Lendemains thaïlandais
307 pages
Français

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Lendemains thaïlandais , livre ebook

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Description

Partir! Changer de vie à la poursuite d'un Graal improbable. Qui n'en a jamais rêvé ? Les nouveaux colons évoquent leur ardeur en ironisant sur les habitants enracinés en métropole. Ils sont orangs-outangs et non pas hommes! C'est la confrontation de cultures, de pensées différentes voire contradictoires et l'incapacité des protagonistes à s'adapter à leur pays d'origine, à la ligne blanche continue que l'on ne peut franchir sous peine d'excommunication.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2010
Nombre de lectures 60
EAN13 9782296229136
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Lendemains thaïlandais
Maxime Audge


Lendemains thaïlandais


L’H ARMATTAN
© L’H ARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-09086-6
EAN : 9782296090866

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Romanza
Le baron Vladimir, en galante compagnie, fumait un gros cigare en pilotant à vive allure sa traction sur les routes désertes, mal pavées et périlleuses à cette heure tardive de la journée. Les cahots désaccordés de la chaussée lui rappelaient sa jeunesse moscovite puis parisienne et lui volaient une sérénité recherchée depuis à peu près la soixantaine. C’était une fatigante mélopée qu’il tentait d’ignorer.
Dès les premiers jours de son enfance, un chant languissant était apparu : son comportement produisait chez les Étrangers de bizarres indices, d’abominables erreurs neuroniques. À l’adolescence, le chant avait disparu et vers la fin de sa vie avait ressurgi tel un air lancinant et sans fin. Rome, son havre de paix, n’était plus qu’à une trentaine de kilomètres et il était hors de question qu’ils y arrivassent avant la nuit. Il pensa à une auberge confortable près du lac de Bracciano où il pourrait passer la nuit avec la demoiselle installée à l’arrière afin de ne pas gêner le maestro dans sa conduite sportive. « Le jeune premier », comme le baptisaient ses voisins romains en se gaussant, gara sa traction à côté de la Maserati, la même qui, l’année précédente – où peut-être était-ce en 1938 – gagnait la Targa Florio et partageait la Une des journaux avec les échos de guerre possible.
Oui, oui c’est bien la même, regarde-la petite ; c’est pas une Citroën, enfin… La demoiselle dérangée jaugea le baron. Il disait une supercherie de plus. Après avoir examiné en connaisseur la puissante mécanique qui était – mais ce n’était qu’un petit doute – supérieure à la sienne, il ralluma son manille et ajouta encore :
C’est la voiture de Franco Dirotto ou alors, je ne m’y connais pas !
Auprès du maestro, toutes les créatures rarissimes à ses yeux devenaient des d’Artagnan, des fines lames. Il y en avait de toutes les trempes. La préférence allait souvent aux prouesses sportives. Les séducteurs accédaient parfois – surtout à leur mort – à la fonction, au même titre que Franco Dirotto, le d’Artagnan de l’automobile. Vladimir disposait dans sa panoplie de d’Artagnan de banquiers célèbres malgré leurs banqueroutes, ainsi que du gang fabuleux des tractions puisqu’ils avaient choisi, eux aussi, des Citroën. Mais son summum lyrique restait les d’Artagnan de romans légendaires, ces personnages imaginaires qu’il était aisé de combattre sur leur terrain favori, celui de la séduction, fût-elle sonnante et trébuchante. Mais comme tout gentleman s’honorant, il gommait cet aspect trébuchant avec une habile facilité. Il se confectionnait dans son imaginaire une cour prodigieuse de personnages célèbres, qui prenaient de plus en plus souvent, comme si l’âge escamotait toute logique, des aspects d’une réalité surprenante. Les fréquentations d’un jour du baron demeuraient fascinées par ce demi-dieu, Vladimir aux relations illustres.
Il jaugea la Maserati, chinant une déficience.
Mais c’est de la copie, tout bonnement de la…
Et se tournant vers la demoiselle.
Observe bien ; regarde bien.
Il attendit une réponse. La fille haussa les épaules, habituée aux cabrioles orales de son amant, puis ajusta sa voilette afin de dissimuler son regard frais et ils entrèrent dans l’auberge.
La demoiselle se contenta d’une collation puis, se sentant mal, obtint la permission de regagner seule sa chambre. Le baron, un moment déprimé, prit la seule décision qui s’imposait dans ces moments de néant. Il s’installa au volant de la Maserati puis, constatant qu’il s’était laissé abuser, changea de mécanique et s’en alla dépité à la villa Lupanaris la plus proche. Le repaire, édifié par la comtesse Alicia quelques décennies plus tôt, donnait sur une pathétique brise venant du lac où quelques vénérables encore verts se transposaient – le temps d’un artifice – pommeau à la pogne, avec l’aplomb de leurs jeunes années.
