu ne se réduisant pas aux deux étapes évoquées. En effet,
l’épuiser dans l’évacuation progressive de la transcendance
e
reviendrait à oublier que, jusqu’au début du XXsiècle, des