Pierre Castillou
Lèincendie de Boukassa Roman
Du même auteur :
–Regards sur le chemin de Compostelle.Princi Negue. 2002 –La Voie d’Arles. Pyrémonde. 2004 –Chemin et Histoire Cathares. Pyrémonde. 2006 –Guide de l’Aragon en 54 balades. PRNGéditions. 2011
Ce livre est une fiction inspirée d’un fait divers réel, cependant toute ressemblance entre les personnages de ce roman et des gens existants ou ayant existéserait pure coïncidence.
Malgré le soin apporté à la correction de son ouvrage, il peut arriver que l’auteur laisse passer coquilles ou fautes d’orthographe. Nous prenons le risque de l’éditer ainsi et comptons sur votre compréhension.
© LÈHarmattan, 2011 5-7, rue de lÈEcole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-54962-3 EAN : 9782296549623
À Mona, Nadiaet Jean-Luc Pruvost, Monique Kaborette et Gérard Desmoulins, Bernard et Annick Bénéteau-Kaboré, Josiane et René Ginoux, Laure, Magali, Alain et tous les autres…
Mes remerciements les plus chersàmon ami Bernard Didier pour ses corrections et ses conseils avisés.
- Quel est cebruit inquiétant, que signifient ces cris ?
Aboubacar s’étire sur son lit, réveilléen pleine nuit.«BonDieu ! Quelle heure est-il ?» L’instituteur de l’école centrale s’extrait péniblement de la moustiquaire qui pend du plafond comme un parachute percé. L’homme tend le bras vers le tabouret en bambou qui lui sert de table de nuit et regarde sa montre fluorescente en maugréant :«une heure dix ! Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible ! Mais que se passe-t-il ? Quel est ce tintamarreàune heure pareille ?». L’homme demeure assis quelques instants sur le matelas de mousse posé à même la terre battue. Il reste ainsi,àmoitiéendormi, ses longues jambes repliées comme les mandibules d’une mante religieuse,àrefuser ce chahut Pourtant les cris se répètent ! Les appels des femmes le disputentàceux des hommes.«Y a-t-il eu un coup d’Étatàla capitale ? Non ce n’est pas possible, le Président est un bon démocrate, aimépar son peuple, ce n’est pas cela, pour savoir, une seule solution, il faut que j’aille voir», cogite Aboubacar. Le jeune enseignant chercheàtâtons son pantalon et son tee-shirt jetés en boule sur son coffre, unique meuble de sa case oùil range son patrimoine. Le confort est spartiate chez l’instituteur. Ses vêtements pendent àune corde qui traverse la pièce comme du linge qui sèche, pas de chaise ni de table, pas davantage d’électricité, juste une lampeàpétrole pour s’éclairer. Aussi, comme sous ces tropiques la nuit tombe brutalementà18 heures, souvent le maître d’école reste tard en classe pour corriger les copies de sesélèves. Par chance, son groupe scolaire bénéficiant de panneaux solaires offerts par une O.N.G., Aboubacar ne rejoint sa modeste case en piséque pour dormir. Son salaire de fonctionnaire ne lui permet pas de se payer le logement plus spacieux dont il rêve. Dans Boukassa, les offres de location sont rares,«elles ne se trouvent pas sous les sabots des bourricots» dirait son vieux père restéau village de Youfo, situé àune trentaine kilomètres par la piste. Ainsi, sans parentéqui puisse l’héberger localement, le jeune instituteur se contente de vivre dans cette case sans confort, en attendant des jours meilleurs La foule le cueille sur le seuil de sa porte. Une vague humaine se dirige vers l’entrée de la ville où, bien qu’en pleine nuit, le ciel rougeoieétrangement. Le flux abondant lui rappelle le jour de la Tabaski quand la majoritédes fidèles vontàla mosquée pour la prière. Une femme tout excitée lui crie : - Venez vite monsieur l’instituteur, la mairie brûle, il faut aller aider les autres, dépêchez-vous ! Tous les bras sont nécessaires pouréteindre le feu !
