J’étais stupéfaite. Plutôt rondouillard, ce brave docteur, qui frisait la quarantaine, ne ressemblait guère au héros des Aventures de Pamela, et moins encore aux Rhodésiens farouches et taciturnes de mes rêves. Après un instant de réflexion, je lui demandai pourquoi il désirait m’épouser. Décontenancé par ma question, il finit par bredouiller qu’un généraliste avait besoin des services d’une épouse. Ce qui me parut encore moins romantique. Et cependant, quelque chose me poussait à accepter. Somme toute, il m’offrait la sécurité. La sécurité et une maison confortable. Rétrospectivement, je crois m’être montrée injuste envers ce petit bonhomme. Il m’aimait réellement mais, par excès de délicatesse, n’avait pas osé mettre les choses à plat sur ce terrain-là. En tout état de cause, je me laissai emporter par mes penchants romanesques.
— C’est très gentil à vous, lui dis-je, mais c’est impossible. Je ne pourrais jamais épouser un homme sans en être éperdument amoureuse.
— Et vous ne pensez pas que…
— Non. Je ne le pense pas, déclarai-je fermement.
Il poussa un soupir et poursuivit :
— Mais, ma chère petite, que comptez-vous faire ?
— Voir le monde et courir l’aventure, lui répliquai-je sans la moindre hésitation.
— Mademoiselle Anne, vous n’êtes encore qu’une enfant ! Vous ne mesurez pas…
— Les difficultés de la vie ? Oh que si, docteur ! Je ne suis pas une gamine sentimentale. Je suis une mégère, têtue et obstinée ! Vous vous en apercevriez vite si vous m’épousiez.
— J’aimerais que vous réfléchissiez encore.
— C’est tout réfléchi.
Il poussa un nouveau soupir.
— J’ai une autre offre à vous faire. L’une de mes tantes, qui vit au pays de Galles, aurait besoin d’une jeune personne pour l’aider. Cela vous intéresserait-il ?
— Non, docteur. Je pars pour Londres. C’est à Londres que tout se passe. Je veillerai au grain, et quelque chose finira bien par arriver. La prochaine fois que vous entendrez parler de moi, ce sera de Chine ou de Tombouctou !
Je reçus ensuite la visite de M. Flemming, le notaire de mon père, venu tout spécialement de Londres pour me voir. Passionné d’anthropologie, il vouait une ardente admiration à mon père pour ses travaux. C’était un homme grand et maigre, aux traits émaciés et aux cheveux gris. Comme je
le rejoignais dans le salon, il se leva et, prenant mes mains entre les siennes, les tapota affectueusement.
— Ma pauvre enfant ! Ma pauvre, pauvre enfant !
Non sans hypocrisie, je pris une mine d’orpheline éplorée. Son attitude m’y contraignait. Bienveillant et paternel, il me considérait comme une pauvre petite sotte, égarée dans un monde hostile et cruel. Et j’eus aussitôt le sentiment qu’il était inutile de tenter de le convaincre qu’il n’en était rien. Étant donné la suite, j’ai peut-être aussi bien fait.
— Ma chère enfant, vous pensez pouvoir écouter mes explications ?
— Oh, oui !