Antino
233 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Antino , livre ebook

-

233 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

La seconde guerre mondiale est terminée depuis quelques années, cependant elle n'est pas pour autant effacée des mémoires. La guerre d'Indochine s'achemine lentement vers sa fin mais les évènements d'Algérie sont déjà là pour prendre la relève. Des enfants se retrouvent pendant les grandes vacances dans un bourg dont la ruralité est imprégnée des vieilles haines que la paix retrouvée, encore plus que la guerre, n'a fait que décupler. La vie se révèle dans ses réalités contradictoires, séduisantes et parfois cruelles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2011
Nombre de lectures 33
EAN13 9782296465619
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55227-2
EAN : 9782296552272

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Antino…
Du même auteur


Romans

La part de la bête, Editions Edilivre Aparis, Paris, 2009
Teneur de mur, Editions Baudelaire, Lyon, 2009
Ker Albraz, Editions Edilivre Aparis, Paris, 2010
Jean Dustour


Antino…


Roman


L’Harmattan
« Après la pluie,
Le beau temps »
A nos près et collines ravinées. A nos maraudes, nos poursuites. A notre enfance à jamais échappée.
Chapitre I


Des enfants d’après guerre


L es jours de pluie, le plus souvent, surtout lorsque la pluie était très forte, nous jouions aux noms de métiers.
Ce n’était pas que la pluie nous dérangeait, nous y étions habitués, c’était tout naturellement que les jours de pluie, le plus souvent, nous jouions aux noms de métiers.
Assis en cercle à même le sol, ou sur quelque grosse pierre, ou sur quelque souche, qui traînaient par là, trempés de la dernière averse qui nous avait poussés sous un abri précaire et temporaire qui en tirait tout son charme, nous goûtions à la volupté de l’aventure à notre dimension, du plaisir de l’interdit.
Le plus souvent, donc, nous nous réfugiions dans cette vieille grange autrefois bâtie de planches à peine équarries dont les tranches brunes, encore garnies ça et là de leur écorce râpeuse, ne joignaient que les courants d’air et laissaient passer, plus que le vent, l’eau des orages frappant d’ouest ou de la pluie fine et glaciale venue du nord, portée par la bise froide qui, plus tard, sécherait l’atmosphère en exhalant des odeurs humides de bois pourri et de champignons. Aussi, filtraient les rayons du soleil qui striaient l’ombre ambiante d’un réseau de faisceaux lumineux et vaporeux où dansaient les poussières échappées de la paille, particules d’ivraie mêlées aux céréales qui, en des temps meilleurs, étaient moissonnées et battues, et entreposées dans de grands sacs de jute entassés dans les granges, avant d’être vendues ou stockées dans les immenses silos qui défiguraient le paysage, grands châteaux d’eau érigés tels des champignons géants, et trouaient le ciel de leur masse grise que l’oxydation rongeait par plaques rousses qui leur donnaient des airs de lépreux.
Aucun de nous, jamais, n’avait rencontré de lépreux, mais chacun portait en lui le souvenir des récits, lus ou contés, qui décrivaient cette terrible maladie et ses horribles ravages que tentait de circonscrire le bon docteur Schweitzer, là-bas, à Lambaréné, dans ces pays si lointains que seule l’imagination pouvait atteindre.
Et lorsque l’on trouvait, enfoui dans un taillis épineux, un vieux cadre de motocyclette ou la carcasse tourmentée d’un chasseur abattu au cours de la dernière guerre, torturés et rongés par la rouille agressive qui les transformait en plaques brunâtres, chancres poussiéreux qui se détachaient en écailles perfides et coupantes et les réduisait en si peu de chose qu’un enfant aurait suffi à éparpiller leurs formes illusoires et à faire disparaître à jamais le souvenir même de leur existence, on était saisi d’un fort sentiment de curiosité et d’effroi.
Ainsi devaient être les lépreux, disloqués et meurtris dans leur chair, rongés au point de disparaître jusque dans le souvenir de ceux qui les ont aimés, gommés par la peur portée par la maladie, par cette même angoisse qu’éveillait la vue de la carcasse du chasseur, porteuse des images de mort et de destruction qui peuplaient encore toutes les mémoires.
Et, immanquablement, notre imagination, que nulle frontière ne pouvait arrêter, nous transportait dans une aventure sans nom, que chacun vivait en lui-même, masquée aux autres par les gestes communs qui, au fond de soi, prenaient une toute autre dimension.
