Romain Ghibaudi
L’ARBRE DU MAL
Mon Petit Éditeur
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IDDN.FR.010.0117163.000.R.P.2011.030.31500
Cet ouvrage a fait lobjet dune première publication par Mon Petit Éditeur en 2012

Prologue L’ morce a La plaine dherbe verte irisée par le soleil généreux de cette fin de journée était un spectacle grandiose. Au loin, des montagnes sélevaient dans le sillage dun nuage. Rien ne venait gêner cette éten-due sauvage. Pas lombre dune voiture, ni celle dune caravane. Il ny avait aucune trace du monde quon désigne par un mot usurpé : civili-sé. Pas étonnant quil ait choisi lendroit pour fonder sa demeure. Un lieu si reculé, bercé par la nature qui du soir au matin offrait sa provi-dence. Un lieu qui nous ressemble se réjouissait le visiteur, accoudé à lappui de bois couché sous la fenêtre. Il était arrivé tantôt sur le dos dun chameau, épuisé par la démar-che lente et poussive de la bête. Un jeune homme au crâne ras et à la toge rouge lavait accueilli, puis mené dans la pièce où il se reposait. Une atmosphère déserte jusque dans sa chambre. Pas dobjet super-flu. Une couche, une vasque pleine deau et lencens naturel du bois peint. Une pièce aux lignes nues propice au bon sommeil. Il avait bien dormi, tranquille, et bientôt on viendrait le chercher. Laura de son hôte se lisait en toute chose ici. Elle était bienveil-lante, sage et aimante, à limage du jeune garçon timide qui avait tapoté sur le flanc de la porte. Lenfant était gêné, mais quand il leut gentiment remercié, il lui avait rendu un si joli sourire que lhomme était heureux de laccompagner. Une miniature de son vieil ami. Pas tout à fait, se ravisa-t-il en admirant le vieillard mutilé par les années et de très vieux combats, dès quil fut en sa présence. « Mon pauvre, tu es bien arrangé ! Naie pas pitié de mon état : il sera bientôt lheure de tout re-commencer. Pas pour tout de suite, jespère .
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Cest donc le sens de ta venue ? Oui. Tout va se précipiter. Ils partent pour la Russie au début du mois prochain. Cest lui ? Cest certain. Tout ce temps dattente Je narrive pas à y croire. Eh bien crois, mon vieil ami. Rattache-toi à la Foi. Que faut-il que je fasse ? Pour lheure, cest encore flou. Mais il se pourrait bien quEriel le mène dans sa prison. Il nen sortira pas. Tu ferais quand même bien dy envoyer quelquun. Je ne sais pas où elle est. Moi si. Cest pour le vérifier que jai fait le voyage. Tiens, sur cette carte je lai marquée dune croix. On ma dit que tu préférais les anciennes méthodes. On ne ta pas menti. Bien. Dans ce cas, nous nous sommes tout dit. Ah ! Et noublie pas, quand il sera près de toi : il doit faire le chemin par lui-même. Ne lui dis rien de plus que ce dont il a besoin, et surtout, ne lui révèle rien sur moi. Le secret Nous sommes les êtres du secret. »
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Chapitre 1. Le partage Les cimes des arbres caressaient les lueurs rosées de cette fin de journée. Le ciel, encore bleu clair peu de temps auparavant, se recou-vrait peu à peu du manteau élégant de la nuit. Les dernières lueurs dun soleil rougi dextase virevoltaient abondamment au-dessus de lhorizon, jouant de leur charme pour séduire la forêt, les nuages et la lune. Tout se parait de leur éclat, senjolivait de leur beauté et senivrait de leur force. Le soleil séloignait calmement, envahissant lespace alentour de ses dernières ferveurs, insufflant son énergie en un ultime et formidable élan, communiant avec tous les êtres pour leur faire partager sa vie, son aura, son espoir, pour quils subsistent jusquau lendemain. La beauté de son lustre emplissait lespace à lheure de son départ. Ainsi sen allait-il accompagné du jour, repu du partage quil avait généreusement offert à ceux quil protégeait. Ainsi les confiait-il à sa compagne nocturne, abandonnant la forêt à son âme profonde, faisant des arbres ses piliers, ses gardiens qui comme chaque soir se préparaient à leur labeur quotidien. Chaque soir, Famia venait admirer ce spectacle, et y décelait les fluctuations infinies qui sétalaient devant elle comme une multitude dhistoires, toujours différentes, toujours aussi belles. Elle aimait sabandonner au rêve que lui inspirait cette dimension supérieure, vagabondant avec les étoiles, simaginant mille querelles entre le soleil et ses surs. Étaient-ils comme elle ? Avec leurs craintes, leurs envies et leurs espérances ? Étaient-ils tout autres ? Des esprits illimités, indéfinis, radicalement meilleurs ou totalement vides ? Une telle beauté, une telle grandeur en émanait que Famia ne parvenait pas à leur refuser une âme. Elle navait pourtant aucun moyen de le savoir vraiment. Juste sa sensibilité.
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Le Grand Sage lui avait décrit leur naissance, et lui racontait quils étaient sans essence, sans pensée et sans cur ; tristes divinités de la matière, supérieurs par leur forme, inférieurs par leur être. Des dieux déchus aux yeux de tous. Mais il avait aussi dit quen vivant assez longtemps, elle finirait par comprendre entièrement cette réalité, à sen faire la maîtresse et à la façonner, et elle nourrissait lespoir fou de découvrir un jour autre chose derrière les enveloppes creuses, simples émanations du ciel et des croyances qui sy rattachent. Repos délicat avant le tumulte de la nuit. Bientôt le village sagiterait avec le réveil des traqueurs. Ainsi lair semplirait progressi-vement de la fièvre pécheresse. Avec la moiteur de la nuit viendrait celle de la chasse, puis le moment de lhorreur, celui où les siens de-viendraient pires que des bêtes. « Lacte primaire garant de notre évolution, rassurait le Grand Sage, le passage obligé vers léternité. » Mais avant que les tambours volent à la nuit sa tranquillité, avant quils répandent leur fureur, imprimant leur rythme effréné au cur de toute créature, Famia savançait hors du camp, pénétrait dans la forêt, entre branches, fougères et lianes, et venait sasseoir au bord des rochers, ses rochers, pour profiter des derniers instants du soleil, gardien de la paix précaire de son âme, à défaut de celle de son corps. Là, elle se souvenait de lépoque lointaine où son village vivait avec le soleil, au cur dune nature rayonnante. Tout navait pas tou-jours été comme aujourdhui. Il y avait eu ces jours où la chasse ne sassociait pas avec le vol carnassier de la vie. Ces temps où il fallait tuer pour subsister, vivre et se nourrir sainement, et non pas sadonner au culte sanglant quils perpétuaient maintenant. Ces moments furent révolus le jour où le Grand Sage arriva avec ses myriades de talents et de paroles savantes. Il disait venir de loin, très loin, et leur avait raconté quil nétait pas comme eux, quil avait connu dautres temps, dautres espaces, que dautres hommes vivaient là doù il venait, que dautres avaient vécu avant eux, et de nouveaux viendraient après ; après eux, même, après que leurs esprits se soient éteints et que leurs corps desséchés soient sans vie. Il avait expliqué à la tribu la vie de toutes ces personnes quil avait connues, lui avait détaillé leurs histoires, leurs querelles, leurs amours, leur sagesse ou leur stupidité. Il avait conté leurs exploits et leurs légendes, décrit leurs croyances tout en disant que presque toutes étaient sans raison
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