De Gao à Goa
200 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

De Gao à Goa , livre ebook

-

200 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Choyée par son mari, Bénédicte Chatel mène une vie d'artiste dilettante à Paris dans le quartier de Saint Germain. Un jour, la nuque grasse et ridée de ce dernier lui devient insupportable. Il n'en faut pas plus pour la décider à prendre un billet d'avion pour l'Inde afin de mener à bien un projet humanitaire à titre individuel.
Sa rencontre avec le fils du notable de Delhi va semer son parcours de difficultés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 61
EAN13 9782296698864
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

De Gao à Goa
 
Maryse Hermann
 
 
De Gao à Goa
 
 
À la croisée des chemins
 
 
 
 
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
ISBN : 978-2-296-11845-4
EAN : 9782296118454
 
A Vandana Shiva
En hommage à son œuvre accomplie
Et à venir.
 
Delhi, février 1989
 
Le Paris-Calcutta fait escale à Delhi. Bénédicte Chatel range ses derniers effets, replie Le Monde diplomatique et attache sa ceinture.
Le Boeing écrase ses roues sur la piste de l'aéroport international, rebondit trois fois, mais à peine s'est-il engagé vers le parking que, sans attendre, s'agite un véritable ballet de turbans colorés et de saris chatoyants. Corbeilles opulentes et sacs vichy rose de chez Tati passent de main en main dans une totale confusion tandis qu'une odeur prononcée d'épices et de parfums d'Orient se diffuse dans la cabine. L'hôtesse boit un dernier thé avec le steward. Pas un instant, l'idée ne l'effleure de calmer l'agitation.
Bénédicte noue une écharpe de lin autour de son cou. Avant de quitter Paris, elle est allée voir Out of Africa . Elle s'est préparé une valise façon Karen Blixen.
Son engagement dans l'humanitaire ne date pas d'hier, mais dans le passé, il avait pris d'autres formes, l'Afrique, les traversées du Sahara avec le convoi de l'Unicef, les nuits à la belle étoile dans les campements Touaregs... C'était il y a bien longtemps, quand la survie des plus pauvres était encore un combat solitaire ; la générosité n'avait pas reçu son appellation officielle : humanitaire. Bénédicte n'avait alors que vingt ans. Un jour, dans le village d'Aguelhoc au Mali, elle avait rencontré Julien. D'abord elle n'avait vu que des jambes jonchant le sol, des jambes immenses et éloquentes dans un jean délavé et des bottes de Guardian. Le reste du corps dissimulé sous un châssis de Land-Rover s’employait à dévisser un boulon apparemment rétif. Quand lentement, il s'était redressé après s’être extirpé de sous la voiture, rouge de poussière, le regard de James Dean, la Parisienne des beaux quartiers avait craqué pour le voyou. Il avait le charme étrange des êtres atypiques, incapable de se plier à la norme, généreux mais sans concession sur le chapitre de son indépendance. Elle avait appris avec lui la frénésie de vivre. Longtemps, ils s'étaient revus à Paris dans un petit hôtel, rue Mouffetard. Elle aimait le champagne, il aimait rouler à toute allure dans un cabriolet en écoutant Riders in the storm… Jim Morrison était encore vivant.
Parfois, ils poussaient jusqu'à la côte normande où il disposait d’une villa héritée de ses parents. Leurs étreintes étaient longues et passionnées, sans idée de lendemain. Ils s'étaient revus à Cotonou. Ils s'étaient revus à Bangkok. Puis ne s'étaient plus revus.
- Passport, please ?
Arrachée à sa rêverie, Bénédicte Chatel tire le zip de sa banane et s'exécute. Interrogatoire méthodique, fouille en règle, le douanier, bureaucrate kafkaïen sorti des Mille et Une Nuits, émerge de sa pile de dossiers :
- OK, conclut-il.
Le taxi noir qui emmène Bénédicte Chatel et ses trois valises brinquebale jusqu’à Connaught Place. Elle se fait conduire à l'hôtel Nirula. La profonde sieste d'une vache sacrée interdisant le stationnement devant la porte d'entrée, le chauffeur Sikh coiffé d'un turban rose arrête sa guimbarde vingt mètres plus loin. Avec un supplément de cinq roupies, il consent à porter les bagages.
