FISSURES DANS LES MURAILLES
DEBAGDA
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Lettres du monde arabe Collection dirigée par Maguy Albet et Emmanuelle MoysanFouzia OUKAZI,L'Âge de la Révélation,2011. Rachida NACIRI,Nanna ou les racines, 2011. Abdelaaziz BEHRI,Moha en couleurs, couscous light et autres récits, 2011. Myriam JEBBOR,Des histoires de grands, 2011. Moustapha BOUCHAREB,La troisième moitié de soi, 2011. Ahmed-Habib LARABA,LAnge de feu, 2011. Mohamed DIOURI,Chroniques du quartier, 2011. Nadia BEDOREH FAR,Les aléas de ma destinée, 2010. Sami Al Nasrawi,L'autre rive, 2010. Lahsen BOUGDAL,La petite bonne de Casablanca, 2010. El Hassane AÏT MOH,Le Captif de Mabrouka,2010. Wajih RAYYAN,De Jordanie en Flandre. Ombres et lumières d'une vie ailleurs, 2010. Mustapha KHARMOUDI,La Saison des Figues, 2010. Haytam ANDALOUSSY,Le pain de lamertume, 2010. Halima BEN HADDOU,LOrgueil du père, 2010. Amir TAGELSIR,Le Parfum français, 2010. Ahmed ISMAÏLI,Dialogue au bout de la nuit, 2010. Mohamed BOUKACI,Le Transfuge, 2009. Hocéïn FARAJ,Les dauphins jouent et gagnent, 2009. Mohammed TALBI,Rêves brûlés, 2009. Karim JAAFAR,Le calame et lesprit, 2009. Mustapha KHARMOUDI,Ô Besançon. Une jeunesse 70, 2009. Abubaker BAGADER,Par-delà les dunes, 2009. Mounir FERRAM,Les Racines de lespoir, 2009. Dernières parutions dans la collection Écritures arabes N° 233 Rachid OULESBIR,Le rêve des momies, 2011. N° 232 El Hassane AÏT MOH,Le thé na plus la même saveur, 2009.
Sami ALNASRAWIFISSURES DANS LES MURAILLES DE BAGDAD Roman Tome I
Traduit de larabe par Driss BaoucharEl i
Du même auteur Sadâ al-samt (LEcho du silence), Roman, 1988 et 1991 Al-s ûdu ila al-manfâ (Montée vers lexil),Roman, 1988 u Mâ warâa al-sûr (Au-delà du mur), 1989, traduit au Roman, russe en 1996 Al-Dawwâmah (le Cercle vicieux),Roman, 1990 Zakhkhâtu al-Tâûn (Averses de peste),Roman, 1991 Al Mukâfaah (la Récompense),Roman, 1995 Lawahât mina al- wâqi (Tableaux du réel),Recueil, 1996 alâ hâfati al âkhirah (Au seuil de lau-delà), Roman, 1996 Awrâq al Zaman al dâi (Feuillets du temps perdu), Recueil, 2006 Achchati Al Aâkhar (LAutre Rive), Roman, T1, 2006 Achchati Al Aâkhar (LAutre Rive), Roman, T2, 2007 Achchati Al Aâkhar (LAutre Rive), Roman, T3, 2008 Ahl al Kahf (Les Gens de la caverne), Recueil, 2009 Choroukh fi Asswâr Baghdad (Fissures dans les murailles de Bagdad), Roman, T1, 2009. Choroukh fi Asswâr Baghdad (Fissures dans les murailles de Bagdad), Roman, T2, 2011.
