LE TUMULTE ET LA FAIM JOURNAL D UNE LECTRICE REMISE AU MONDE
135 pages
Français

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LE TUMULTE ET LA FAIM JOURNAL D'UNE LECTRICE REMISE AU MONDE , livre ebook

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135 pages
Français

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Description

La littérature n'est pas un mot. Elle est une chose concrète en partage avec la vie. Chaque fois qu'un livre nous accompagne, il mène avec nos heures, nos soucis, nos joies, une aventure propre. A chaque fois c'est la même chose : nous sommes tristes de finir le livre. Ces chroniques, devenues pour la radio, une émission intitulée "En début de page", témoignent de cet attachement et de la vivacité d'une conviction : lire et écrire nous remettent au monde.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 135
EAN13 9782296811683
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattanl@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55210-4
EAN : 9782296552104

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Le tumulte et la faim

Journal d’une lectrice remise au monde
Du même auteur


en poésie

Les Moustiques dorment aussi, aux éditions Encres Vives, collection Encres Blanches 2002, Colomiers
Faire usage du sablier, Encres Vives, 2003
Il pleut sur les verrières, Encres Vives, 2004
Faisons les morts sous la fourrure, Encres Vives, 2010
Mon amour est lampe d’ogre, L’arbre à paroles, 2003, Amay (Belgique)
Délogée du monde, L’arbre à paroles, 2004
Temps bénit où fut sommeil, L’arbre à paroles, 2006
Plis nombreux qu’on fait, La Porte, 2004, Laon
Fragmentations, La Porte, 2009
La gomme couleur cendre, La Porte, 2010
De ma haine de la description, j’avais oublié l’univers, L’impertinente, 2003
Boxes, Gros Textes, 2005, Châteauroux-les-Alpes
La Tactique des Anges, L’Harmattan, collection Espace expérimental, 2008, Paris


en philosophie

La philosophie à l’épreuve du quotidien, aux éd. L’Harmattan,
collection Ouverture philosophique, 2005, Paris
La philosophie à l’épreuve du quotidien, tome 2, Méditations du temps présent, L’Harmattan, collection Ouverture philosophique, 2008, Paris
Portraits de Maîtres : les profs de philo vus par leurs élèves, ouvrage collectif, éditions du CNRS, 2008, Paris
Balade en Limousin , ouvrage collectif, éditions Alexandrines , collection « Sur les pas des écrivains », 2009, Paris
Marie-Noëlle Agniau


Le tumulte et la faim

Journal d’une lectrice remise au monde


L’Harmattan
« La lampe est l’Être de la première page. »


Gaston Bachelard

La flamme d’une chandelle
Cette toujours impeccable surprise de la lecture
J ’ai un aveu à vous faire. À douze ou treize ans, je lisais tout un été les romans de Konsalik et ceux de Pierre Benoit. J’aurais pu très mal tourner. Continuer ces sagas frivoles. Je lisais livre sur livre. Tous les livres de Pierre Benoit. Je les ai lus avec avidité. Une folle impatience. Une sorte de fièvre contagieuse. Konsalik, en édition de livre de poche, envahissait les étagères de la bibliothèque familiale. Avec ceux de Pierre Benoit dans leur couverture en cuir rouge. Je lisais d’autres livres. Avant et après. Mais il y eut ceux-là. Je les dévorais comme on dévore un bol de chocolat chaud avec plein de gâteaux. Un été et sans doute plus. Inutile de vous dire que j’ai depuis oublié le contenu de toutes les intrigues. Je me souviens seulement que cela me plaisait. Je me souviens seulement que cela a produit mes toutes premières sensations érotiques. Je me souviens de ces heures à part soi entièrement consacrées à la lecture du livre. En silence. Nul ennui. Nul besoin de parler. Mon monde tenait dans un livre. J’aimais les mots. J’aimais qu’on me raconte des histoires. J’aimais vivre toutes ces vies. En cela, je suis restée fidèle à ce qu’a fait naître en moi cette adolescence littéraire. Je suis restée fidèle au désir de lire, au désir tout court. Ces heures légères ont fini par imprimer en moi le geste physique de la lecture. Sorte de rythme cardiaque dédoublé dont je ne puis me passer aujourd’hui. Entre-temps, il y eut les autres livres, les œuvres profondes. Entre-temps il y eut des professeurs de littérature grâce auxquels mon amour des mots pouvait prendre la forme d’une certitude sans cesse renouvelée. Autant dire, une conviction. Je les remercie comme je remercie l’équipe de RCF qui m’a permis durant trois saisons radiophoniques de faire partager cette toujours impeccable surprise de la lecture. Enfin la « petite morveuse » salue Pierre Bergounioux.
Dans toutes les pièces de la maison
L a littérature tout entière est la chambre vacante. Un corps voit et pourtant ignore. Et c’est en ignorant qu’il pressent l’univers à naître. Ainsi du lecteur. Ainsi de celui ou celle qui écrit. Puisque la vie permet les métaphores, choisissons celle-ci : nous voilà malades, alités, longtemps. Le corps est faible et ne peut se soutenir. Son mode d’être est désormais l’horizontalité, autre manière de voir et sentir le monde. Ses dernières forces sont justement pour lui. Pour cet en-dehors du lit et du corps, pour une vie immense, inaccessible. Ses dernières forces sont pour cette attention ténue et fragile à ce qui se passe là-bas, dans la maison ou cet ailleurs en dehors de la chambre. Si la chambre est vacante, c’est que quelqu’un manque. Soi peut-être puisque nous avons perdu nos forces vitales. Soi et notre manière d’être habituelle avec les autres, avec ceux que nous aimons. Nous sommes en retrait et comme situés de derrière les choses et les êtres. Un sourire coûte. Se redresser coûte. Se lever, se laver, s’habiller, sortir de la chambre, faire quelques pas.