Le hall d'entrée de l'hôtel Nirula est vaste. D'antiques stores de jute beige filtrent la lumière du jour. Araignées et cancrelats semblent en apprécier le confort. Le carrelage est gluant.
Derrière le guichet, deux réceptionnistes, lunettes d'écaille et chemise blanche, feuillettent un journal en sirotant un thé. L'irruption de Bénédicte n'entame en rien leur nonchalance. Ils ne lui accordent pas un regard.
- Bonjour, j'ai réservé une chambre, dit Bénédicte.
Sans quitter des yeux le Delhi News , le réceptionniste répond :
- It's fully booked, M'am.
Bénédicte fronce les sourcils et rappelle qu'elle a, depuis Paris, adressé un télex pour confirmer sa réservation.
Le réceptionniste ne répond pas et tourne, imperturbable, les pages de son journal. Bénédicte sort alors de son sac une carte Gold de la BNP qu'elle brandit par-dessus le guichet. Elle se souvient des recommandations de François : Mondial Assistance, l'American Express, la carte Gold...
Elle avait rencontré François, ingénieur des travaux publics, de vingt ans son aîné, quelques années après ses aventures africaines. Elle tenait la galerie d'une amie à Pont-Aven. Il passait deux semaines à bord de son bateau en Bretagne Sud. Un soir, avec des compagnons de voile, il avait visité la galerie de Bénédicte sans réellement s'attarder sur la peinture, insipides marines mille fois répétées. Bénédicte s'était approchée de lui et avait demandé :
- Que pensez-vous de cette peinture ?
Il avait laissé planer un silence éloquent avant de poursuivre :
- Connaissez-vous Botticelli ?
- Naturellement, avait simplement répondu Bénédicte, étonnée.
- Vous avez le visage de Simonetta Vespucci, son modèle préféré.
Il était souvent venu revoir les marines de Bénédicte. D'emblée, elle avait été séduite par son teint hâlé, sa culture, son habileté de marin. Il aimait Bach et Bernanos. Elle préférait les Stones et Boris Vian. Mais ils avaient en commun : le goût de la mer, de la peinture, les plaisirs de la table.
Issu d'une riche famille d'industriels du Nord, il avait dans un premier temps hésité à présenter Bénédicte à ses parents. Son côté bohème risquait de déranger, et il ne faisait aucun doute pour lui qu'elle s'adapterait mal aux après-midi de bridge de sa mère. Un an plus tard, il l'épousait.
Il travaillait beaucoup, partait dès l'aube, invariablement vêtu d'un costume l'été, d'un Loden l'hiver. Elle restait à la maison et goûtait cet indicible confort que procure la vie près d'un homme plus âgé, protecteur et sécurisant. Ils n'eurent pas d'enfants, n'en éprouvèrent pas le désir. Elle se mit à peindre... d'abord à l'aquarelle, plus tard à l'huile. Et l'habitude s'installa. Elle eut bien quelques amants, mais ces après-midi coupables n'étaient qu'un maigre exutoire à l'ennui de Bénédicte. Elle ressentait confusément un manque qu'elle ne pouvait définir. Elle se mit à observer son couple comme l'eût fait un cinéaste, l'œil collé à la caméra, objectif, impartial, implacable.
Puis un jour, la nuque grasse et ridée de François lui devint insupportable. Sa sœur, experte en cures marines, lui avait pourtant vanté les bienfaits de la thalassothérapie. Dans son élan, elle avait même indiqué qu'on maigrissait mieux à Quiberon qu'à Biarritz ! Mais en dehors de la voile, il se complaisait dans les loisirs passifs.
Elle décida alors de le quitter... en douceur d'abord. Elle se mit à distribuer les repas aux Restos du Cœur. Ce fut l'occasion de rencontres inhabituelles : bourgeoises esseulées, soixante-huitardes attardées, routards de l'humanitaire en rupture de mission. De ce creuset, naquirent de solides amitiés.
Un jour, Marcelle, baroudeur en pataugas, avait dit :
« En Inde, j'ai distribué la soupe populaire : une grande bassine pleine de soupe qu'une meute affamée se dispute sur la place du village, ça se bagarre à coup de gamelle en alu ! Au Rajasthan, on fait du porridge pour les mômes, c'est l'Etat qui paie le lait, la farine... Y'a pas de dispensaire, pas de médicaments, pas de médecins... Là-bas à Jaisalmer, c'est l'bout du monde ! Y'a du boulot pour ceux qui aiment le désert. Moi, loin d'la ville, j'peux pas ». Bénédicte n'avait pas répondu. Rajasthan, désert... Ce

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents