L Amicale latine
247 pages
Français

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L'Amicale latine , livre ebook

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247 pages
Français

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Description

Etrange texte, qui s'étire d'une rive à l'autre des mers, dans un monde révolu, le XXème siècle. Personnages et lieux se succèdent, alternent et se relient. Les protagonistes - exilés hongrois de France, d'Italie, du Chili, de Cuba - voient au fil des ans leurs perspectives sapées par des forces qui les dépassent. Au bout du chemin, que reste-t-il de ce qu'ils ont été ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2009
Nombre de lectures 240
EAN13 9782296927759
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Amicale Latine
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-08952-5
EAN : 9782296089525

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
André Vig


L’Amicale Latine


roman


L’Harmattan
PROLOGUE
T u te demandes, subitement, ce que tu fais là. Comme si tu avais le choix.
« Préparez vous, mon père arrive », dit la fille. Et quel décolleté ! Le gars au cartable te regarde ahuri : « Tu pars sans rien ? » Son cartable est plein. « J’ai tout dans les poches. » Vous vous couvrez, voilà le passeur. « En route, messieurs ! »
Vous prenez à travers champs, à la queue leu leu, le passeur en tête. Il n’y a pas de lune ni d’étoiles ; de brouillard non plus, et presque pas de brume ; un indéfini résidu de clarté vous enveloppe, et le vent. Il a récemment neigé et plu, à chaque pas la terre colle à tes semelles, mais tu ne sens pas ce que tu emportes, tu sens ce qu’à chaque pas tu laisses.
Un sentier, un chaume, et des ombres, des meules de paille. « Chut ! » fait le passeur.
Un jet de lumière transperce le vide au-dessus de vous. Vous vous plaquez à terre. Que le gars au cartable et toi : le passeur se sauve, il s’est sauvé !
Le faisceau balaie le chaume à hauteur d’homme. Au pied d’une meule, derrière la torche, des silhouettes en armes, le vent vous souffle des mots indistincts. Fausse alerte, la lumière s’éteint, la garde décampe. Et vous fuyez, à l’aveuglette.
Un vague chemin longe des labours, vous vous y engagez. Pan ! la fusée monte et illumine tout, vous vous jetez à terre derechef. De furieux aboiements éclatent, là-bas, près du chemin, dans un bouquet d’arbres fantomatique. Dès que la nuit retombe, vous foncez dans les labours. Du côté des chiens, des coups de feu claquent, des cris se répondent. Ventre à terre, vous parcourez une centaine de mètres ; puis vous vous aplatissez dans le creux des sillons.
Tu tressautes, et écarquilles les yeux : dans l’axe d’un halo lointain quelque chose se meut. Une chose indicible, qui avance sur vous. Sa forme est monstrueuse, son mouvement aussi, l’une et l’autre varient, l’obscure masse croît, dans un bruit de frottement. Tu veux alerter ton compagnon, mais ta voix ne t’obéit pas. Près de vous le monstre décélère, se désarticule, accélère en changeant de trajectoire. Qu’est-ce que c’est, Bon sang, mais qu’est-ce que c’est ? !
Une cohorte de fugitifs. Ils courent à foulées disparates, hommes, femmes, enfants. « Viens ! » fait le gars au cartable en bondissant de son sillon ; et il s’évanouit avec eux.
Tu te relèves, tu les suis – crois-tu – à pas lents, fourbu. Tu marches, marches ; et te revoilà entre des meules de paille. Aurais-tu marché en rond ? Tu contournes une meule. Elle est inoffensive. Tu y creuses un trou, tu t’y enfouis, et tu sombres.
Tu te réveilles engourdi par le froid. Le jour ressuscite le paysage de la veille. Quelque part dans cette campagne pourtant zigzague une frontière. Conventionnelle, précise l’antiphrase. Avec précaution, tu t’extrais de ton trou. Nulle âme qui vive, seul s’entend le chant ténu d’un coq.
Une petite route passe là, et tourne au coin d’un bosquet. Tu t’y aventures. Du tournant tu avises un clocher, à l’aspect aussi peu étranger que le paysage. Advienne que pourra, tu te diriges vers le village. Un paysan en sort, menant un cheval. Le paysan n’a lui non plus rien d’un étranger. Quant au cheval…
« Bonjour monsieur, où suis-je ? », lances-tu au paysan. « Bonjour jeune homme, en lieu sûr ! » répond-il, en hongrois. « Mais… C’est toujours la Hongrie, ici ? -Autrefois ça l’était, mais ça ne l’est plus. »
Tu lui sautes au cou.
PREMIÈRE PARTIE
1. LA HAVANE
Pal NEMES (Hotel Caribe, La HAVANE)
àImre IDAY (c/o Zanicoli, PADOUE)

