Le Réveil du fleuve
118 pages
Français

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Le Réveil du fleuve , livre ebook

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118 pages
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Description

Dans ces nouvelles, Toerau Darrasse partage avec nous la vie quotidienne d'une galerie de personnages: un griot guadeloupéen vendeur de jus de fruit, un jeune garçon qui collectionne les pierres, un Polynésien embarqué sur un thonier...
Et de ces simples vies surgissent parfois la sagesse, la folie, l'étrange... Au fil des pages, le lecteur se laisse envahir par le charme de ce décalage entre terre à terre et irrationnel.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2010
Nombre de lectures 189
EAN13 9782296695108
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Réveil du fleuve
T oerau D ARRASSE


Le Réveil du fleuve
et autres nouvelles
© L’H armattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11292-6
EAN : 978229611292-6

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Les cailloux
Ce ne sont ni la lune ni le soleil qui m’ont guidé, bien qu’ils se réfléchissent sur les cailloux de manière insidieuse, mais non, c’est à cause de la vieille femme. Je l’ai toujours appelée ainsi, la Vieille-femme, comme tous les gens du village d’ailleurs. Impossible de dire depuis combien de temps on l’appelait comme ça, sans doute depuis longtemps.
Au départ, je pensais que ma lubie ne tenait qu’à moi, ramasser des cailloux et les entasser.
Bien sûr, j’étais attiré par leur côté figé. Et puis quand ils prennent la lumière, la mouvance des reflets, des couleurs et de la forme, tout d’un coup, on regarde un trésor. Son côté unique en devient presque blasphématoire mais ce n’est qu’une pierre, c’est ce que tout le monde disait, surtout ma Mère.
Petit, ça ne tenait à rien, juste sentir les pierres dans la paume de mes mains un peu sèches à cause de l’eau calcaire de la rivière, des petites mains calleuses de paysan, non pardon, d’enfant de la campagne, rôti au soleil de l’été, durci au froid des neiges de l’hiver.
Les tourner et les fixer pendant des heures, me les approprier une à une.
Quand ma passion des pierres a commencé, en effet, j’étais jeune, huit ans peut-être, mais ce n’était qu’un passe-temps, puisque je n’avais pas encore approché la Vieille-femme.
Pendant les vacances scolaires, je passais des heures dans les remous à collecter, comparer, puis en fin de compte thésauriser, jusqu’à ce que mes doigts soient aussi ridés que le visage de mon Grand-père qui finissait sa vie devant la cheminée.
Lui aussi, il m’a toujours semblé étonnement vieux pour être mon Grand-père.
Étant fils unique, je me devais de m’occuper seul, pendant que ma Mère travaillait. Mon Père, lui, était sur les routes les trois quarts de l’année ; représentant en trousseaux.
Je ne le voyais qu’un week-end sur trois, ou un peu pendant ses courtes vacances qu’il occupait surtout à récupérer des heures de sommeil et à faire de petits travaux de réparation dans la grande et vieille maison.
J’avais rarement le droit d’aller jouer avec les autres enfants, ceux du village.
En tant que fils unique, ma Mère me surprotégeait et s’appropriait les moindres démonstrations d’affection que j’aurais pu avoir vis-à-vis de quelqu’un.
Alors mon univers, tout naturellement, a commencé à être jonché d’un sentier de pierres et de cailloux, qui allait me mener je ne sais où et quand l’hiver était trop froid, ou durait trop longtemps pour aller à la rivière, je lisais au coin de la cheminée, en regardant de temps en temps si mon Grand-père n’avait pas rendu son dernier soupir au détour d’un chapitre.
Mais non, il respirait toujours, des rides se dessinant presque à vue d’œil sur sa vieille face.
En grandissant, mes lectures se sont vite orientées. Elles se décomposaient de deux façons : l’imaginaire, avec les contes et légendes, et l’histoire, surtout les dynasties de grands bâtisseurs. D’un côté le rêve et de l’autre, toujours cette attirance pour les pierres, qu’elles soient érigées en pyramides, en cathédrales ou en châteaux forts.
Quand j’attaquais un bouquin sur les églises et autres édifices religieux, je voyais le regard du « Vieux », c’est comme ça que ma Mère disait, qui s’allumait et son cou de reptile qui s’allongeait de plusieurs centimètres.
J’avais bien essayé de lui montrer les images et de lui lire des passages, mais il refusait de parler. Il ne parlait plus depuis la mort de ma Grand-mère.
Pas parce qu’elle n’était plus là et qu’il jugeait qu’elle seule aurait été digne d’entendre ses paroles.
Non, c’était un refus de communication général.
Le jour de la mort de sa femme, il avait cessé d’émettre des sons, sauf qu’en dormant il ronflait comme une locomotive diesel.
Quand Grand-mère est partie, ma Mère l’a maudit : « Je te maudis, le Vieux » et il a fallu longtemps avant que l’on ne veuille m’expliquer pourquoi.
Du coup, il ne parlait plus, même à moi qui suis né après la mort de ma Grand-mère. Ma Mère m’a juste dit qu’elle était morte de chagrin.
À lire, à rêver et à collectionner les cailloux, je suis évidemment devenu un élève studieux et appliqué. Le rêve de ma Mère était que je devienne professeur, pas simple instituteur, non, professeur de collège, ou de lycée et pourquoi pas en fin de carrière, directeur d’établissement.
À mon entrée au lycée, je suis donc parti à l’internat dans la ville d’à côté. Ma Mère était prête à tous les sacrifices, même à se séparer de son fils chéri.
Et quand je revenais le week-end, je continuais à collecter et à collectionner mes pierres, toujours celles de la rivière. C’est comme ça que j’ai rencontré la Vieille-femme.
Elle avait acheté une petite maison à un étage, juste à la sortie du village, avec une cour devant. Elle y vivait seule sans chat ou quoi que ce soit.
La première fois donc, j’ai vu la Vieille-femme. Elle, non. Elle me tournait le dos, penchée.
On aurait dit qu’elle s’observait dans le reflet de la rivière. C’était l’été et elle était presque à sec, mais un grand filet d’eau claire coulait encore au milieu du lit.
Normalement, je ne venais jamais jusque-là, aussi loin, mais, à force de collectionner, je m’étais rendu compte que les pierres devenaient de moins en moins intéressantes, certainement parce qu’au fil des années j’avais ramassé les plus belles.
Et puis, ma Mère m’avait toujours interdit de m’éloigner trop. Alors les quelques centaines de mètres en plus que je faisais, c’était sans doute une façon de m’émanciper et de partir à l’aventure. J’allais avoir seize ans et bientôt passer le Bac, alors depuis quelque temps je m’enhardissais.
En m’approchant doucement sur les berges pour ne pas faire de bruit, j’ai vu qu’elle lavait quelque chose, une pierre lisse, qu’elle frottait délicatement dans ses mains de vieille.
Derrière elle, il y avait un petit tas d’autres cailloux mouillés qu’elle venait juste de sortir. Les pierres humides tranchaient avec celles séchées par le soleil, avec leurs croûtes de limon. Elle s’est à demi tournée sans me voir et a commencé à toutes les examiner et les palper, puis son choix s’est arrêté sur l’une d’elles, elle l’a essuyée dans sa jupe de lin et s’est redressée.
Elle m’a vu. À la main, je tenais aussi une pierre. Je gardais toujours la plus belle de mon expédition avant de la ranger dans mon sac.
L’espace d’un instant, elle a paru surprise, puis elle a fixé ma main et elle a souri.
Elle m’a tendu sa pierre et moi la mienne. Les deux se valaient, mais dans un style différent, la mienne très piquetée et la sienne lisse et d’une forme oblongue.
Elle m’a juste dit :
« Ce n’est pas la première fois que je te vois. Je t’ai aperçu souvent, même quand tu étais plus jeune. Tu vois, moi aussi, je ramasse les pierres, mais une à chaque fois, en souvenir ».
Je n’ai rien su répondre, juste : « Ah ! »
Elle était tellement intimidante dans sa tenue de lin, avec un visage ouvert et ridé. J’ai même pensé un instant qu’elle aurait pu être ma Grand-mère. Elle m’a souri puis est partie après avoir récupéré sa pierre.
Moi, j’ai rangé la mienne dans mon sac et je suis rentré.
La fin de l’été annonçait pour moi le retour à l’internat. Je l’envisageais toujours avec joie. D’un côté, c’est vrai, j’allais gagner une certaine indépendance, quitter cet immense cocon qu’était devenue la vieille maison, mais de l’autre avec crainte parce qu’avant, il faudrait me plier au

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