HISTOIRE DE KIRA ET MYTHOS
95 pages
Français

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HISTOIRE DE KIRA ET MYTHOS , livre ebook

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Français

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Description

Au moment où se déroule leur histoire, les deux héros, Kira et Mythos, vivent dans une société différente de la nôtre. Une société qui a réussi là où Marx et Jésus avaient échoué. Bien que très rare, un seul crime subsiste, que cette société a été impuissante à empêcher, "l'amour fou", celui qui désolidarise de la communauté le citoyen qui en est atteint, celui-là est passible de l'exécution capitale immédiate.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2011
Nombre de lectures 29
EAN13 9782296805132
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’HISTOIRE DE KIRA ET MYTHOS
En couverture, L’étreinte, sculpture de Claire Sarrazin


© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www. librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54557-1
EAN : 9782296545571

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Marie France Gounouf


L’HISTOIRE DE KIRA ET MYTHOS


Postface de Bernard Eme,
L’épaisseur et la consistance de l’écume


Illustrations de Katia Dérévitsky


L’Harmattan
à Marc et Claire
PROLOGUE
« Aimer à loisir, aimer et mourir au pays qui te ressemble »

Baudelaire, « L’invitation au voyage », Les Fleurs du mal.


Doucement. Doucement ses paupières se soulèvent, ses yeux s’entrouvent. Elle se redresse légèrement. Un instant, elle croit qu’il fait jour et s’en étonne. Nous sommes au début décembre et elle perçoit dans le sommeil profond de son mari, couché à ses côtés, une heure très matinale, elle pense même très exactement 5 heures du matin. Puis, elle réalise que cette lumière qui éclaire leur chambre n’est pas celle du jour qui se lève mais provient du réverbère installé sous leur fenêtre.

Elle soulève drap et couverture, doucement aussi, pour ne pas réveiller son mari. Leur lit est installé dans un angle de la chambre, elle en occupe le côté situé contre le mur. Pour sortir du lit, elle doit donc enjamber le corps de son mari. Ce qu’elle fait. Lentement. Une jambe d’abord dont elle pose le pied sur le plancher. Ultime instant où sa pensée est encore ensommeillée, indolore. Puis, l’autre jambe, dont elle pose l’autre pied. Elle se redresse et dans l’immédiateté de ce geste, sa conscience se réveille, aussi vive qu’un soleil éblouissant. Elle est anéantie, elle se sait anéantie.

En longeant le couloir qui la mène à la cuisine, sur sa chemise à fleurs en pilou, elle enfile sa robe de chambre bleu ciel, molletonnée. Dans la cuisine, elle sort simultanément des placards, d’un tiroir et du réfrigérateur, le café, un filtre, le sucre, un bol, une petite cuillère, un couteau, le beurre et la confiture. Elle prépare le café. Pendant qu’il coule, elle fait chauffer un peu de lait. Puis, verse l’un et l’autre dans le bol. Elle s’assoie, enferme le bol entre ses mains pour la chaleur qu’il diffuse, commence à boire quelques gorgées pour la sensation apaisante de brûlure qu’elles lui procurent, puis se prépare une tartine, la mange et vide son bol. Il est à peu près cinq heures et demie. Dans les jours, les semaines, les mois qui vont suivre, chaque matin, le même scénario se répétera.

Son café bu, la souffrance l’envahit, millimètre par millimètre, elle l’occupe tout entière. Dans son corps, son ventre en est devenu l’épicentre. Dans son esprit, la conscience de l’absence de l’homme qu’elle vient de perdre régénère en permanence sa douleur.

L’homme qu’elle veut. L’homme qu’elle aime. L’homme qu’elle s’est rendu inaccessible en parlant la veille à son mari. Á celui-ci, elle a tout dit : le nom de la ville où elle avait rejoint cet homme, l’indicible bonheur qu’il lui avait donné, et même son nom, son nom à lui. Les paroles sont sorties de sa bouche sans qu’elle les ait voulues ou pensées, elles se sont en quelque sorte échappées d’elle, indépendamment de sa volonté. Elle a fait quelque chose de très banal : avouer à son mari, qu’elle vient de le tromper. Mais cet aveu a rompu en elle on ne sait quelles digues, la laissant défaite, son image d’amante, défigurée, sa représentation du monde, dévastée, son être, évidé.