© LHarmattan, 2011 5-7, rue de lEcole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-54631-8 EAN : 9782296546318
Avertissement
Je ne peux prétendre avoir exécuté son testament à la lettre. Cest quil mavait recommandé ce à quoi je mattendais le moins et chargé dune responsabilité au-dessus de mes moyens et hors de mes attributions. En tant quavocat chargé de défendre sa cause devant les tribunaux, je devais lui restituer sa personnalité juridique, celle de citoyen irakien, ainsi que les biens quon lui avait confisqués au profit des proches du Président. Je devais également apprendre le sort de son épouse, de sa fille Halima et de son fils Hamid, tous enlevés par les services de sécurité. Agonisant, les yeux en larmes, il mavait remis son dossier tout en sefforçant de me transmettre son message. Hélas, il a rendu son dernier souffle, emportant son secret avec lui. Le médecin a diagnostiqué son cas comme étant celui dun choc psychologique violent ayant paralysé son système nerveux dès quil avait appris que sa fille Nawal était tombée enceinte en prison sans savoir de quel gardien : nombreux étaient les geôliers à lavoir violée
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Je lus donc son testament en labsence de la première concernée dans laffaire, sa fille Nawal qui sétait suicidée en apprenant que le chagrin avait mis fin à la vie de son père. Lhomme avait légué les biens qui lui seraient éventuellement restitués à sa fille Nawal et mavait demandé de publier ses mémoires. « Je te recommande vivement, mavait-il dit, de publier ce témoignage que jai écrit à la hâte, sans retouches ni fioritures de style. Le désordre de ces feuillets comme leur manque de sérénité sautent aux yeux, mais il sagit de faits réellement vécus. En lisant ce témoignage, les gens sauront la vérité telle quelle est, non comme on lui voudrait quelle soit. »
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Le ronronnement des moteurs parvint à nos oreilles sans que nous sachions exactement qui venait vers nous, tellement lorage du désert était violent. Nous marchions à laveuglette, espérant atteindre un endroit qui nous sauve ou qui nous fasse périr. On marchait à limage dun peloton qui aurait subi une défaite cuisante dans une guerre. Chacun dentre nous saccrochait aux habits de son compagnon de crainte de se perdre. Le premier de la file, qui était le moins âgé de tous mais le plus costaud, avait prétendu connaître par cur la région pour y avoir vécu et travaillé avec ses habitants. On lavait cru et suivi avant de découvrir que ses propos nétaient que mensonges. En fait, il voulait nous encourager à continuer notre marche. Rester au même endroit signifiait notre perte : succomber à la faim et à la soif. Léger au tout début, lorage était un noyau de tourbillons semblable à un petit ouragan, tournant autour deux-mêmes à toute vitesse pour prendre de lampleur, arracher à la terre son sable et le jeter contre le soleil, peignant le ciel dune couleur terreuse, rougeâtre. Au début, nous en étions contents puisquil nous avait protégés des rayons du soleil brûlant. Mais à la longue, lorage avait obscurci le ciel. Avant que notre compagnon menteur ne nous eût incités de nouveau à lui emboîter le pas, nous nous étions déjà mis en rangs par terre, tournant le dos au vent et essayant
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de nous protéger les uns les autres. Les femmes tenaient les dernières rangées face à la tempête. Pour éviter le sable qui nous avait envahis, nous nous couvrions le nez et les yeux avec nos manches ; mais ce fut peine perdue car le sable nous aveuglait et agaçait nos narines. Les asthmatiques dentre nous toussaient sans arrêt car ils navaient pas eu le temps dapporter avec eux leur bronchodilatateurs : on les avait sortis de chez eux sans quils aient eu le temps de changer de vêtements. On sattendait à ce que certains succombent à leurs crises dasthme avant même que laurore ne pointe à lhorizon ou que ne sapaise la tempête. Daucuns saventurent et gagnent leur pari Ce fut le cas de notre compagnon ayant prétendu connaître la voie du salut et nous mener à bon port. Peut-être que Dieu avait pris pitié de nous en lui inspirant de nous conduire vers ce petit patelin-là, dont on pouvait compter les habitations sur les doigts. Là, on nous a donné de leau à boire et quelques morceaux de pain à manger. Cétaient peut-être les dernières denrées dont ils disposaient. Lorsque je mordis le morceau de pain, mes larmes jaillirent comme cela ne métait jamais arrivé auparavant Ma situation métonnait tellement, car un être qui échappe à une mort certaine et se retrouve sain et sauf doit, comme le bon sens le présuppose, éprouver une grande joie, non fondre en larmes. Serait-ce un sentiment de faiblesse, maintenant que lâme est la proie du désespoir ?On nous servit un thé léger de couleur pâle. Il semble quils nen possédaient quune petite quantité. Lusage est que le thé soit de couleur sombre et ait larôme de la cardamome. On donna à chacun un morceau de sucre quon lui demanda de mettre sous la langue pour siroter le thé, car cétait ainsi quils le buvaient par souci déconomiser le
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