La Havane, 18.12.1956

Mon cher Imi,
Eh oui, moi aussi. Par l’Autriche, moi. À l’usine les jeunes m’ont élu au Conseil, j’y étais le manœuvre bachelier. Par la suite, j’ ai rarement dormi dans mon lit. Les ouvriers contre ce pouvoir-là, quelle claque , tout de même ! Ça va te retomber dessus , disait ma mère. Mais je ne me suis pas laissé attraper.
Je vois d’ici ta stupéfaction, que je sache où te joindre, et à cause de Cuba.
À Eisenstadt, au camp de réfugiés , quelqu’un me hèle : un voisin parti après moi. A tout hasard mes parents lui ont confié une lettre , les dernières nouvelles. Mon père souffrait de sa jambe , le tien était de garde, ils se sont tout dit. Pourquoi es-tu passé par la Yougoslavie ? J’espère que ces lignes te trouvent à bon port. Je te souhaite un Noël de paix !
Cuba est un heureux coup d’essai. Des émissaires cubains sont venus au camp nous présenter leur île, prête à nous donner asile. Je me suis laissé séduire, et je m’en félicite.
La Havane est une grande métropole, avec un pittoresque noyau ancien, des limousines hollywoodiennes, et des fleurs partout, dans les Caraïbes c’est toujours l’été. Après mon baptême de l’air, j’ai fait mon baptême de mer. Je goûte des fruits exotiques. Je baragouine déjà quelques mots d’espagnol. Et même quelques phrases. J’entends aussi beaucoup parler anglais, la Floride est proche, les Américains raffolent de Cuba. Les filles sont jolies, de toutes les couleurs. Nous sommes hébergés dans un palace, les Cubains aiment trop la liberté pour ne pas apprécier ce que nous avons fait pour elle. Eux se distraient avec des révolutions d’opérette. Nos hôtes racontent que peu avant notre arrivée, des émigrés armés jusqu’aux dents avaient débarqué pour renverser le Président : à la première escarmouche ils ont détalé.
L’avenir, en particulier le mien, offre plein de possibilités ici. Je t’en dirai plus quand tu m’auras donné signe de vie.
Je me souviens de nos adieux au lycée comme si c’était hier. « Gaudeamus », chantions-nous, et « Bientôt dispersés par le sort, Comme la poussière par le vent ». Tout de même, qui aurait cru que ce serait si vite si vrai ? A la maison, la rumeur disait Robi mort, Feri Larime disparu : que sais-tu d’eux ? Gardons le contact, au moins nous deux. Écris-moi !

Ton ami : Pali
2 . RUE DE SEINE
C soma dit son nom. « Pouvez-vous l’épeler ? » demanda le Caporal. Le prénom fut pareillement couché. « En français, François », expliqua le Hongrois. Le Caporal tamponna l’imprimé : « Ceci vous permettra d’aller en ville. Mais demain nous avons besoin de vous, l’interprète s’absente. »
Csoma avait la hâte de l’explorateur, le mauvais temps n’y changeait rien. Il avait reçu de la Croix-Rouge un pardessus chic, légèrement usagé, et des chaussures, serrées mais de gala ; il les étrenna. La sentinelle dédaigna son papier.
Il atteignit un pont enjambant un cours d’eau. Il y fit une brève station, le pied déjà endolori. L’eau berçait des cygnes hiératiques ; les quais environnants n’étaient pas dépourvus de charme ; le crachin interdisait une vision plus ample.
Il franchit le pont, s’engageant dans une enfilade d’antiques maisons à colombage, montante. À une intersection, une tour dentelée, invraisemblablement haute, surgit du crachin.
L’immense nef couvait sa pénombre. Csoma s’avança vers le chœur, où une crèche illuminée déroulait son animation figée. Il ne résista pas à l’attrait de tant de chaises, il s’assit et, subrepticement, se déchaussa.
Il quitta le sanctuaire en boitillant, sous la pluie. Une vieille ratatinée le précédait, aux prises avec un parapluie récalcitrant. « Pardon madame, savez-vous où je peux trouver une banque ? » Elle s’éloigna peureuse et confuse : « Ich verstehe nicht franzözisch ! » Sur le parvis un homme ajustait son béret, le Hongrois rassembla ses rudiments d’allemand. « Bitte , wo ist eine Bank ? » L’homme le toisa avec hostilité : « En France on parle français, monsieur ! » À l’entrée d’un café, deux ouvriers bavardaient, en salopette sous leur gros blouson. À sa vue, ils s’interr

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