Armen
158 pages
Français

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Description

Dans sa chambre d'hôpital, Armen attend la mort. Les souvenirs s'invitent. Il refait le chemin qui l'a conduit d'Arménie à Paris. Il a connu les deux guerres, puis a construit sa vie au fil des événements, en se forgeant un caractère d'homme sage mais combatif. Pourquoi est-il si seul en ce moment difficile ? Par choix ou par obligation ?...

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Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2007
Nombre de lectures 73
EAN13 9782336273068
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2007
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296045316
EAN : 9782296045316
Armen

Sonia Kuradjian
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Dedicace FRANCE - AOUT 2003 ANATOLIE de l’EST, actuelle TURQUIE SYRIE GRECE VENISE PARIS LONDRES PARIS LE RENOUVEAU Août 2003 ENFIN! LEXIQUE NOTE DE L’AUTEUR REMERCIEMENTS
« Si de l’avenir nul ne connaît le but certain, devant nous l’espérance sourit et nous tend la main. »
A mon père A mes tontons Jeannot
FRANCE - AOUT 2003
La vie le quittait tout doucement. Elle l’avait mené sur tellement de chemins différents qu’à l’aube de ce grand passage il avait du mal à se remémorer la route empruntée. Au fil des ans, il avait changé ; il avait compris beaucoup de choses et il aurait aimé expliquer au monde comment son esprit évoluait, comment sa façon de voir les choses et de juger les hommes, les situations, avait mûri. Qu’il était long le chemin du savoir ! A quoi bon ? Il mourait, seul. Personne ne saurait la vérité de l’existence. La vie l’abandonnait, lentement, comme un souffle d’air chaud qui reste en suspens et qui enveloppe cette carcasse desséchée. Autour de lui, il ne distinguait plus que des murs blancs et une lumière pâle que diffusait la clarté d’un jour finissant. Au loin, comme dans un brouillard, il distinguait le va-et-vient de la vie. De temps à autre, une femme en blouse blanche approchait de son lit et contrôlait ses appareils qui le reliaient encore à la vie. Combien de temps encore ? Combien de temps encore avant qu’Elle ne vienne le chercher ? Il aurait voulu garder une porte ouverte ou bien une fenêtre pour qu’Elle arrive plus vite, qu’Elle trouve le chemin. Mais les vivants ont peur des mourants. Il s’éteignait gentiment sans causer de tort à quiconque. Tous les autres étaient déjà partis, le laissant seul dans un terrible ennui ; seul pour se rappeler ses souvenirs, ses joies, ses angoisses, ses terreurs, ses fautes. Ces minutes semblaient des heures. Qu’allait-il dire à tous ces gens qui, sûrement, attendaient son arrivée ? Est-ce que l’on dit bonjour quand on passe de l’autre côté ? La mort est douce quand elle délivre de telles souffrances. Mais la mort fut-elle douce pour tous ces gens qu’il avait laissés derrière lui, tous ceux qu’il avait vus mourir au temps où les hommes n’étaient que des chiens, au temps où un enfant crevant devant leurs yeux procurait à ces mêmes hommes la satisfaction du devoir accompli. Toutes ces femmes, tous ces enfants, qu’il avait accompagnés dans le désert syrien à l’époque où lui-même n’était qu’un petit enfant perdu, avaient-ils ressenti ce même sentiment de solitude et ce trouble face à l’inconnu ? Lui était un vieil homme et il avait accompli sa vie. Mais ces gens dans le désert n’avaient pas eu le temps d’accomplir quoi que ce soit, pas le temps d’apprendre, pas le temps de construire, pas le temps de s’émerveiller ; juste le temps de souffrir et de mourir avec un sentiment de terreur. Oh, comme il espérait aujourd’hui que tous ces gens morts dans le désert aient trouvé le repos et qu’ils lui aient pardonné à lui que la mort avait alors épargné.
Une forte lueur réveilla son esprit. Au pied de son lit quelqu’un était assis. Il ne distinguait qu’une forme légère et, petit à petit, la forme se détacha et il vit clairement que c’était un petit garçon qui le regardait curieusement.
- Qui es-tu ?
- Armen, et toi ?
- Je suis Armen aussi et je viens te retrouver.
- Me retrouver ?
- Oui, je suis toi ; tu ne te reconnais pas ?
- Non, je n’y vois plus très clair.
- Je suis toi plus petit, quand tu as quitté ton pays.
- Mon pays ! Oui mon pays l’Arménie.