À sa surprise, on le fit patienter pendant de longues minutes dans un patio, parmi de romanesques orchidées aux couleurs diaphanes. Dissimulées, d’insidieuses impostes aux regards inquisiteurs considéraient le visiteur. Vladimir passa avec succès son examen et devint ainsi membre du club, ce qui lui garantissait des allées ornées de gentlemen, de buissons de gui et où d’imposantes bacchantes callipyges, sorte de trompe-l’œil pour néophytes, émergeaient du lac, escortées d’un frisson céleste qu’accompagnait l’une des ardentes pensionnaires.
Une fée laotienne à la peau transparente, encouragée par une courtisane plus expérimentée, se proposa. Malgré la moue anxieuse de la fille, Vladimir fut ravi par cette inattendue – une Asiatique – mais eut quelques remords en contemplant ses yeux bougons, puis à la seule pensée de sa compagne malade, son allure fanfaronne s’affaiblit et son âme fondit en larmoiements infantiles. Lorsqu’il reprit sa traction, l’homme avait retrouvé son prestige ; il entrevit, dissimulée, la Maserati de l’auberge venue, elle aussi, s’encanailler. Son propriétaire ne s’était jamais dévoilé et il était vain d’espérer le voir dans cette frivolité où tout avait été construit pour la discrétion.
Bien que d’allure excentrique, Vladimir n’était point irrévérencieux. Ses panacées de la villa Lupanaris achevées, soulagé d’une contrainte naturelle, il était encore capable ! Il redevint cet homme attentif qu’il avait toujours été, même si son côté hâbleur exhibait une conduite maladive envers le sexe féminin. Il passa dans sa chambre se raviver, se brosser les dents – son obsession – puis passa étreindre la demoiselle phtisique. Tromper sa maîtresse – mais il ne pouvait se contenir – en ensorcelant plus ardente, dût-il la rétribuer, avait auprès du baron un côté « cent mètres en onze secondes. » En outre, il ne se sentait pas capable de dépenser une vie avec une même créature. Cette déduction amena le baron, dès son plus jeune âge, à rester un célibataire professionnel.
La nuit fut barbare, brisée entre le cauchemar de sa compagne souffrante et l’allégresse frivole de la fée. Pendant sa traversée nocturne, Vladimir admit enfin – chose toujours contestée devant ses connaissances – qu’il avait atteint un bonheur suprême en compagnie de cette fragile créature. Dans sa longue existence, c’était la seule fois qu’une « précieuse », lâchait-il pour désigner une courtisane, évoluait dans son intimité friponne en créature inestimable. Maintenant, il ne pouvait plus résister. Cette nouveauté lui donnait une seconde vie.
Le visage sombre, picoté d’une barbe ivoire, il n’avait pas eu l’audace de congédier la demoiselle phtisique. La nuit s’émiettant, le maestro s’éclipsa tel un cambrioleur aspirant à trouver un réconfort chez les héritiers de la comtesse Alicia. Impatient, sa chair tassée s’introduisit dans le patio de la villa Lupanaris : une sensation de feu contrariait ses nouveaux émois. Il secoua la tête en signe de négation absurde ; son regard enjôleur dissimulait un air de nostalgie saumâtre. La Laotienne, très sollicitée, n’était pas disponible ! Malgré l’absence qu’il espérait temporaire, le baron patienta au grand dam de la gouvernante surmenée par la nuit passée à satisfaire les nababs du lupanar. Le patio évoluait en abysse sans fond, mais l’espérance le reprenait – lorsque la pensée installait de doux souvenirs –, métamorphosait le lieu en cocon doux et parfumé. Perdu, solitaire à son extase, se remémorant les convulsions incertaines des lèvres de l’Asiatique et le son vif de sa voix, expression violente, incertaine, il se souvint qu’il avait murmuré qu’elle était adorable, éblouissante. À ces mots séduisants, la fille avait fini par esquisser un sourire.
Maintenant, elle était là, dévisageant franchement le sexagénaire. On eût dit qu’elle le considérait avec pitié, exactement comme lorsqu’elle s’était examinée après sa première année passée au service des hommes. Lentement, elle souleva la tête et balança sa chevelure abondante vers l’arrière. Ses cheveux aux reflets d’ébène, parfois roux, effleurèrent sa gorge suave. Vladimir pressentit la pensée mutique de Ling : « Il cède ses dernières ardeurs. » Le regard de la fée s’adoucit et « le jeune premier » prolongea son raisonnement : « … lui donner quelques

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