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Sans attendre, le maître d’école enfile ses tennis et fileàtoutes jambes vers l’hôtel de ville sans même prendre le temps de nouer les lacets.«Attention ! Méfie-toi des ravines et de ces ornières perfides creusées par les pluies» pense-t-il en courant. Il a raison car des cicatrices profondes balafrent la piste ; la municipalitétraîne toujours pour les faire combler, il faut enjamber ces pièges, les contourner, et l’obscuritéaccentue le danger, ce n’est pas le moment de se tordre une cheville ! La foule attirée par l’incendie s’attroupe comme les papillons de nuit autour d’un lampadaire. L’essaim humain freine la progression du jeune enseignant. Des femmes trottinent en ajustant leurs boubous Certaines ont confiéleur bébé àla vieille grand-mère restéeàla case. C’est l’avantage de l’Afrique où, sans maisons de retraite, les anciens demeurent au sein de la concession familiale. Ainsi, les jeunes soutiennent leurs vieux qui rendent des services selon leurs possibilitésLa solidaritén’est pas une légende. Aboubacar comprend l’empressement des villageois, tous partagés entre la curiositéet l’inquiétude : les distractions sont si raresàBoukassa La plupart des hommes sont partis les premiers pour organiser une chaîne de seaux d’eau qui se tortille comme une chenille et lutte contre les flammes. Mais la noria paraît dérisoire, la partie semble perdue d’avance, trop inégale, trop déséquilibrée ! Le feu a pris trop d’avance ! Il gronde et rugit comme un fauve, sa rage dévore l’édifice. Les langues enflammées comme celle d’un dragon sapent l’édifice et jaillissent hors des murs comme des lance-flammes. Hélas, dans ces contrées, personne ne possède le moindre extincteur et il n’existe qu’un seul puitsàproximité. Sa pompe manuelle paraît insignifiante. Malgrél’effort soutenu des hommes les plus costauds qui actionnent son brasàtour de rôle son débit n’excède pas un seau d’eau par minute ! Une goutte pour les flammes qui se réjouissent et progressentà grande vitesse ! Par chance, l’hôtel de ville s’élève au centre d’une large esplanadeLe brasier ne pourra pas sauter vers d’autres constructions ni déclencher un feu de brousse.
- Quelqu’un a-t-il prévenu les pompiers de Dougou ? crie Aboubacaràla cantonade en regardant les bouffées de fumée qui s’échappent sous les tôles comme lorsque la vapeur soulève le couvercle de la marmite.
- Oui, oui, c’est fait ! C’est monsieur Diaby, le secrétaire général de la mairie qui s’en est chargé, répond une voix anonyme.
- Il y a combien de temps, poursuit l’instituteur ?
-Ça doit faire dix minutes ou un quart d’heure, intervient Norbert déjà présent sur les lieux.
Les reflets du brasier teintent de rouge et jaune les cheveux blancs du premier adjoint. 8
- Et legardien de nuit, oùest-il, est-ce que quelqu’un l’a vu, il n’est pas au moins resté àl’intérieur ?
- Non, non, il est dehors, c’est lui qui a prévenu notre secrétaire général de l’incendie.
- Il n’y a personne là-dedans, c’est sûr ?
- Non, non, il n’y a personne, répond le premier adjoint.
- Vous enêtes certain ? insiste l’enseignant.
- Oui, absolument, de toute façon, la mairie est toujours ferméeàclé! Même le veilleur de nuit n’a pas la possibilitéd’y entrer pendant sa garde. Il est impossible que quelqu’! Et si cun y soit ’était le cas, ce ne pourraitêtre qu’un cambrioleur et dans ce cas le voleur n’aurait que ce qu’il mérite !
- Que voulez-vous dire monsieur Norbert ?
- Rien, rien, je ne veux rien dire. Pour moi, il n’! Il y a dy a personne ûy avoir un court-circuit ou alors c’est peut-être un mégot maléteint
- Un court-circuit ? Avec les panneaux solaires ? s’étonne l’instituteur.
