La vie extra
214 pages
Français

La vie extra , livre ebook

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214 pages
Français

Description

Echapper à la banalité de la vie courante, braver les lois de la nature... N'est-ce pas ce qu'espèrent au fond d'eux-mêmes beaucoup d'entre nous ? Pourtant, rien n'est plus confortable que la routine, car finalement, quoi de plus angoissant que de se retrouver en terre inconnue, d'être confronté à l'inédit ? Ces treize histoires racontent comment des gens tout à fait ordinaires ont vu leur existence bouleversée par un événement extraordinaire et s'en sont difficilement remis...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 37
EAN13 9782296495784
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96553-9 EAN : 9782296965539
La vie extra
Hervé Jannic
La vie extra
Nouvelles
L’Harmattan
À BBB
I
Bienvenue dans l’au-delà
est après l’une de ces soirées amicales qui nous C’ réunissaient environ une fois par mois chez l’un ou chez l’autre que Paul, inhabituellement silencieux pendant le dîner, se décida à me livrer son secret. Il était presque deux heures du matin et chacun était reparti chez soi depuis un bon moment, laissant Dany, dont c’était le tour de faire la bouffe, remettre un peu d’ordre dans son studio. Seuls Paul et moi traînions encore sur le trottoir, rue des Écoles, redoutant de ne trouver ni station de métro ouverte ni taxi. C’est alors qu’il me tira par la manche. « Allons prendre un café, j’ai quelque chose de bizarre à te raconter », me dit-il d’une voix mal assurée. À trois cents mètres de là, près du boulevard Saint-Michel, on distinguait les néons d’une brasserie assez glauque, providence des couche-tard. Visiblement fatigué par sa journée, un serveur chauve à la veste tachée fit mine de consulter sa montre puis prit nos commandes en maugréant. J’étais anxieux d’écouter Paul. Qu’il lui soit arrivé quelque chose de bizarre était tout simplement impensable.
8LA VIE EXTRADifficile de trouver un type plus prévisible, plus convenu et aussi dépourvu d’imagination. Tout, chez lui, était désespérément normal et idéalement formaté : famille bourgeoise, études solides, début de carrière prometteur dans la finance, vie sentimentale plutôt sage. Paradoxalement, c’est ce sens de la mesure qui le rendait indispensable dans notre bande d’excités.
« Écoute-moi bien, finit-il par lâcher, crois-moi ou pas, j’ai vu Julien hier midi. » J’étais estomaqué : ou Paul avait abusé des alcools de Dany, ou il croyait aux revenants. Mais il reprit avec force : « Je ne suis pas fou. Je l’ai vu comme je te vois, et nous nous sommes même parlé. »
Pour comprendre ma surprise, il faut savoir que Julien était mort deux ans plus tôt d’une hépatite foudroyante. Il était des nôtres, le plus entreprenant de notre petite équipe. Nous lui avions rendu visite à l’hôpital alors qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même, nous étions présents à l’office religieux puis au cimetière, nous avions partagé la douleur de la famille. Aujourd’hui encore, son absence nous pesait, tant sa personnalité était forte, son goût de vivre intense, son comportement fantasque. Tout le contraire de Paul, en somme. Et pourtant, c’est ce même Paul qui, bousculant pour une fois le bon sens, ne cessait de répéter en bégayant : « J’ai vu Julien hier, il m’a parlé. »
Ses propos étaient tellement décousus qu’il me fallut un bon moment pour y mettre un peu d’ordre. Je résume. La veille, à l’heure où ses collègues déjeunaient à la cantine, il faisait son tour habituel dans le quartier des Ternes, le
LA VIE EXTRA 9 même parcours depuis des années, en mastiquant son jambon-beurre. C’est alors qu’un individu emmitouflé dans une longue gabardine l’aborda discrètement : « Salut, Paul ! Regarde-moi, n’aie pas peur. Surtout pas d’affolement. » C’était bien Julien, la voix de Julien, le sourire ironique de Julien. Visiblement, il avait choisi Paul pour réapparaître et alerter le reste du groupe, car c’était le plus crédible d’entre nous ; personne n’accuserait un garçon aussi peu fantaisiste d’inventer une telle histoire. La rencontre ne dura que quelques secondes. Coupant court à la foule de questions que voulait lui poser un Paul complètement décomposé, Julien disparut brusquement après avoir lâché : « On se verra samedi soir chez Dany, soyez tous là à neuf heures, j’ai beaucoup de choses à vous dire. » Cette convocation résonnait comme un ordre ; du Julien tout craché.
La journée du lendemain fut dense en échanges téléphoniques. Paul m’avait chargé de mettre au courant Bob, David et surtout Dany puisqu’on devait se retrouver chez lui. Chacun de mes coups de fil fut accueilli par une grosse rigolade, suivie d’un silence pesant quand j’insistais sur la solidité du témoignage de Paul, pas vraiment du genre à débiter des balivernes ou à péter un plomb. Naturellement, les avis sur la conduite à tenir divergeaient fortement, mais, au final, la curiosité l’emportant sur le doute, on fut tous d’accord pour jouer le jeu. Le surréalisme de la situation n’empêchait pas le malheureux Dany de se casser la tête avec des détails
10LA VIE EXTRAd’ordre matériel du genre « dois-je préparer un dîner ? » ou « un mort vivant boit-il du vin ? » ou encore « faudra-t-il lui serrer la main ? peut-être qu’il n’a pas un vrai corps… » Sans l’avouer, nous n’étions pas loin de penser comme lui.
Toujours est-il que samedi, nous étions là au grand complet dès huit heures, très mal à l’aise, secoués par un rire nerveux pour certains, tétanisés pour d’autres. Seul Paul semblait avoir retrouvé son flegme légendaire, ce qui ne l’empêcha pas de tressaillir quand retentirent trois coups de sonnette, le signal habituel de Julien pour s’annoncer.
C’est moi qui ouvris la porte. Il n’avait pas changé. Un peu plus pâle peut-être, le regard moins perçant, mais c’était bien le même Julien, toujours aussi chaleureux. Il nous enlaça affectueusement les uns après les autres, de quoi rassurer Dany : oui, on ne pouvait mettre en doute la réalité de son corps.
Julien prit tout son temps pour prendre des nouvelles des uns et des autres, sans doute pour repousser à plus tard les interrogations qui nous démangeaient. Mais, comme on s’en fit la réflexion après son départ, on sentait bien que nous n’avions rien à lui apprendre. Ce diable d’homme savait tout sur nous.
Une fois épuisées les banalités et vidés quelques verres, un lourd silence s’installa et notre ami comprit qu’il devait se lancer. Retour deux ans plus tôt, donc, aux heures les plus sombres de sa maladie.
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