Cérémonie de caste
184 pages
Français

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Cérémonie de caste , livre ebook

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Description

C'est un dimanche soir ordinaire, dans la vieille demeure ancestrale. Tous les membres de la famille sont réunis autour du patriarche Juan Matias, pour ce qui sera son dernier repas. L'auteur nous met en scène, avec une précision d'entomologiste cette famille en voie d'éclatement et nous décrit avec une cruauté raffinée les derniers moments du vieux planteur de café et la lente désagrégation de cette famille de nouveaux riches, minée par les rancunes, les haines...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2011
Nombre de lectures 27
EAN13 9782296470149
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Cérémonie de caste
Samuel Rovinski


Cérémonie de caste


Traduit de l’espagnol (Costa-Rica) par Roland Faye


L’H ARMATTAN
© L’H ARMATTAN , 2011
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-56217-2
EAN : 9782296562172

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Comme les animaux, il mange et il boit, il perpétue son espèce, il se soulage et meurt. Comme les anges officiants, il se tient debout, il parle, il est doué d’intelligence et il voit.

Génèse R, 8,11


Je fus merveille hier
et aujourd’hui
je suis l’ombre de moi-même

La Llorona
Toc
Toc Toc
Toc Toc Toc

La sonnette est en panne, à cause de la couche de rouille. Depuis son retour de Paraiso, tout s’est mis à se dégrader. La sonnette ne marche pas. Il y a des gouttières aux chéneaux. Les bords se sont tordus. Une couche de mousse recouvre les tuyaux d’écoulement en fer blanc. La sonnette ne marche pas. La faïence qui recouvre les murs se lézarde comme la peau d’un vieillard, comme une croûte terrestre croquelée par le soleil, la poussière, le vent, comme le cœur-même de la mort.
Il frappe à nouveau.
« Plus fort, bon sang ! »
Trois coups encore.
Pas de réponse.
« Est-ce que je me serais trompé ? »
Façade grise, colonnes aplaties, chapiteau dorique. Nains gigantesques soutenant un plateau comme un jouet minuscule. Roses sur de bas-reliefs en stuc qui se désagrègent. Sol de brique rouge craquelée. » Est-ce que ne serait pas l’autre, celle du Quartier Amón ? »
Murs jaunes recouverts de lambris. Cour intérieure envahie par l’herbe, avec des cactus au milieu et des bougainvilliers rouges sur les murs. Véranda en bois vermoulu dessinant un sourire de léporide.
« Que le diable m’emporte si ce n’est pas la même bâtisse ! »

Frontispice de temple grec, dessiné par un architecte qui a perdu la règle d’or au fond de sa besace de marchand. Idée volée à une Histoire de l’Art éditée à Barcelone. Un quelconque bouquin, que le vieux utilisait pour tuer le temps. Un bouquin dont il s’était servi pour ordonner à l’architecte soumis, de recouvrir la vieille façade de la demeure andalouse, de dissimuler l’étroit corridor qui conduisait à une réplique de patio mauresque, sur lequel donnaient des chambres blanchies à la chaux, aux fenêtres ouvertes en grand sur un horizon matérialisé par d’énormes jardinières débordant de fougères fraîches et de begonias d’un rouge flamboyant. Bouquin d’où avaient été tirées les colonnes d’un temple prostyle athénien aux fenêtres de corps de ferme. Etrange salade due à un paysan à moitié dégrossi entre Paraiso {1} et Paris.


Cela ne leur servira à rien de se cacher. La roue tourne. Aujourd’hui pour eux, demain pour moi. Cela ne leur servira à rien de se boucher les oreilles. Cela ne leur servira á rien que la sonnette ne marche plus. Ma voix s’insinue partout. Ma voix parvient jusque dans le plus obscur recoin. Ma voix se prend dans les fils d’argent de la toile d’araignée. Ma voix, dans le parfum des bégonias. Ma voix, dans les relents qui montent du puits livré à l’obscurité sans fond. Ma voix dans l’air, dans les méninges du vieux, dans le battement d’ailes des apparitions nocturnes, dans les visages marqués par les échecs, la grande vie, la vie licencieuse, la vie frivole, superficielle, corrompue et vide de sens… Cela ne leur servira à rien, parce qu’ils sont finis, parce que mon heure est venue. Parce que je suis entré par la porte de leurs yeux, dans le goût de leur salive et la vieille cire de leurs oreilles, entré par les pores de leur peau, dans leur chair useé, dans leur sueur acide, leur pas fatigué… moi, le bâtard, je suis entré par le grand portail orné de belles-de-nuit.