- Exact, ta pensée t’a ramené dans le désert et je ne voulais pas que tu y retournes seul ; c’était trop dur là-bas.
- C’est vrai, j’étais là-bas. Au début avec maman et mes frères et sœurs et ensuite...
- Ne pleure pas tout le monde t’attend aujourd’hui et tu retrouveras tous ces gens qui t’ont abandonné.
- Abandonné ? Mais ils sont morts dans le désert ; ils ne m’ont pas abandonné !
- Si, ils t’ont abandonné à la vie. Tu as dû survivre, te justifier, te battre pour exister. Ce combat, eux n’ont pas eu à le mener puisqu’ils étaient ceux pour qui tu devais vivre et témoigner. Aujourd’hui c’est à ton tour de trouver le repos. Ta lutte se termine. Repose-toi et écoute ton histoire.
ANATOLIE de l’EST, actuelle TURQUIE
Le feu dans la cheminée crépite et une femme cuit du pain. C’est maman, elle est belle. Son ventre rebondi rend ses mouvements lourds. Je sens bien qu’elle est fatiguée et bientôt il faudra qu’elle se délivre de moi. Je suis au chaud dans son ventre et j’attends. Encore quelques jours et je serai là. Je ne serai pas seul parce que j’entends toujours du bruit autour de nous. Je ne sais pas combien ils sont à m’attendre mais je suis pressé d’arriver. Quelques jours encore, et je serai là.
Ça y est me voilà, je suis né : un gros bébé bien potelé. Maman va mieux. J’ai découvert mon père ; il a l’air fort et autoritaire. Mes deux frères, Vasken et Rostom, l’aident à son travail de la terre. Les jumelles, Sirane et Anouche, sont près de nous et je reçois plein de bisous. Moi c’est Armen ; j’arrive sur terre en 1907. C’est le printemps, le mois d’avril ; maman est belle.
Nous vivons à Tevan, tout près du lac. Papa est paysan et à l’occasion il pêche dans le lac pour vendre du poisson. Mes frères sont déjà grands ; ils doivent bien avoir huit ou dix ans. Quant à mes sœurs, elles ont quatre ans. On a l’air heureux dans cette famille, je pense que j’y serai bien. Qui sait ? Peut-être que maman aura encore des enfants et comme ça je ne serai pas le dernier. Je n’aime pas être le dernier. Pour l’instant je ne fais pas grand-chose, mais plus tard je serai pêcheur et paysan comme papa. Je sens déjà la chaleur du pays qui m’entoure. Les gens du village sont venus me voir ; ils ont l’air d’apprécier ma famille. Maman paraît être quelqu’un d’important. Ah ! oui, j’oubliais ; il y a aussi mon grand-père et ma grand-mère. Elle, elle a l’air de m’adorer parce qu’elle m’embrasse tout le temps. Grand-père est plus sérieux. Il me fait peur avec son chapeau vissé sur la tête. Lui il s’occupe du troupeau. Des moutons, beaucoup de moutons ; il s’en occupe avec Vasken. La vie est belle.
J’entends de la musique qui se rapproche, des sons de tambours et de doudouks grinçants. La musique est à ma porte ; elle est venue pour moi. On m’a habillé comme un prince et on me sort fièrement. Aujourd’hui on me baptise. On me conduit à l’église de ma ville, et le prêtre va me baigner en demandant à mon parrain et à ma marraine de prendre soin de moi tout au long de ma vie. C’est la sœur de maman qui me tient ; elle sent bon. Son mari répond gentiment au prêtre. La musique a changé à présent et les chants d’église sont troublants. Je ne comprends pas tout, mais j’apprécie la mélodie. Je suis fatigué. Je voudrais me coucher. Quand on rentre, maman a compris et elle me couche dans mon lit. Dehors ils feront la fête, ce sera sans moi. C’était une dure journée.
Je vais avoir deux ans et maman est grosse. J’ai une petite sœur. Ouf ! Je ne serai pas le dernier. On l’appelle Araxie. Maman est de plus en plus fatiguée et je crois qu’Araxie tiendra bien ce rôle de dernière. On va grandir ensemble et apprendre la vie. C’est chouette tout ça ; on ne se doute pas que ça peut changer un jour. Nous on s’amuse. Insouciants, profitant du lac et de ses poissons, on plonge, on pêche, on joue avec les moutons du troupeau. J’aide déjà papa à récolter les tomates. J’aime bien mordre dedans quand elles sont gorgées de soleil.
Je grandis et maintenant je sais un peu plus qui nous sommes. Nous sommes des Arméniens. Je suis Armen l’Arménien. Original ! Ma famille vit à Tevan depuis des générations. Le père de maman est un commerçant important de la ville. C’est pour ça que maman est importante aussi. Elle s’est mariée avec papa en 1896, juste après les premiers massacres des Arméniens

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