Nous fouillions buissons et taillis à la recherche du pilote ou de quelque trace de son passage, un peu déçus de n’avoir pas découvert son cadavre dans la carlingue, brûlé par l’incendie et tassé par le choc. Blessé et les os brisés, l’homme aurait pu se traîner en rampant à la recherche d’un abri, et laisser sa vie s’échapper là, abandonnant son corps à la nature et à nos fantasmes.
De buisson en appel et d’appel en buisson, nos recherches restaient vaines, et toute l’imagination du monde ne suffisait pas à transformer une branche sèche en squelette.
Alors fleurissaient les histoires les plus invraisemblables, et l’aventure prenait corps, l’aventure du pilote inconnu, peu important qu’il fut ami ou ennemi, ce héros abattu et trahi, abandonné à ses souffrances et condamné au courage pour survivre.
Et quelques paroles échappaient aux uns ou aux autres, dans la confusion du rêve et du réel. « il a peut-être… », « et s’il avait… »
Chacun conduisait sa recherche à sa façon et faisait vivre son pilote, ou le tuait une seconde fois, ou le livrait pieds et poings liés après avoir soutenu un combat épique pour le capturer.
Et chacun, derrière son buisson secret, menait son combat pour faire triompher sa justice, celle qu’il cultivait au fond de son âme, à l’insu de tous, et qui, sans doute, n’avait pas grand chose à voir avec la justice que l’on côtoyait chaque jour dans les familles et dans les journaux.
Cette justice là ne laissait pas de place aux nuances et aux condescendances de pleurnichards. Elle était pure et expéditive, sans appel. Et sa pureté n’avait d’égale que sa cruauté. Pure et naturelle, cruelle comme la naissance et comme la mort. Comme la vie, aussi. Mais la vie pouvait prendre sa revanche sur la cruauté si elle était assez forte pour la surmonter. Les faibles, eux, s’en servaient pour se justifier ou pour avoir l’air plus forts. Les forts l’évitaient, et c’est un peu en cela qu’on pouvait les reconnaître. La cruauté ne les satisfaisait pas, ils ne l’acceptaient pas, et son spectacle leur était à ce point insupportable qu’ils intervenaient pour qu’elle cessât. Et les forts peuplaient les rêves, et les imaginations leur donnaient vie pour qu’ils surgissent en ces instants où l’on avait tellement besoin d’eux.
Alors, on trouvait le pilote agonisant et sans force. On le soignait, on le sauvait et on le cachait au plus profond d’un fourré.
Et puis, chaque nuit, avec mille précautions, on pillait placards et buffets pour lui apporter de quoi se nourrir. Il fallait, pour cela, se faufiler hors du lit et quitter la chambre sans éveiller les autres, happer au passage vêtements et chaussures et, comme un voleur, forcer porte ou fenêtre en évitant bruits et grincements. Chaque pas était un supplice. Chaque lame du rude plancher, un traître en puissance toujours prêt à souligner, d’un lugubre craquement, la présence d’une ombre furtive qui cherchait à passer inaperçue.
Et plus on prenait de précautions, et plus on se faisait léger, plus le bois se plaignait de cette intrusion dans le silence de la nuit. Souple quand il le voulait, il fléchissait en geignant doucement. Puis, à l’instant où on pensait l’avoir dompté, à l’instant où le pied prenait son appui pour le pas suivant, la plainte s’amplifiait subitement pour se transformer en un craquement sinistre qui remplissait la maison, portant de pièce en pièce la révélation de la coupable expédition. Pétrifié, suspendu au moindre bruit, on analysait les mouvements de l’air, les chuchotements du vent, le souffle de la maisonnée endormie. Le plus petit crissement prenait des proportions inhabituelles et le cœur explosait à chaque instant. De déséquilibre en déséquilibre, tendu à craquer, aveugle, les bras en avant à la recherche des obstacles, angoissé par sa propre respiration, on avançait lentement, atterré à l’idée d’être surpris dans cette posture coupable. On imaginait que la pièce, tout à coup, s’éclairait. Figé par la lumière et la honte, comme un instantané, on restait suspendu entre deux pas, pris en flagrant délit, terrassé par l’embarras et les regards accusateurs et moqueurs.
Cependant, on finissait par atteindre l’issue convoitée, soulagé d’y être parvenu, mais anxieux dR

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents