La lune avait déjà parcouru la moitié de sa course nocturne vers l’ouest, lorsque Otah se rendit compte qu’il n’était pas seul. Le rythme régulier du motif dessiné par les traces de ses pas dans la neige s’interrompit d’un coup ; une provocation aussi intentionnelle que s’il s’était raclé la gorge. Le fuyard se figea, puis il se retourna.
— Bonsoir, Otah Machi, fit Milah-kvo d’un ton désinvolte. Une nuit bien agréable pour partir en randonnée, n’est-ce pas ? Un peu froide, peut-être.
Comme Otah ne disait rien, Milah-kvo fit une enjambée vers lui, un cartable à la main. Son souffle était aussi épais et blanc qu’une plume d’oie.
— Oui, reprit le professeur. Froide, et loin de votre lit.
Otah prit une pose de reconnaissance adaptée pour une rencontre entre un élève et son professeur. Elle ne comportait aucune nuance d’excuses, et l’enfant espérait que Milah-kvo ne s’apercevrait pas qu’il tremblait, ou, dans le cas contraire, qu’il mettrait cela sur le compte du froid.
— Partir avant la fin de votre engagement, mon garçon. Vous vous couvrez de honte.
Otah opta pour une pose qui servait généralement à remercier un professeur à la fin d’un cours. Malgré les formalités d’usage, Milah-kvo n’y répondit pas et il s’assit dans la neige en jaugeant son élève avec un intérêt qui déconcerta le garçon.
— Pourquoi faites-vous cela ? demanda Milah-kvo. Vous pouvez encore vous racheter. Ils décideront peut-être de vous accorder cette chance. Alors pourquoi vous enfuir ? Seriez-vous lâche à ce point ?
Otah sut alors quoi répondre.
— C’est plutôt en restant que je serais lâche, Milah-kvo.
— Ce qui signifie ?
La question du professeur ne comportait pas le moindre sous-entendu de jugement ou de test, comme s’il venait de lui poser cette question en ami, un ami qui n’en connaîtrait sincèrement pas la réponse.
— Il n’y a pas de verrous sur les portes de l’enfer, répondit Otah.
Pour la première fois, il prenait le risque de parler de cela à quelqu’un, et la tâche s’avérait plus difficile qu’il ne l’avait présumé. S’il n’y a pas de verrous, alors qu’est-ce qui peut bien les retenir là-bas, à part la peur que les choses soient encore pires ailleurs ?
— Et vous pensez que l’école est une sorte d’enfer.
Ce n’était pas une question. Otah ne répondit pas.
— Si vous vous entêtez dans cette voie, vous allez passer pour le pire des lâches, dit Milah. Un enfant couvert d’opprobre, sans ami ni allié. Et sans la marque pour vous protéger. Vos frères aînés pourraient très bien vous traquer et vous tuer.
— Oui.
— Avez-vous un endroit où aller ?