Donc, nous restons au lit. Nous voilà comme privés de nous et du monde. Nous voilà comme infirmes. Quelque chose est perdu de nos facultés. Nous avons quelque chose en moins. Et pourtant ce monde que nous avons en moins, nous sommes capables de le retrouver autrement. Nous voilà antiques : l’aveugle est devenu l’oracle. Celui qui boite enfin sait et va témoigner comme pour faire pencher la balance à travers le monde. Nous sommes allongés et notre corps, dans la chambre vacante, constitue comme un nouveau centre, un nouveau point de vue, premier et inépuisable. Nous participons à la vie même, de là où nous sommes. Nous entendons tout. Nous atteignons tout. La mémoire est notre auxiliaire. Mieux, le terrain de ce déploiement. Ce peu nous suffit. Et nous remplit. Nous entendons les êtres que nous aimons, leurs voix, l’échange de leurs voix. Heureusement pour nous, les murs de notre maison sont étroits. On entend bien. Nous sommes dans toutes les pièces de la maison, on monte, on descend, on met ses chaussures, on répond au téléphone, on regarde la télévision, on chante, on danse, on aime. Et quand on sort, on sort avec elles, ces voix, ces voix qui sont des corps, des corps que nous aimons, des corps que nous connaissons, on sort avec elles dans le jardin ensoleillé. Parfois quelqu’un vient nous voir et se met à notre hauteur.


C’est donc cela la littérature : de là où nous sommes, dans ce retrait, cette retraite de la chambre vacante, nous allons dans toutes les pièces de la maison. C’est alors un grand corps imaginaire qui se déplace et qui vit, non pas tant par procuration que par production d’une vie nouvelle, sensible aux signes et aux traces, aux empreintes prises dans le mouvement de leur disparition.


Tenez, prenez Le Long Séjour de Régine Detambel. Prenez simplement les deux premières pages. Nous voilà de nouveau, de retour, dans une sorte de chambre vacante. Nous ne savons pas où nous sommes. Nous ne savons pas qui parle : vous avez tellement de choses à faire que vous ne savez pas comment faire. Première phrase du récit. Par où commencer ? Dit-elle. Commençons par l’heure qu’il est comme dans une conversation anodine. Le temps qu’il fait ou ça va ? Sauf que déjà le temps échappe, s’est déjà échappé. Nous ne savons plus très bien l’heure qu’il est. Le récit s’arrondit, s’organise autour d’un réveil mais d’un réveil devenu inutile, absurde pour celui ou celle à qui s’adresse la voix du texte. Flou et incertitude sur l’espace et le temps. Un temps qui n’a plus la mesure de lui-même. Un temps qui ne se repère plus. Un temps en arrière du temps. Vie contemplative derrière la vie active.


J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien…


Une fille en blouse bleu et blanc arrive. Elle connaît le temps, elle a une montre au poignet. Elle arrive et se confond avec d’autres filles, peut-être elles aussi en blouse bleu et blanc. Celui ou celle qu’on vient voir ignore le temps, le temps de tous, le temps commun. Celui ou celle qu’on vient voir a d’autres habitudes, un autre temps pris et comme dérobé au temps en train de vieillir, au temps en train de mourir.


Car celui ou celle qu’on vient voir est une très vieille personne dont la vie est désormais habitée d’événements souterrains et discrets, événements que seule la voix d

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