La conservation des traditions nationales maintiendra notre pays hors du danger que représente l’intronisation des doctrines exotiques de droite et de gauche, conclut Fernando, et la conversation semblait devoir se prolonger sur ce mode, lorsque le vieil agent de voyage, ami occasionnel de ses longues soirées passées à deviser dans la rue, eut le bon goût d’acquiescer à l’opinion catégorique émise par Fernando.
Il continua son chemin d’un pas lourd, accablé par la chaleur de l’après-midi, piétinant l’allée et la pierre du trottoir qui supportait son poids depuis plus de cinquante ans.
Fernando monta les marches et, arrivé sur le palier, parcourut rapidement du regard le portique vétuste, la brique rouge et usée de la terrasse, la balustrade romaine récemment repeinte en blanc (bordure imposée au rétrécissement progressif du trottoir) et, d’un geste longuement répété, sortit la clé, attachée à la ceinture par une chaîne en argent, et ouvrit la porte d’entrée de la vieille demeure des Matias, une de ces demeures qui rappellent le désir ardent des anciens planteurs de café, d’imposer une dominante espagnole à ce quartier de la capitale aujourd’hui envahi par les immeubles de bureaux, les locaux commerciaux, les parcs de stationnement et les supermarchés.


Vue du bas de la pente, sous un angle oblique, à deux pas d’un arbre orné d’une corbeille de fil de fer barbelé, personne ne pourrait certifier qu’il s’agit de la façade d’une maison à un étage. Une rangée de colonnes doriques, dont le fût s’élève au-dessus des fenêtres, dépassant d’un tiers la hauteur de l’embrasure, et reposant sur des piédestaux carrés d’une épaisseur disproportionnée, soutient, sur leurs chapiteaux ornés de motifs géométriques, l’architrave volumineuse d’une corniche avec frise, proportionnelle à l’avancée du toit à deux pentes.
A mesure que l’on remonte la rue, la façade tend à se redresser sur la ligne virtuelle de l’horizon, jusqu’à ce que, face à elle, on retrouve l’idée exacte de ses proportions réelles.
Au centre de l’espace libre, entre chaque paire de colonnes, une jardinière en terre cuite marque l’emplacement d’une fenêtre en bois blanc, flanquée de deux volets verts fixés au mur, qui se détachent sur la brique grise.
La façade ne donne pas non plus une idée exacte de l’espace qu’occupe la propriété. Deux portes en bois sculpté répartissent les six fenêtres en trois espaces parfaitement égaux. La corniche a pour but de déterminer la position de l’entrée principale, bien que l’accès à l’autre entrée soit également rempli par le prolongement d’un avant-toit horizontal formé par l’angle inférieur de la corniche.
Lorsque l’on s’avance vers l’entrée principale, les colonnes semblent s’aplatir, on distingue mieux les roses sculptées sur le faux marbre et on a l’impression que les dimensions ont subi une distorsion, comme si des nains gigantesques portaient sur leur dos un jouet en forme de plateau. Il faut alors un œil expert pour découvrir que la façade a été superposée à une maison qui, à l’origine, avait le style de ces fermes andalouses de la province de Grenade.
Le sol du porche est recouvert de petites briques rouges aux motifs hexagonaux. Il conserve l’éclat des carrelages bien entretenus au pétrole et à la cire, malgré la couche de poussière qui s’accumule chaque jour et qui, en fin d’après-midi, donne l’impression qu’il commence à se détériorer.
Deux lampes en fer forgé et verre cloisonné, couleur sienne, veillent sur le porche, donnant une agréable touche de chaleur à la façade en brique.
A peu près au centre de la porte, au niveau de la poignée et près de la serrure, un heurtoir doré, qui représente la tête d’un lion en furie, invite à se servir de lui, plutôt que du bouton blanc de la sonnette, fixé sur une plaque de verre bleuté contre le chambranle de la porte, côté gauche.
Les fenêtres se trouvent protégées par des barreaux ouvragés, aux délicats dessins d’oiseaux, de fleurs et d’araignées de mer, formant une tirette devant le cadre et permettant d’entr’ouvrir pour laisser pénétrer l’air du matin.
Les fougères et les géraniums des jardinières donnent une impression de fraîcheur, comme s’ils venaient à p

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