L’éclat du feuéblouit la population. Uneépaisse chaleur se dégage. Les flammes miroitent dans les yeux des curieux et leurs reflets dansent une sarabande sur leur visage. Des odeurs de plastique et de caoutchouc brûlés imprègnent l’atmosphère. Les enfants qui accompagnent leurs parents restent bouche bée et se demandent s’ils doivent croireàce qu’ils voient ou se pincer : si tout est vrai ou pure magie ? La nuit amplifie l’intensitéet la taille des flammes qui dévorent goulûment l’édifice public dans un grand fracas. Des craquements sinistres montent du brasier géant comme si,àl’intérieur, un mauvais génie s’acharnaitàtout casser en activant son grand soufflet. Les tôles du toit s’empourprent, noircissent, se tordent, se contorsionnent avant de s’écrouler dans le brasier en se libérant de leurs attaches. Des gerbes d’étincelles jaillissent etéclatent en bouquets dantesques. Ce feu d’artifice émerveille les gamins qui clignent leurs yeux ou cachent leurs mirettes derrière leurs petites mains. Les habitants se tiennentàdistance. Les pompiers improvisés ne s’approchent plus du brasier devenu trop violent et déversent inutilement leurs seaux d’eau loin des flammes. La chaleur est intense ! David affronte Goliath, mais le géant triomphe !
- C’est beau, murmure la petite Aminata cramponnéeàla main de sa grande sœur Asseytou qui répond :
- Oui, c’est beau maisàmoi la fumée me pique les yeux. 9
- Et à moi lagorge, oh ! Entends les pétards !
- Que tu es bête, ce ne sont pas des pétards, c’est le bois qui pète.
- Maisça ne pète pas le bois !
- Ouiça pète !Ça pète quandça brûle ! Tu entends ?
- Oui,ça fait comme le vieux Souleymane quand il mange trop d’haricots ou d’arachides !
Les yeux de l’enfance ne réalisent pas l’ampleur du désastre L’évidence est pourtant là! Dramatique réalitédevenue fatalité. La mairie de Boukassa part en fumée et les pompiers de Dougou arriveront trop tard !
- C’est une catastrophe, elleétait quasi neuve dit un homme dépité àson voisin quiégrène son grigri entre ses doigts pour implorer clémenceà quelque dieu du feu.
Plus loin, une chrétienne se signe ; vaine prière dans la nuit. Il est trop tard ! Le vieillard martèle rageusement sa canne, il comprend qu’il ne reste plus rienàsauver Après la stupeur, l’inquiétude et l’effroi, les interrogations pointent. Face au désastre, la population s’interpelle et discute dans un chahut indescriptible. Chacunéchafaude son hypothèse, expose sa théorie sur l’origine du feu et répète ses explicationsàquiconque veut lesécouter. L’excitation monte. Vivre un telévénement n’! Certains villageois searrive pas tous les jours désolent, d’autres deviennent sceptiques, mécontents et en colèrePourtant si tous réalisent que cetévénement dramatique les concerne directement, la plupart comprennent que l’incendie ne les affectera finalement que peu, car dans le fond, la destruction de l’hôtel de ville n’aggravera pas le quotidien du peuple. Que le maire, ses adjoints et les secrétaires n’aient plus de bureaux pour travailler, cela est leur problème. Inch’Allah ! Qu’ils se débrouillent ! Cette objectivité, froide mais réaliste, pousse certains hommesàplaisanter,à raconter des blagues. Très vite des railleries fusent. Chacun en prend pour son grade : il faut bien rire de tout ! Près d’Aboubacar, un groupe de jeunes fait des commentaires désobligeants sur les pompiers qui tardent, d’autres, mécontents de l’action municipale, profitent des circonstances pour critiquer tel ou telélu, le clan du maire, son train de vie et que sais-je encore Dans cette ambiance, la majoritéde la foule reste patiemment sur place. Personne ne veut manquer l’apothéose finaleLe spectacle dantesque ne s’achèvera qu’après l’! En attendant, lesintervention des soldats du feu questions et les réponses rebondissent :
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