Bois sacré
242 pages
Français
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Français

Description

Paris, quartier Château Rouge. Les lieutenants de police Edy Kès et Dekan Ndow enquêtent sur la mort d'un vieux marabout africain. Sur fond de secte, de manipulations des services spéciaux et de rébellion casamançaise, les tribulations d'un tandem de flics un peu particuliers entre Paris, Dakar et Bissao.

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Publié par
Date de parution 01 octobre 2012
Nombre de lectures 21
EAN13 9782296506992
Langue Français
Poids de l'ouvrage 10 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Patrice Bréna
BOIS SACRÉ Roman
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-00408-2 EAN : 9782336004082
Bois sacré
Patrice BrénaBois sacré roman
L’Harmattan
Du même auteur
Aux Editions L’Harmattan
Casamances, roman, 2007
Clandestins, roman, 2010
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Méricourt prit la photo qui trônait sur son bureau et la tourna contre le mur. Il n’avait rien à reprocher à sa femme et à ses deux enfants mais il détestait cette impression qu’on l’observait quand il était de mauvaise humeur. Il détestait plus particulièrement l’air ennuyé de son épouse quand il faisait mine de s’emporter. C’était facile de sa part. Ce n’était pas elle qu’une hiérarchie obsédée par les statistiques harcelait du matin au soir. Pour ces gens-là, la délinquance entrait dans les cases de leurs formulaires, elle inondait la presse quand ça les arrangeait, ou n’existait pas, ou bien peu. Méricourt savait par expérience que cette façon de gérer la sécurité publique était vaine et peu productive mais rien n’aurait pu le convaincre de la critiquer ouvertement. C’était cette ligne de conduite, prudente et méthodique, qui lui avait permis de rester à la tête du commissariat Château Rouge là où beaucoup de ses collègues s’étaient cassé les dents, mutés à Toul, à Rodez ou à Fouesnan, dans des bourgades suffisamment éloignées des centres de décision pour que leurs voix se perdent dans le froid et dans l’oubli. Cette fois-ci pourtant Dassas se faisait mielleux, remplaçant l’habituelle entrée en matière « vous n’êtes pas sans savoir » qui précédait habituellement une série de remarques sarcastiques sur le bon fonctionnement de son service par un « Méricourt, faites-moi plaisir » doucereux, plus familier que directif. Dans son langage policé, Dassas lui signifiait que les politiques au-dessus de lui tenaient à ce que la discussion ne sorte pas de son bureau. Ce genre d’affaire désavouait les déclarations optimistes de leur ministre de tutelle. Rendu public, le meurtre du bistrot Myrha ferait la une du « 0 heures ». Les journalistes feraient leurs choux gras de
cette « abominable sauvagerie ». La population demanderait des comptes. Tout cela finirait par nuire au bon déroulement des élections et, en fin de compte, à la démocratie tout entière. Dassas avait terminé par un « je vous fais confiance, n'est-ce pas ? » qui sonnait le glas de sa tranquillité et justifiait qu’il soit d’une humeur de dogue. Mirécourt reposa le combiné sur sa fourche. Il était dix heures du matin. Les rumeurs de la rue Doudeauville montaient jusqu’à la baie vitrée de son bureau. Mirécourt réfléchissait. Dassas ne pouvait rien contre lui. Il gérait son fief depuis trop longtemps. Ça avait été une excellente idée par exemple que de mettre des feux tricolores à l’angle du boulevard Barbès et de la place Château Rouge. En dépit de la neige fondue qui rendait le bitume glissant, les gens pouvaient traverser la rue sans prendre le risque de se casser une jambe ou d’être renversés par une voiture. Comme par l’effet du souffle incandescent de l’agent Briscadieu, « dies irae » que démultipliait la fermeté virile de ses collègues, les joueurs de bonneteau avaient déplacé leurs cartons derrière les piliers qui soutenaient la voie aérienne et les putes déménagé boulevard de la Chapelle. Ils ne s’étaient pas contentés de soulever un coin du tapis, ils avaient fait le grand ménage. Les baltringues du « 9.3 » ne pointaient plus leur nez à la Goutte d’Or. Les aboyeurs de la rue d’Oran ne chassaient plus les touristes jusque devant les vitrines des commerçants. Leurs clients, parmi lesquels on comptait bon nombre de touristes étrangers, ne prenaient plus d’assaut la main courante à trois heures du matin avec leurs histoires de cartes bleues volées, médiocres larcins dont les bouchonneuses du Sfax ou de l’Idol s’étaient fait une spécialité. Toutes les associations de riverains en convenaient : depuis qu’il était en poste la température, dans le domaine sécuritaire qui était le sien, avait baissé d’un cran. Placer ses pièces sur l’échiquier, quadriller son territoire et, quand la situation l’impose, se mettre à couvert et lâcher la meute. « Faire que rien n’arrive jamais qui ne soit prévu car, faute d’avoir les reins souples et solides, ce qu’on ne prévoit pas s’avère toujours déplorable », telle était la devise du
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commissaire Mirécourt. Une ambulance filait en klaxonnant au milieu de la rue Marx Dormoy. Les deux hommes qu’il choisirait devraient mener l’enquête sans que leur absence ne déséquilibre le service, pensait Mirécourt en la suivant des yeux. Ils devraient n’en référer qu’à lui. Accepter de travailler en dehors de toute considération morale ou tatillonne. « Le mieux serait que ces gens vous soient personnellement redevables, avait suggéré Dassas. Qu’ils comprennent tout l’intérêt d’agir et rester cois. » En d’autres termes : vous bouclez notre affaire discrètement et dans les plus brefs délais et moi, Méricourt, par la grâce de mes supérieurs et des pouvoirs qui me sont conférés, je me fais fort de vous sortir de votre purgatoire. Donnant-donnant. À moins que vous ne préfériez continuer à vous peler la cervelle sur des affaires minables jusqu’à ce que vos neurones pleuvent sur vos épaules comme un nuage de pellicules. Il ne connaissait que deux personnes susceptibles de répondre à ces critères ; les inspecteurs Edy Kès et Jonas Dekan Ndow, que tout le commissariat connaissait sous le sobriquet « Les Jumeaux ». Jusqu’à ce jour de juin où après un échange de tirs avec des braqueurs devant la banque de l’avenue Trudaine, un passant avait été touché par une balle perdue. Kès n’avait fait que répliquer — l’un des braqueurs était mort, les deux autres croupissaient à la Santé — mais les Jumeaux n’entretenaient pas les meilleurs rapports avec les cow-boys de l’Antigang qui s’étaient empressés de leur faire endosser la responsabilité de la bavure. On ne traitait pas les flics de la criminelle de « petits branleurs incapables de se bouger le cul » sans en payer le prix. Leur divisionnaire avait l’oreille du nouveau secrétaire d’État qui voulait voir les crânes des Jumeaux plantés sur une pique à l’entrée du commissariat. À bout d’arguments Méricourt leur avait proposé deux postes dans les marais vendéens, que les deux inspecteurs avaient poliment refusés, préférant au bannissement l’exil intérieur du bureau des plaintes pour le premier et la brigade du métro pour le second. Mais c’était il y a un an. Les Jumeaux avaient eu le
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