Et, pourtant, dans les jours qui vont suivre, elle se souviendra. Lors d’un des repas qu’ils avaient partagés au cours de leur voyage, le sujet de leur dialogue devant s’y prêter, il l’avait mis en garde sur une faute à ne jamais commettre : celle de penser, parler et agir simultanément dans une même temporalité. Il fallait, lui avait-il dit, dissocier ces trois dimensions de l’être et les pratiquer sur des temps différents. Pour bien la convaincre de ce qui, pour lui, semblait être une règle d’or, il s’était saisi des trois petits sucres enveloppés de papier qu’on leur avait apportés au moment du café et, sur chacun d’eux, il avait écrit, sur le premier, le mot « pensée », sur le second, le mot « parole », sur le troisième, le mot « action ». Ces petits sucres étaient encore au fond de la poche de la veste qu’elle avait portée lors de leur voyage.

Dans le courant de cette première matinée, comme il lui avait promis en la quittant, il l’appelle. Entendre sa voix lui procure une joie vive et fulgurante. Elle l’informe de l’erreur qu’elle a commise. Irréparable. Elle le lui dit. S’en est fini d’eux deux. « Eux deux » devenu, à cause d’elle, l’impossible équation.

Ce matin, dès son réveil, elle l’a compris avec une vive acuité. Cet aveu, non seulement l’a détruite, mais a aussi détruit, non ce qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, mais toute possibilité pour eux de se retrouver, de se revoir. D’être ensemble. Elle ne cherchera jamais à comprendre en quoi cet aveu a pu provoquer un tel dommage dans sa vie. Justement parce que ce dommage est tel qu’il nécessite que le peu de forces vives qui lui restent soient mises égoïstement dans une volonté de se reconstruire et non de comprendre comment elle a pu en arriver là. Un nageur, épuisé, qui lutte pour ne pas se noyer ne s’interroge pas sur les raisons qui l’ont conduit à cette situation, il nage avec la force du désespoir !

Le temps égrène lentement ses heures, ses jours, et ses semaines. Ce temps qui ne passe pas et c’est là une des facettes la plus vive de sa douleur. Ce temps sans durée dans lequel elle survit.

Et pourtant, le temps passe. Demain c’est Noël. Sa maison est en désordre, les courses ne sont pas faites. Elle se traîne, sa pieuvre, c’est ainsi qu’elle nomme sa douleur, à moitié assoupie, étalée dans son ventre. Voilà des milliers d’instants qu’elle se traîne ainsi : calmant, sommeil, eau fraîche, bribes de rêves décolorés où elle tente de s’accrocher, mots d’espoir, qu’elle prononce machinalement, puisés dans sa religion ou ses lectures. La terre est meuble, la paroi s’effrite, aucune aspérité où elle puisse s’accrocher.

Des milliers d’instants sans émerger nulle part. De l’autre côté de la vitre, la vie. Elle n’a même plus l’envie d’y accéder. Les autres lui semblent vivre au ralenti. Eux ne souffrent pas mais ce qu’elle perçoit de leur vie la conforte dans son tout petit espace vital. Très rarement, affleurent à sa mémoire certaines images d’elle et de lui, ensemble : son sourire, son rire, son regard posé sur elle, la manière tendre et élégante qu’il avait de se pencher vers elle quand il lui parlait. Plus rarement encore, elle perçoit, lointain, le son intime et moqueur de sa voix. Et cela suffit pour qu’elle n’ait aucune envie de traverser le miroir et rejoindre les autres.

Pour l’heure, elle n’a plus d’ailleurs, elle n’a plus de racine. Les retombées atomiques de leur joie à tous deux, la mémoire de ce vol bref et parfait, ont, chez elle, rendu tout, étal, égal, évidé.

Ce matin-là, attablée devant son bol, une idée germe dans son esprit qui lui semble pouvoir atténuer l’intolérable absence. Elle va les faire vivre l’un avec l’autre dans une autre histoire dans laquelle ils joueront d’autres rôles. Lui, surtout, car elle ne se sent pas le droit de le faire apparaître tel qu’il a été et reste pour elle. Mais, dans cette histoire, elle va les faire revivre « eux deux » et ce sera chaque matin une sorte de rendez-vous clandestin avec l’impossible rencontre.

Ce matin-là, elle va chercher sa petite machine à écrire Olivetti, la pose sur sa table de cuisine, glisse en elle une feuille blanche et commence la frappe des premiers mots de son histoire.
« Et puis infiniment
Comme deux corps qui prient
Infiniment lentement
Ces deux corps se séparent
Et en se séparant

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